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La statue du commandeur

Les Mémoires d’Enzo Ferrari – « Le vertige de la vitesse » (Séguier, 2024)


La statue du commandeur
Enzo Ferrari lors de la onzième édition de la Targa Florio, sa première course en Alfa Romeo, octobre 1920 © Photo12 / Séguier

Les éditions Séguier font reparaître les Mémoires d’Enzo Ferrari (1898-1988) sous le titre Le vertige de la vitesse, parues une première fois en France en 1964. « Il Commendatore » y explique sa vision de la course, des moteurs, des pilotes, des clients et les raisons de la persistance du mythe.


Ces mémoires sont celles d’un homme, pilote de course, directeur d’écurie et constructeur d’automobiles de sport, qui vient de connaître le plus grand drame de sa vie. Après la mort de son fils Dino en 1956, plus rien ne fut pareil. Même le goût de la victoire, cette quête permanente qui le possédait, n’avait plus la saveur originelle. Cette tragédie faillit même mettre un terme à l’aventure du cheval rampant qui, dans ce milieu des années 1960, connaissait de sérieux soucis financiers, avant l’entrée au capital de la FIAT.

Un défi à la vitesse et au temps

Ces mémoires sont celle d’un commandeur taiseux, rude, âpre, secret, pouvant se révéler un despotique meneur d’hommes aussi cassant que paternel avec ses pilotes. Un homme de caractère né à Modène, dans cette province d’Émilie-Romagne, chaudron de l’industrie mécanique de pointe italienne. Une terre fertile en inventeurs où le paysan côtoie l’ingénieur, où il n’est pas rare d’entendre dans cette campagne paisible, le vacarme d’un douze cylindres exprimant la mélodie du bonheur. Pour celui qui n’a jamais entendu cette cavalcade enchantée pleine de promesses et de stupeur, dans la furie et les cymbales, dans les vapeurs d’essence et le frisson, il est difficile de comprendre la dévotion que des millions d’Hommes portent aux voitures rouges. Maranello est le temple païen de la démesure et du fracas, le seul endroit où l’on fabrique des modèles qui défient les limites de la vitesse et du temps. Avant qu’Hollywood ne s’empare du phénomène Enzo, il est bon de revenir aux sources, c’est-à-dire à ses propres écrits.

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Dans ses Mémoires, Ferrari se veut sincère, il cachera donc ses zones d’ombre, il manie la cigüe et la caresse, il alterne plusieurs visages, professionnel, méthodique, metteur au point taciturne quand il évoque ses créations ; plus sarcastique quand il exprime son opinion sur les pilotes et la vie en général. Dans une confidence rieuse, il affirme que ses « ambitions d’enfant » étaient successivement de devenir chanteur d’opéra, chroniqueur sportif et coureur automobile. Enzo a l’humour froid des survivants ayant traversé deux guerres mondiales, l’invention du moteur à explosion, le goudronnage des routes et la voiture comme exhausteur de vie. Ces Mémoires font office de sépulture car la mort y rôde à chaque instant, sur la piste et les chemins poussiéreux. Son destin bascula lorsqu’en 1951, une Ferrari battit une Alfa Roméo, la marque dont il porta longtemps les couleurs. « J’ai tué ma mère » avoua-t-il, ce jour-là. Enzo nous raconte une jeunesse italienne dans un XXème siècle chaotique. Il nous délivre aussi sa philosophie, ses préceptes directeurs dans la conception et l’évolution des machines. Il se définit avant tout comme un « créateur de moteurs ». Ainsi, il accorde plus d’importance à la puissance de la bête tapie sous le capot qu’au châssis.

Fangio, l’heure des comptes

Sous sa plume défilent tous les plus grands pilotes des années 1920 jusqu’à l’après-guerre. On y retrouve nombre de ses compatriotes italiens, il fait d’eux un portrait psychologique aussi vigoureux que le V12 Colombo vous arrache des larmes à l’accélération. Il ne tarit pas d’éloges sur Antonio Ascari : « c’était un garibaldino, comme on appelle en argot de métier les pilotes qui privilégient le courage et le brio au froid calcul de ceux qui réussissent à chaque fois à mesurer parfaitement les virages ». Peu avare en compliments, il s’incline devant le style de Nuvolari et de Moss : « des hommes qui, sur n’importe quelle machine, dans n’importe quelle circonstance et sur n’importe quel circuit, prenaient tous les risques pour gagner et qui, en dernière analyse, semblent dominer le lot ». Il règle son compte à Fangio dont leur incompatibilité d’humeur ferait à elle seule le sujet d’un long métrage. « Fangio était vraiment un grand pilote, mais affligé de la folie de la persécution », écrit-il.

Ces Mémoires reviennent sur les succès de la Scuderia mais aussi sur la production des voitures de série qui allaient faire fantasmer les anonymes comme les célébrités. Enzo classifie avec drôlerie ses clients en trois catégories : le sportif, le quinquagénaire et l’exhibitionniste. Il nous parle des liens intimes avec certain d’entre eux comme l’ex-roi Léopold de Belgique ou encore Roberto Rossellini, Ingrid Bergman et Anna Magnani. Un jour, peut-être, comme ces illustres détenteurs du mythe, nous pousserons les portes de l’usine de Maranello.

Mémoires – Le vertige de la vitesse – Enzo Ferrari – Séguier, 224 pages.

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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