Dix ans après avoir perdu certains de ses amis les plus chers dans l’attaque de Charlie Hebdo, l’ancien directeur du journal ne cède ni à l’apitoiement ni à la résignation. Alors que les injonctions à la censure ne viennent plus seulement des djihadistes, mais d’un certain monde intellectuel et d’une gauche inféodée aux Insoumis, l’esprit de soumission doit être plus que jamais combattu.
Causeur. C’était hier et il y a une éternité. Qu’est-ce que ce 7 janvier 2015 a changé en vous ?
Philippe Val. Pour moi il y a un monde avant et un monde après. Quand des amis de plusieurs décennies disparaissent d’un coup, assassinés par des islamistes, vous êtes d’abord choqué, désespéré. Il faut ensuite un certain temps pour que cette réalité vous pénètre dans toute son intensité. Dix ans après, je rêve toujours de Cabu et de Wolinski, je me demande ce qu’ils ont ressenti au moment où leurs tueurs sont arrivés avec leurs cagoules et leurs flingues. J’essaye de me mettre dans leur tête, dans leur système nerveux. Je me dis : pourvu qu’ils n’aient pas souffert ! Et je ne sais pas…
Vous n’étiez plus patron de Charlie Hebdo en 2015, mais Cabu et d’autres étaient restés vos intimes.
Je connaissais Cabu depuis les années 1970. C’était la famille. Mieux que la famille même, puisque c’est quelqu’un avec qui j’avais choisi de vivre. On s’est apporté tellement de choses ! Si je n’avais pas rencontré Cabu, je n’aurais pas fait de journalisme, tout simplement. Mais je ne veux pas pleurnicher, car si lui et les autres sont morts, je suis vivant, je continue à voir des amis, à m’amuser, à aimer, à jouir du temps qu’il fait et à voir mon fils grandir. Ne pas trahir Charlie, c’est aussi aimer la vie autant qu’il est possible, et ne pas se poser en victime.
Vous êtes l’un des plus anciens journalistes français à vivre sous protection policière…
Oui, depuis 2006. Mais les premières menaces de mort sont arrivées dès la fin des années 1980, avec l’affaire du voile. À l’époque, dans ma chronique sur France Inter, j’avais soutenu le proviseur de Creil qui refusait le port de signes religieux dans son établissement. Quelques années plus tôt, j’avais pu écrire en toute quiétude des sketches pour Thierry Le Luron avec des choses épouvantables sur l’ayatollah Khomeini, n’imaginant pas un instant que la censure changerait un jour de camp et que l’humour deviendrait la cible du terrorisme.
Aujourd’hui, avez-vous peur pour votre vie ?
Pas tout le temps. J’ai connu une période très noire quand mon fils était petit. Chaque nuit à la maison, le moindre bruit prenait une signification terrifiante. Cela dit, j’ai confiance en mes officiers de sécurité qui sont extrêmement compétents. La preuve, en 2017, dans une librairie à Strasbourg, quand un homme s’est précipité vers moi en hurlant, une jeune policière affectée à ma sécurité m’a sauvé la vie en immobilisant immédiatement l’agresseur, qui devait peser deux fois
