Antoine Valentin, 27 ans, maire de Saint-Joire-en-Faucigny (Haute-Savoie), dénonce l’abandon des territoires ruraux. Le cri d’alarme d’un élu qui ne renonce pas à agir malgré le désengagement de l’Etat.
64 jours et 8 heures de mandat, voici ma naissante expérience de premier magistrat, avant de prendre aujourd’hui la plume pour vous faire part de mes constats d’élu d’un territoire abandonné par l’Etat. Je suis le jeune maire (27 ans) d’un village haut-savoyard de 3400 habitants. Ma commune n’est ni pauvre, ni riche ; autrefois chef-lieu de canton, elle est désormais le ventre mou d’un territoire convoité par les grandes agglomérations voisines, une sorte de réserve de travailleurs et de lotissements. C’est la France des châteaux, des chapelles et des belles fermes, vampirisée par les lotisseurs et promoteurs. Une grande partie de nos commerces de proximités a fermé. Heureusement, nos PME se battent et survivent. Nous ne sommes pas tout à fait une ville, mais plus tout à fait un village.
4 heures, le temps nécessaire pour comprendre le cloaque terrible dans lequel nos territoires ruraux se noient. Juste après mon premier conseil municipal, vers 23h, je visite mon futur bureau de maire. Sous ses fenêtres, un parc public magnifique, dont s’échappent déjà les volutes des chichas d’un groupe d’une trentaine de « jeunes » entre gloussements bruyants et musique urbaine criarde. Inutile d’intervenir, on me prévient, « C’est tous les soirs pareil, ils sont parfois violents, n’y allez pas ! » A peine arrivé, il faut à l’élu local déjà baisser les yeux, abandonner toute velléité d’ordre, pour éviter insultes, crachats ou même agressions physiques.
Des gendarmes dépassés
Là où la politique de la ville amène, dans certaines zones, la présence policière à un agent pour 850 habitants, notre territoire rural compte un gendarme pour pratiquement le double d’administrés. Mieux encore, la distance entre les deux points les plus éloignés de la circonscription de notre brigade de gendarmerie nécessite plus de 45 minutes de route. Inutile de vous dire que malgré leur engagement total et dévoué, nos gendarmes sont aussi sur-bookés que sous-équipés, pour dire… Inutile de vous avouer ici que nos forces de l’ordre, seulement deux agents en service la nuit, sont parfois réquisitionnés pour accompagner un détenu de la prison voisine pour un séjour hospitalier.
Entre nous soit dit, historiquement, la présence policière fut déjà bien plus faible dans notre territoire, mais cela, c’était avant l’ensauvagement de nos campagnes. Figurez-vous, qu’enfant, j’ai connu mon petit village rural franchement calme. En dehors de quelques incartades avec les enfants du CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) voisin, rien n’était à signaler. Oui, j’oubliais de vous en parler, dans notre commune de 3400 habitants, nous accueillons entre 100 à 130 migrants en attente de régularisation. Une proportion que l’on retrouve dans presque aucune grande ville française, mais qui semble dans notre petit village, ne pas déranger pour un sou les pouvoirs publics. On ne peut pas reprocher concrètement à ces demandeurs d’asile de provoquer le chaos ou l’ensauvagement, mais leur présence accentue le sentiment général de dépossession qu’éprouvent certains gens du cru.
Vingt mineurs isolés
Leur encadrement est proportionnel à la présence des forces de l’ordre sur le territoire : sous-dimensionné. Concrètement, une vingtaine de mineurs isolés vit en autonomie dans des appartements loués par le Conseil départemental, en plein centre du village. Un éducateur spécialisé leur rend visite une fois par jour, le matin, sauf le weekend. Comment croire que de jeunes adolescents, avec la fougue de leur âge, l’euphorie de la découverte de l’opulence de notre système social et le sentiment de groupe, puissent intégrer seuls les codes, valeurs et règles de notre République?
Un jour, un habitant du village m’a fait constater l’état particulièrement sale du jardin du centre d’accueil des migrants. En effet, les espaces verts y sont systématiquement souillés d’une multitude de déchets, bouteilles de Coca, emballages de Macdonald et autres immondices. Après que j’ai fait remarquer cette situation au gestionnaire des lieux, celui-ci m’a avoué qu’il en était ainsi depuis toujours et qu’il ramassait plusieurs fois par semaine les déchets jetés par la fenêtre par les occupants en attente de régularisation. Une drôle de façon d’intégrer les règles élémentaires de savoir-vivre pour ces Français en devenir et un symbole supplémentaire de soumission : un Français mal payé ramasse les déchets de candidats à la citoyenneté.
