Dans L’identité d’abord (L’Artilleur), l’essayiste « d’âme marocaine mais de civilisation française » bien connu des lecteurs de Causeur raconte comment il a trouvé le chemin de la liberté en cessant de nier son identité. Entretien avec un homme libre…
La première chose qu’il faut savoir avant d’ouvrir L’Identité d’abord de Driss Ghali, c’est qu’il ne s’agit pas d’un énième essai sur l’identité d’un pays, ou de la France en particulier. L’auteur, marocain, musulman, mais jamais islamiste, surdiplômé formé en France et au Brésil, auteur de nombreux ouvrages et intervenant dans plusieurs médias, propose ici un texte plus personnel, précieux recueil d’observations, fruit d’une réflexion acérée et parfois désespérée sur la réalité actuelle. Il conçoit son nouveau livre comme une « lettre ouverte d’un immigré aux Français qui ne veulent pas disparaître ».
Il ne s’agit donc pas d’un traité de rhétorique post-moderne, ni d’un Bréviaire pour hommes politiques, comme celui de 1684 attribué à Mazarin. Pourtant, Driss Ghali ne dit pas des choses moins hardies que le prince-évêque de Metz. Par exemple : « La liberté n’a jamais été autant malmenée en France depuis la Seconde Guerre mondiale. » Voilà le décor dans lequel il plante sa plaidoirie farouche, parfois colérique, son cri contre la dictature de « la maltraitance comme mode de gouvernement », pratiquée par ceux qu’il appelle « les enfoirés » et dont il donne une définition précise : « les incapables qui ont de l’ambition ».
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Mais ce cri est toujours légitime, argumenté, basé sur des faits, proposant des pistes non seulement pour conspuer le « parti unique » et l’islamisme ainsi que l’antisémitisme rampant d’extrême gauche, qui fait des siennes dans la France actuelle, mais aussi pour fustiger les coupables de toute sorte et pour exiger une réaction. Ce manifeste qui s’adresse « aux jeunes et aux moins jeunes », pourrait même devenir, pour beaucoup, un manuel de survie dans notre monde compliqué et implacable.
Causeur. Quelle a été la réception de votre livre ?
Driss Ghali. Etant donné que ce n’est pas un livre militant, qu’il n’est ni de droite, ni de gauche, qu’il se place dans une autre dimension, il a dérouté, me semble-t-il, les journalistes les plus paresseux et les plus pressés. Certains d’entre eux l’ont manifestement commenté sans l’avoir lu… Et, parmi ceux qui l’ont lu, beaucoup cherchaient un livre sur l’identité de la France. Or, le propos du livre est beaucoup plus riche et original : il propose une thérapie de l’âme par le retour à l’identité, une identité qu’il faut comprendre et « gérer » pour en tirer le meilleur ; il veut également réparer les gens avant de réparer leur pays, n’importe quel pays dont la France bien entendu mais pas seulement. Mais comme je suis classé « à droite », je dois faire peur aux médias de gauche qui sont devenus des médias religieux passant sous silence les hérétiques et célébrant les prédicateurs du nouveau culte progressiste et mondialiste !
Pourtant, c’est un ouvrage qui va plus loin, il est déconcertant, dans le bon sens, car il prodigue au lecteur des conseils sur la vie quotidienne.
Ce livre n’a pas encore trouvé ses prescripteurs ni ses critiques littéraires. Cela dit, au fur et à mesure que le temps passe, je reçois des lettres de lecteurs qui sont très touchés par le côté intimiste et pratique du livre. Ils apprécient l’humour et les surprises que réserve chaque chapitre. Une lectrice africaine m’a dit qu’elle se sent mieux après l’avoir lu, il lui a montré qu’elle n’était pas seule dans son malaise par rapport à l’époque et par rapport aux identités perturbées qui en résultent. Elle l’a donné à son fils qui a vingt ans et le lui a présenté comme un réservoir de sagesse à l’usage des jeunes. Je suis confiant. Ce livre aura du succès auprès des lecteurs. Il est écrit d’une façon sensuelle, presque rabelaisienne. Ce n’est pas un livre pour des militants, il est écrit dans la nuance, pour le grand public. Je vais plus loin que la politique, car je suis obligé de parler aux jeunes. Il faut le faire car personne ne leur parle plus, de manière vraiment désintéressée. Il y a des influenceurs, des coachs, mais personne ne leur dit la vérité pour leur bien. Cela vaut pour les moins jeunes aussi.
