Olivier Assayas sort un très beau film qui parle avec un juste recul de l’époque, de la méfiance face à l’engagement et aux dérives délirantes de l’après mai 68. Le spectateur suit le regard singulier du personnage principal Gilles (Clément Métayer) alter ego du cinéaste ainsi que les trajectoires de ses amis qui oscillent entre engagement politique et expérimentations esthétiques. Alain (Félix Armand), l’autre artiste qui-part en Afghanistan en compagnie de deux américains ; Christine (Lola Créton) qui choisit la cause politique mais cherche surtout un certain confort amoureux ; Jean-Pierre (Hugo Conzelmann), le militant, imperturbable et dogmatique ; Laure (Carole Combes), sorte de muse hippie égarée dans les affres de la sensualité et de la drogue. Dans Après mai, tous les garçons et les filles cherchent un chemin entre les impératifs du groupe et leur quête personnelle. En cela, ce film reflète avec justesse cette époque de tourments, montrant les désirs individuels qui fleurissaient sous l’idée de révolution après le joli mois de mai en France et dans le monde.
Sortir du collectif pour s’épanouir en tant qu’être humain responsable, trouver sa voie au travers de la création artistique tel est le but de ces adolescents rebelles amoureux de la campagne et admirateurs de Frans Hals, ce grand peintre néerlandais du siècle d’or. Faire de sa vie un engagement esthétique, penser l’art comme résistance au monde dans la société spectaculaire marchande qui domine la vie : autant de thèmes développés par Olivier Assayas dans ce film sensible et secret. Le versant sentimental du film est passionnant car il nous rappelle combien, dans cette période de « révolution sexuelle », les rapports entre filles et garçons étaient loin d’être libérés et évidents. L’époque très fleur bleue était marquée par une éducation sentimentale très flaubertienne.
Assayas atteint une virtuosité touchante dans de nombreuses scènes : celle de l’auberge de jeunesse à Florence où la sensualité des adolescents répond à la protest-song Ballad Of William Worthy de Phil Ochs, ou lorsqu’il nous ouvre son film par une manifestation où les étudiants sont chargés par la police. Ces deux séquences illustrent avec brio la vitalité de la jeunesse, son sens de la rébellion, une sorte de beauté pure du geste révolutionnaire.
Après mai est un grand film sur la croyance et l’engagement, quoiqu’en disent certains critiques aveuglés par leur oeillères idéologiques. La scène finale, où Gilles va au cinéma voir un film expérimental de Kenneth Anger nous le montre découvrant en surimpression sur l’écran l’image de Laure, sa première petite amie tragiquement morte dans une fête hippie, qui lui tend la main, comme pour lui intimer la mission de transmettre par l’art du cinéma ses pensées sur le monde. À n’en pas douter, Après mai est le roman d’apprentissage d’un jeune garçon qui trouve sa place et sa raison de vivre, le cinéma, dans l’univers corseté des années 1970.
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