Loin du grivois, le troisième roman de Philippe B. Grimbert nous surprend par son écriture incisive et son ton mordant.
L’on redoutait que ce titre racoleur n’abritât quelque tendancieuse entreprise de propagande confessionnelle traquant jusque dans leurs derniers retranchements les rebelles à la circoncision et autres fanatiques du prépuce. Il n’en est rien. Après Panne de secteur et 39,4, Philippe B. Grimbert poursuit sous les bienveillantes et fidèles auspices de son éditeur Le Dilettante, un élégant travail de sape où le style a décidément le dernier mot. Revanche de la littérature sur la prosaïque réalité.
Vingt-deux courts chapitres aux intitulés joyeusement apéritifs – Hypnovel, Prounelle, Bagneux, Ecrasé de pomme de terre, Raluca, Homard l’a tué, Impair et lente… – baguenaudent de Paris à Bucarest, au sein d’une famille passablement… décomposée. Paul, médecin spécialisé dans les maladies digestives, a choisi d’accélérer l’agonie de son père, un juif laïc très à gauche et ancien dentiste, Simon Caunisbert, en lui injectant un puissant sédatif.
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Prolégomènes au questionnement métaphysique de Paul sur l’état de son pédoncule non incisé, confronté au « morceau de chair enflée à son extrémité par l’arrondi du gland dénudé qui émergeait de la toison pubienne, dense et grise comme un buisson d’hiver », celui de son géniteur, désormais passé de vie à trépas. « Dans quelle mesure certains de ses choix, de ses actes, s’étaient vus déterminés par ce petit tortillon d’épiderme ?», s’inquiètera Paul, faisant retour sur le passé, mais bientôt envahi d’un tel sentiment de culpabilité pour « avoir injecté à Simon cette triple dose d’Hydromel » qu’il ira confesser son crime présumé à la police – d’où la scène du commissariat, morceau de bravoure au burlesque irrésistible – tandis qu’en nombre, rameutés par ce décès, s’agitent les comparses : Christian, le petit frère raté, Irène la demi-sœur, Daria la bonne compagne et auxiliaire de vie de feu Simon, etc. D’une écriture très surveillée, ce troisième roman allie une tonalité désenchantée au grincement et à la plus brillante causticité, dans une langue inventive, rutilante et ornée qui, si l’on osait la comparaison, serait celle d’une Annie Ernaux qu’on aurait mise à mijoter dans une sauce plus goûteuse qu’un Nobel.
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