Votre livre est-il celui d’un moraliste ?
Certainement. Il y a trop d’éditorialistes, de commentateurs, et pas assez de moralistes, car quand on parle de morale on s’expose aux critiques. C’est un livre de moraliste dans la tradition classique, écrit par un « jeune » ancien qui prend le risque de raconter ses erreurs et ses échecs et ce qu’il en a tiré comme leçons. Au lieu de sombrer dans le cynisme, il refonde une morale, celle de l’honnête homme, qu’il revisite au regard des enjeux actuels pour en faire une éthique pratique et prête à l’emploi car les gens ont besoin de solutions maintenant. De nos jours, il y a un vide moral, autant voire plus que spirituel peut-être. Il y a une soif d’absolu, de netteté entre le bien et le mal, le bon et le mauvais. À l’inverse, l’époque dit que tout est relatif et que tout se négocie, qu’il suffit de « dialoguer » et de se « concerter » car après tout on est là pour « s’amuser ». Elle veut aussi nous faire croire que « l’on peut devenir tout ce que l’on veut, à condition de le décider ». Cruels mensonges qui créent le malheur dans les jeunes générations ! On ne devient pas ce que l’on veut, mais ce que l’on peut. Ma morale, celle de l’honnête homme (2.0, disons) part de l’identité, donc de ce qui n’est pas vraiment négociable, de ce qui s’impose à nous, et en fait quelque chose de grandiose. Ce livre est urgent, car l’époque fabrique des orphelins en quelque sorte, les orphelins d’une morale, qui pourraient bien passer une vie entière à bâtir une morale, s’épuisant dans cet exercice, alors que tout est là, sur les étagères des bibliothèques, il suffit de le dépoussiérer et de le regarder avec les yeux de notre époque.
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Est-ce pour cela que vous écrivez que l’homme « est mauvais » et que « sa survie dépend d’une certaine dose d’agressivité à l’égard de l’étranger » ?
Oui, il y a chez l’homme (et la femme) un côté toxique. C’est dans la Bible et dans tous les livres sacrés. Il y a beaucoup de mal en nous, en moi aussi. Longtemps, ma méchanceté s’est retournée contre moi-même, comme un cancer. Je me suis fait la guerre à moi-même. J’ai commencé à aller mieux le jour où j’ai commencé à investir ce mal dans le monde : pas pour faire du mal aux autres mais pour essayer de transformer la méchanceté en ambition et l’agressivité en dynamisme. Cela fut sans doute un travail difficile. Mais ce n’est pas tout. Il faut aller plus loin. Je dirais qu’il faut répondre aux méchants avec la méchanceté parfois. Ne pas craindre de faire mal aux enfoirés, c’est-à-dire aux incapables ambitieux qui nous oppriment au quotidien en entreprise, en famille, dans la rue. A force de tolérance, nous avons admis l’inacceptable et nous voilà menacés, apeurés, amoindris par des nains qui « osent » ce que nous n’osons pas : montrer les crocs. Je n’appelle pas à la violence, j’invite à dissuader et à s’unir contre la petite minorité de suprémacistes qui ont un impact qu’ils ne méritent pas. La méchanceté peut être un combustible collectif incroyable ! Je dis aux Français : il vous faut un ennemi extérieur, car sinon vous allez vous bouffer les uns les autres. Au lieu de vous disputer entre gauche et droite, bobos et gilets jaunes, immigrés et natifs, disputez-vous avec un ennemi commun qui soit le plus loin possible de la France. Puisque l’acrimonie est là, qu’elle s’exerce ailleurs et en commun pour qu’elle forge des liens entre les gens qui aujourd’hui ne se mélangent plus. Bien entendu, ce discours peut causer quelques troubles à gauche comme à droite, car l’ignorance de la nature humaine fait partie de l’air du temps. On préfère imaginer les gens et la France tel qu’ils devraient être au lieu de les connaître en chair et en os.
Vous parlez aussi de deux catégories qui apparemment sont dissonantes : l’agressivité et la liberté. Vous écrivez que, pour être un homme libre, il faut surmonter certaines limites, une certaine passivité.
Oui, je le dis, on est libre quand on se décolonise de soi-même, c’est-à-dire quand on se libère de notre inconscient, qui prétend avoir le dernier mot sur nos sentiments, nos idées et nos actions au travers de choses héritées de nos parents et de nos ancêtres, des choses qui nous gouvernent en silence et qui peuvent nous mener droit dans le mur si on leur laisse libre cours. Ce sont des traumatismes, des peurs, des croyances fausses et des préjugés. Des histoires qui ont eu lieu il y a un siècle ou plus, elles sont encore là dans notre inconscient et veulent se prolonger dans nos vies à nous. À côté de cela, notre inconscient est habité par des forces d’une grande intensité, certaines sont bonnes et d’autres mauvaises. Elles sont le combustible de notre désir et l’oxygène de notre côté sombre, inavouable, voire dangereux. On ne se connaît pas soi-même si on ne les a pas éclairées. Or, nous regardons ailleurs, très loin de nous-mêmes : nous fixons les écrans et les idéologies, à l’ombre de MM. Trump, Macron ou Bolsonaro. Bien sûr que la politique est importante, bien sûr qu’il faut critiquer les leaders politiques, mais avant de le faire il faut se regarder soi-même. Observer le volcan qui vit en nous, le cartographier le plus précisément possible comme le ferait un géographe. Et à ce moment-là, on découvre les évidences comme l’agressivité. Au lieu de la refouler, il faut l’utiliser pour notre cause. On devient libre quand on a effectué ce travail, lent, douloureux et intime. Reprendre le contrôle de soi à des forces que l’on ne connaît pas à l’origine, les accepter tels quels et s’en servir pour atteindre un but. Quel est le but ? Eh bien, il est fixé par le désir qui vit lui aussi en grande partie tapi dans cet inconscient mystérieux et périlleux. Se décoloniser soi-même revient aussi à débroussailler le terrain suffisamment pour prendre en photo le désir propre à chacun et savoir enfin quelle est sa mission dans la vie. Une fois que l’on s’est connecté à son désir, l’on est comme « branché » sur une borne électrique qui donne l’énergie nécessaire pour s’accomplir. Au fond, il faut partir à la recherche de son identité en plongeant en soi-même pour découvrir forces et faiblesses, désir véritable et vocation. Tel est le chemin de la liberté. L’identité libère.
Dans votre livre vous mettez en lumière la notion très oubliée, et pourtant capitale d’ « honnête homme » et la difficulté d’en être un. C’est peut-être le sujet le plus intéressant de votre essai. Vous écrivez, par exemple : « Il faut vivre ton époque sans te rabaisser aux vilenies de tes contemporains. » Comment être un honnête homme dans une époque où cette notion semble avoir disparu ?
C’est très difficile, mais cela a toujours été difficile, car l’homme agit en meute et l’honnête homme court le risque de dire non à la meute. Or, la meute vomit ce qu’est l’honnête homme qui regarde la vérité telle qu’elle est, qui pense par lui-même et n’a pas besoin d’une validation externe pour s’autoriser à penser ceci ou à ressentir cela. Au XVII° siècle, la meute voulait tuer les protestants. Dans les années 1930, elle voulait tuer les juifs. Aujourd’hui, la meute ne supporte pas le moindre doute quant au dogme mondialiste ou au consensus européen. Il est tellement facile d’être un hérétique aujourd’hui, il suffit de dire qu’un homme ne peut pas participer à des compétitions féminines de natation ou d’escrime. Par le passé, l’honnête homme pouvait souffrir les conséquences de sa liberté, mais au moins tout le monde disait : « C’est un type bien, il souffre peut-être, il est en exil, il n’a pas été anobli par le roi, ou il n’a pas été nommé gouverneur de je-ne-sais quelle province, mais il est respectable. » Aujourd’hui il n’y a pas de notion de réputation. L’on se met à poil ou l’on dit n’importe quoi du moment que l’on jouit ou que l’on fait de l’argent. Une artiste porno peut devenir députée, un dealer de cocaïne peut devenir député. On vous juge par le buzz que vous produisez et par votre richesse ostentatoire, on se fiche que vous soyez un résistant ou que vous ayez raison. Tenir bon fait de vous un fou alors que les autres sont fous et on se retrouve ainsi jugé « moralement » par des dingues qui croient qu’un homme peut tomber enceinte ou qu’un communiste peut défendre les droits de l’homme. Depuis le Covid, il y a eu une accélération de la folie, de la violence verbale et physique. Le discours politique en est contaminé. Mélenchon vous dit que l’affiche contre Cyril Hanouna n’est pas antisémite et il engueule le journaliste qui ose en douter.
Quelqu’un a dit que vous êtes « le Zemmour arabe ». D’accord ou pas ?
