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« Aujourd’hui c’est le pouvoir médiatique qui est liberticide »

Entretien avec Alain Finkielkraut


« Aujourd’hui c’est le pouvoir médiatique qui est liberticide »
© JOEL SAGET / AFP

L’Académicien revient sur son éviction. Il a voulu plaider pour le Droit contre la justice sommaire de la foule. En retour, il a été lynché sur les réseaux sociaux et débarqué par LCI sans que, à peu d’exceptions près, journalistes et médias lèvent la voix pour le défendre publiquement. Après quatre décennies de présence médiatique, Finkielkraut ne croit plus à la possibilité d’un discours raisonné et nuancé dans la « vidéosphère » et la « numérosphère » et réfléchit sur la possibilité de se concentrer dorénavant sur l’écrit.


Causeur. Comment allez-vous ? Cette affaire vous a-t-elle beaucoup éprouvé ?

Alain Finkielkraut. Prenons les choses par le commencement. Lorsque j’ai dit à David Pujadas que je souhaitais revenir sur l’affaire Olivier Duhamel, il n’a eu aucune objection, mais il m’a laissé entendre qu’il m’aurait à l’œil et que peut-être le dialogue allait être un peu plus conflictuel que nos conversations précédentes. J’y étais tout à fait prêt, et les choses se sont très bien déroulées. David Pujadas a bien compris que je ne manifestais aucune indulgence pour les faits dont Olivier Duhamel était accusé. Il s’est peu à peu détendu, l’émission s’est très bien passée et je suis rentré soulagé. Mes proches m’ont confirmé dans cette impression. Je m’aventurais en terrain miné, mais aucune mine n’avait explosé. Ils étaient très contents de ce que j’avais pu dire pour le droit et contre la justice médiatique. Le lendemain matin, mon fils m’a appris qu’internet était en ébullition. Je suis tombé des nues. J’ai appris également que c’était un extrait décontextualisé de l’émission qui avait fait naître cette révolte sur la Toile. En fin de matinée, j’ai donc appelé David Pujadas pour lui dire, en toute naïveté, que mes propos ou certains extraits de mes propos avaient suscité une grande émotion et qu’il faudrait donc que nous y revenions le lundi suivant pour lever toutes les ambiguïtés, et me permettre de m’expliquer. Mais il m’a répondu avec tristesse que mon sort était déjà scellé : le groupe TF1 arrêtait ma chronique. J’étais débarqué.

Ce n’est pas la première « affaire Finkielkraut ». En quoi celle-ci est-elle différente des autres ?

Lorsque mon renvoi a été confirmé dans la presse, je m’attendais au moins à ce que des journalistes curieux me demandent de m’expliquer. C’est ce qui s’était passé après l’affaire Haaretz[tooltips content= »En 2005, Sylvain Cypel a publié dans Le Monde des extraits d’un entretien accordé par Alain Finkielkraut à Haaretz. Une blague sur l’équipe de France a déclenché une tempête. Déjà, le second degré n’avait plus cours. »](1)[/tooltips]. À peine le scandale avait-il éclaté que j’ai pu répondre, sur l’antenne d’Europe 1 et sur celle de France Culture, et que j’ai, en partie, retourné l’opinion. Mais là, rien. Personne. Aucun appel des rédactions. J’ai commencé à avoir peur. Je me suis dit que peut-être cette fois-ci mon compte était bon et qu’après avoir défendu Polanski, après avoir affirmé la main sur le cœur que j’avais encore assez d’énergie pour violer ma femme tous les soirs, j’étais définitivement considéré comme un pervers infréquentable. J’ai donc écrit une tribune pour rappeler simplement ce que j’avais dit sur LCI. Je l’ai proposée à des quotidiens afin de ne pas laisser le mensonge occuper la place. Ces journaux, toutes sensibilités confondues, ont refusé de publier mon article. Je l’ai envoyé à des amis et connaissances pour qu’ils ne se méprennent pas. La plupart d’ailleurs avaient très bien compris la manipulation dont j’étais l’objet. Mais j’étais abattu par cette première expérience de samizdat. Quand Le Point m’a redonné le droit à la parole, je suis redevenu combatif. Ce que je n’ai pas supporté, c’est le moment de silence auquel j’ai été contraint face à ces accusations délirantes.

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Cependant, vous avez reçu moins de soutiens que d’habitude. Même parmi vos amis, beaucoup ont protesté contre votre éviction, tout en prenant leurs distances avec vos propos…

Non, pas parmi mes amis. Sinon, oui, j’ai eu droit à « mais quand même ! », « pourquoi s’est-il aventuré sur ce terrain-là ? », « il a eu des expressions inappropriées », « il a été maladroit », « de toute façon, Olivier Duhamel est un pédocriminel », « peu importe qu’il soit lynché, après ce qu’il a fait, qu’il crève ! », et je dois constater que rares sont les journalistes à s’être émus de mon licenciement express. Du haut de l’autorité morale que lui confère sa longue expérience, Alain Duhamel s’est même joint à la foule déchaînée. Confronté sur BFM TV à Caroline De Haas qui réclamait mon interdiction professionnelle, totale et définitive, il s’est permis de dire en substance que j’étais passé de


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Février 2021 – Causeur #87

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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