Chaos nocturne
Ce que nos habitants ruraux n’acceptent pas, à juste titre, c’est de voir leurs villages sombrer dans le chaos une fois la nuit tombée, l’apparition de nouvelles populations aidées, pendant que l’Etat se désengage plus en plus de leur quotidien.
Exemple simple, aussi révélateur que tragique, que celui d’un jeune handicapé du village, âgé de seulement 20 ans, décédé lors du deuxième mois de mon mandat. Alors qu’il se trouvait en état de détresse manifeste, malgré les appels de ses parents aux secours, personne ne s’est déplacé à son chevet. Laissant ainsi à ses parents, âgés, la lourde charge de le transporter tant bien que mal, en pleine nuit, aux urgences de l’hôpital le plus proche, où il délivrera son dernier souffle. Je ne suis pas moi-même médecin et sans présumer des conséquences sur sa santé d’une intervention des secours, nous pouvons, ensemble, affirmer que celle-ci aurait à minima, évité un traumatisme irréversible à ses proches. Que dire d’une société qui abandonne ses plus faibles quand ils en ont vraiment besoin ? C’est le drame du Français moyen : trop humble et poli pour s’énerver et demander, il est le grand oublié des politiques publiques. Une masse de l’ombre aussi silencieuse que besogneuse, nourrit financièrement, par son travail, un système politique qui la sacrifie chaque jour au profit de minorités gesticulantes et bruyantes. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une partie importante de l’immigration de deuxième génération s’est si bien intégrée qu’elle appartient elle aussi désormais à cette classe moyenne oubliée.
Taguer une école pour la protéger
Si dans nos villages ruraux les agriculteurs sont progressivement remplacés par les pendulaires, le beau est lui aussi inéluctablement remplacé par le laid. Ainsi, chaque jour, nos campagnes s’enlaidissent à coup de lotissements, de street art de seconde zone et de bâtiments publics pseudo-futuristes. Dans ma commune, le département a récemment rénové un bâtiment à grand renfort de façades en panneaux de résine, rouges, jaunes fluo et marron. Ignobles. Tandis que la rénovation de l’école primaire touchait à sa fin, on m’expliqua qu’il fallait désormais trouver un partenaire pour taguer ses murs périphériques. Taguer une école ? On m’expliqua que le meilleur moyen d’éviter les dégradations et graffitis sur cette nouvelle école républicaine était de financer bombes de peinture et éducateurs spécialisés pour accompagner les « jeunes » en difficulté dans un exercice « d’art urbain » improvisé. Il revient donc à la municipalité de financer la dégradation de son bien, par des artistes qui n’en ont que le nom, pour éviter de futurs graffitis. CQFD.
Rien n’est perdu
Je suis donc le maire d’un territoire où la lutte contre l’ensauvagement généralisé de notre société est une réalité quotidienne, une sorte de donnée dramatique de l’équation de nos vies de ruraux abandonnés. Une fois ce cadre de travail posé, rien n’est perdu. Si je suis persuadé que l’Etat ne fera rien pour nos campagnes, je suis certain que la France rurale a la force de terrasser ce mal importé et désormais en notre sein. En trois mois, avec mon équipe, nous avons multiplié les actions concrètes pour endiguer la terrible maladie dont souffre la ruralité française : arrêté interdisant la chicha et la consommation d’alcool dans l’espace public, renforcement de l’action de la police municipale, partenariat accru avec les forces de l’ordre…. Nous avons proposé davantage de services à nos classes moyennes et recentré notre politique à leur destination : périscolaire, prix de la cantine, aides financières au permis de conduire des jeunes, etc. Inutile de vous dire qu’il n’y aura pas de tags financés par nos services et que ceux existants dans la commune sont déjà effacés. Pierre après pierre, nous reconstruisons un cadre de vie agréable pour la population qui nous a élus. Ce long combat commence déjà à porter ses fruits.
Rien n’est perdu, mais rien n’est acquis. Si nous voulons sauver notre douceur de vivre campagnarde, il ne faudra rien lâcher, ne rien tolérer et ne plus jamais baisser les yeux devant la terrible réalité. Du moins, en attendant le retour à la raison de nos dirigeants nationaux.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !