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Dans l’enfer ultraprogressiste

Le suicide de l’humanisme


Dans l’enfer ultraprogressiste
Manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, Bordeaux, 25 novembre 2023 © UGO AMEZ/SIPA

À l’image du libéralisme, le progressisme a lui aussi ses « ultras ». Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes: hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi.


La mutation du concept de progrès en idéologie progressiste portait déjà en elle le ver du fanatisme. Non, toute nouveauté ne peut être sanctifiée, ni tout ce qui est ancien, bon à jeter aux orties ou à « déconstruire ». Il en va aujourd’hui du progressisme comme du libéralisme économique : parfois, trop, c’est trop. Obliger ainsi EDF à vendre à perte son électricité à des « concurrents » qui ne produisaient rien relevait du dogmatisme. Cet ultralibéralisme a désormais son pendant sociétal : l’ultraprogressisme. Ses sectateurs hurlent à l’énoncé suivant – « Tous les musulmans ne sont pas terroristes ; mais tous les terroristes sont musulmans » – mais applaudissent, émus, à cette affirmation : « Tous les violeurs sont des hommes donc tous les hommes sont des violeurs potentiels. » Les mêmes se battent contre l’expulsion de terroristes présumés, au nom d’un État de droit détourné de son objet. Défendre un seul individu, quitte à sacrifier l’intérêt de millions d’autres, constitue l’essence fanatique de l’ultraprogressisme – à l’instar « du monde rempli d’idées chrétiennes devenues folles », décrit par Chesterton.

Trouple infernal

Nos nouveaux gardes rouges intersectionnels font régner la terreur grâce à quelques tours de passe-passe simples et redoutables. Ils ont ainsi élargi le concept aussi généreux que dangereux du « Femme, je te crois » à toutes les communautés sexuelles ou raciales : « Membre d’une minorité, je te crois » est devenu leur credo. Écouter est une chose ; croire sur parole en est une autre. C’est pourtant bien une nouvelle Loi des suspects dont ils ont établi le principe, puisque la contrepartie de cet axiome s’écrit « Membre de la majorité (sexuelle, raciale), tu mens. » Un dogme totalitaire qui crève les yeux, une tyrannie bienveillante au nom d’un humanisme dévoyé. Désormais, « Émeutier issu de la diversité, ta rage est légitime » ; tandis qu’« Émeutier blanc anti-immigration, tu mérites la prison ».

Tout membre de la majorité se voit, au demeurant, sommé d’observer chaque mantra progressiste, sans exception. L’adhésion des minorités aux injonctions LGBT, féministes, écologiques, antiracistes ou animalistes se fera, en revanche, « à la carte ». L’antisémitisme des cités ? Silence gêné. L’homophobie des « quartiers » ? Un (petit) ange passe. Le voile ou l’abaya ? Une liberté de femme pudique. L’excision ? Vous pouvez répéter la question ? Les souffrances animales de l’abattage rituel ? Toute critique relèverait de l’islamophobie. Ces millions de moutons égorgés ne sont rien en comparaison… des quelques centaines de taureaux sacrifiés dans les arènes par des Blancs réactionnaires. La corrida devient, à les écouter, un ignoble génocide alors que l’Aïd figurerait un aimable enrichissement diversitaire. L’ultraprogressisme ressemble à un trouple infernal entre Tartuffe, Ubu et Orwell.

La soif de justice affichée par ses (gentils) thuriféraires désireux de défendre chaque victime du racisme ou du (méchant) patriarcat, n’a de limites que l’origine ethnique du coupable. Les contorsions auxquelles se livrent les néoféministes pour relativiser le sort des Israéliennes violées ou celui des Iraniennes voilées portent un nom : l’hypocrisie. La traite de jeunes blanches à Telford par des Pakistanais, les viols de Cologne ou le harcèlement de rue à La Chapelle ne les avaient pas plus intéressés. Prompte à dénoncer de fantasmatiques micro-agressions nécessitant l’abri d’un « safe space », vigilante face au moindre « mégenrage », ulcérée par la mention de « mademoiselle » dans un formulaire, la nébuleuse ultraprogressiste ne voit rien, n’entend rien dès que les agresseurs ne sont pas de type caucasien. Leur « justice » a le goût de la revanche et l’odeur peu ragoûtante de la vengeance. Vengeance contre l’Occident. Vengeance contre le mâle. Vengeance contre l’hétérosexuel. Vengeance contre le Blanc. Vengeance contre le juif. Les autres, les « racisés » ne peuvent être coupables de rien, tandis que, symétriquement, la majorité « non racisée » ne peut jamais être totalement innocente. La théorie délirante du racisme systémique prend sa source dans ce raisonnement et le prétendu privilège blanc, c’est désormais celui d’être l’éternel criminel, a minima « the usual suspect ». Avoir systématiquement tort en fonction de sa pigmentation, n’est-ce pas la définition même du racisme et l’instauration d’une hiérarchie raciale dont le progressisme devait à jamais nous débarrasser ?

Escroquerie à l’émotion

Notre protection sociale, nos lois, nos droits de l’homme (pardon nos droits humains) se voient méthodiquement détournés contre l’intérêt général. Non, en Méditerranée, les ONG ne secourent pas des marins victimes d’une fortune de mer mais des naufragés volontaires, abusant d’une solidarité ancestrale. Mettez le feu à votre maison et essayez de vous faire indemniser par votre assureur. Il vous expliquera la différence entre un accident et une fraude. L’ultraprogressisme pratique l’escroquerie à l’émotion, une technique bien définie, dans un autre contexte, par le fisc et durement sanctionnée : l’abus de droit. Mais attention : le cadavre du petit Aylan, c’était de l’émotion légitime ; le meurtre de la petite Lola, une ignoble récupération.

Le vocabulaire qu’impose le progressisme dans la sphère médiatique construit méthodiquement une prison mentale de laquelle on ne s’échappe qu’au prix du sceau infamant de l’extrême droite. Il en va ainsi du concept désormais admis d’islamophobie. La résistance des Français aux oukases religieux de l’Islam (voile, mixité, etc.) n’est pas une haine de l’Islam, mais une simple exigence d’intégration de la part de la majorité. En quoi ce souhait de respect des us et coutumes d’un des pays les plus accueillants de la planète pourrait-il être assimilable à de la haine ? Ingratitude et passions tristes font ainsi le miel de l’ultraprogressisme qui marche main dans la main avec le communautarisme. Conséquence de ce travail de sape, l’intérêt général disparaît au profit unique des droits individuels et des communautés. L’État-providence n’y survivra pas.

Cette dérive fanatique du progressisme signe en effet, et la fin de l’égalité des citoyens, et celle de la solidarité nationale (la Nation, quel mot horrible !). Bref, la fin du progressisme en son nom.

Octobre 2024 - Causeur #127

Retrouvez cet article dans le Magazine Causeur N°127 de Octobre 2024

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Diplômé d'HEC, il a travaillé de nombreuses années dans la presse ("Le Figaro", "Le Nouvel Obs", "Libération", "Le Point", etc.). Affectionnant les anarchistes de droite tels Jean Yanne ou Pierre Desproges, il est devenu l'un des meilleurs spécialistes de Michel Audiard. On lui doit deux livres de référence sur le sujet : <em>Le Dico flingueur des Tontons</em> et <em>L'Encyclopédie d'Audiard</em> (Hugo & Cie).

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