Non, même si je prends cela pour un compliment, car j’apprécie beaucoup Éric Zemmour. Lui est un homme politique, je ne le suis pas. Il a des qualités que je n’ai pas. Il prend plus de coups que moi. Et en tant qu’homme politique, il ne peut pas aller dans la nuance autant que je le fais, car les électeurs ne sont pas nuancés ou ne le sont plus. Les gens sont en colère, à droite comme à gauche. Ils veulent des porte-paroles qui transmettent leur colère, alors qu’ils ont besoin de leaders qui les conduisent vers le succès. Moi, je suis un voyageur et un observateur, donc je peux dresser le croquis avec tous les reflets et les ombres qu’il m’inspire, je suis dans l’art alors que Zemmour est dans l’action. Zemmour est un Français par vocation et par « naturalisation », au sens le plus noble du terme. Il est issu d’une famille juive algérienne c’est-à-dire d’une population qui est devenue française par amour et par adhésion et presque par désespoir car les Juifs ont vécu sous le joug des Arabes pendant des siècles en Algérie. Grâce à la France, ils se sont libérés. Ils ont quitté les ghettos d’Oran et de Constantine et rejoint une « terre promise » : la France. Moi, je suis un homme de frontière, d’interface entre plusieurs civilisations : le Maroc, la France et le Brésil ; la Méditerranée et le monde tropical. Je proposer une vision originale, alors que Zemmour a souvent, et c’est normal, un regard très français sur le monde, les Etats-Unis, l’islam, l’économie, etc. Il est éclairé par une lumière fondamentalement française, je dirais même classique. Il s’est assimilé à la France. Moi, je ne suis pas aussi francisé que lui. Je suis Français de civilisation. Mais mon âme est marocaine. Pour Zemmour, la France est la libération. Pour moi la France, c’est une « paire de lunettes » qui ne me quittent jamais : mes yeux sont marocains mais la France me permet de mieux voir le monde.
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L’honnête homme est-il prédestiné à devenir un Robinson, une personne isolée dans une île lointaine ?
Dans mon livre, je veux conjurer ce danger en appelant à l’union des honnêtes gens. Depuis toujours, mais surtout aujourd’hui, l’honnête homme est seul. Avant, il y avait la classe noble et les nobles savaient qu’ils étaient nobles, qu’ils avaient un devoir. Ils étaient insérés dans des réseaux, locaux ou bien nationaux voire continentaux quand on pense aux familles royales européennes. Je rêve de réserver une partie de ma vie à réunir, modestement, les honnêtes hommes. Il faut former une internationale des honnêtes hommes. On en a marre de l’internationale de Soros ou de Davos, de l’internationale des communistes ou du Foro de Sao Paulo, etc. Je rêve d’une union universelle et œcuménique, où il y aurait des musulmans, des chrétiens, des Colombiens, des Chinois, des Français, etc. Son projet serait de lutter contre l’autre « choc » du monde et qui n’est pas le choc des civilisations, c’est le conflit entre les gens bien et les enfoirés. Dans tous les pays, quand on regarde les choses sans œillères, quand on a les pieds sur terre, les problèmes se réduisent souvent à une lutte à mort entre des gens de bien, isolés et un peu naïfs, et un lobby d’enfoirés.
Pouvez-vous donner un exemple d’une telle lutte à mort ?
Prenons un sujet simple, connu de tous : le changement climatique. Il n’a rien d’idéologique. En vérité, le crime organisé a pris possession à des degrés divers des forêts tropicales que ce soit au Brésil, en Colombie voire au Congo et en Asie. Il est appuyé par des élites locales qui sont corrompues et couvertes par des ONG hypocrites qui lèvent de l’argent en Occident pour, disent-elles, sauver la forêt alors qu’elles s’abstiennent de dénoncer ses véritables bourreaux. Il faut évincer ces enfoirés, tous les enfoirés que je viens de citer, grâce aux honnêtes hommes. Ce n’est pas un problème d’argent, de satellites, etc. C’est une affaire morale. Il faut que les honnêtes hommes se coalisent et prennent le pouvoir. Et je parle d’enfoirés car je veux vraiment ouvrir les yeux de nos contemporains sur leur responsabilité individuelle. La lutte est moléculaire : au niveau du quotidien, des relations entre individus. Elle n’est pas seulement « globale » au sens de la lutte contre le changement climatique, elle est une affaire d’hommes et de femmes. Donc, elle est mon affaire, la tienne aussi. Pas question de l’éluder, au boulot !
256 pages.
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