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Les enfants uniques, grands oubliés du Covid-19

Lettre d'un confiné berrichon à tous mes jeunes frères et sœurs


Les enfants uniques, grands oubliés du Covid-19
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D’un confiné berrichon à tous mes jeunes frères et sœurs oubliés du Covid-19


Je m’adresse à toi qui n’auras droit à aucun reportage télé. Ta solitude n’intéresse pas les médias. Tes tracas sont inaudibles. Ton mal-être est superflu. Te plaindre passerait pour une provocation en ces temps de crise sanitaire. Rassure-toi, je suis là, mon petit, je ne laisserai plus les insultes et la méchanceté s’abattre sur ta personne. Je sais ce que tu endures. Je connais le bruit de la médisance et la hargne contre nous autres. Aujourd’hui, nous devons faire bloc. Cette furie populaire insensée, vieil héritage des familles nombreuses, nous la subissons sans moufeter, sans nous rebeller, nous riions même des blagues sur notre caractère supposé capricieux d’enfant gâté, chéri, pourri, idolâtré, trop heureux pour être honnête, trop aimé certainement. Quels efforts insurmontables n’avons-nous pas entrepris pour aller au-devant des autres, jusqu’à pratiquer, dès le plus jeune âge, l’autodérision et l’autoflagellation ? Nous sommes des champions en auto-défense. Les autres nous détestent, ils nous font payer notre singularité. Elle est suspecte et néfaste, à leurs yeux. S’ils le pouvaient, ils interdiraient la politique de l’enfant unique. Ils se vengent par malveillance, juste par envie de blesser, de faire mal. 

Mal aimés, nous sommes les mal aimés

La délation qui resurgit actuellement répond au même ressort psychologique : nuire à son prochain en espérant en tirer un quelconque profit ou apaiser ses pulsions malsaines. Il faut relire les évangiles pour savoir que toute ignominie flétrit l’âme, abîme plus qu’elle ne guérit. Depuis la nuit des temps, ils colportent sur nous les mêmes stéréotypes. Nous cumulons tous les vices, notre individualisme nous pousserait vers un égoïsme abject. Évidemment, nous resterons toujours de sales gamins accrochés à leurs jouets comme à leurs privilèges, surprotégés bien sûr, ignorant le sens du partage et du sacrifice. Nous avions droit à quatre pots de MaronSui’s le soir au dîner, c’est dire notre gloutonnerie capitaliste, notre totale absence de mesure. Combien de fois, ai-je entendu des jeunes mères venant d’accoucher et souhaitant donner au plus vite un frère ou une sœur à leur progéniture de peur que celle-ci ne prenne les travers de l’unicité et s’engage dans la voie de la délinquance familiale ? Avec une fratrie à ses côtés, ce nouveau-né sera sauvé, très tôt, il apprendra à respecter les autres, sinon, il nous ensevelira sous des désirs contradictoires et inassouvis. Que savent-ils de nos angoisses ? Ils nous imaginent en rois et reines des foyers, despotes pas du tout éclairés, commandant nos parents à la baguette, comme si chaque minute devait nous être pleinement et entièrement consacrée. Relevons la tête, ensemble, mes amis ! Le confinement, nous le vivons depuis le jour de notre naissance. L’ennui est notre ami imaginaire. Nous avons appris à contenir sa fougue, à contrecarrer ses plans obscurs. Les sarcasmes, nous les encaissons depuis la cour de la maternelle. Notre statut d’enfant unique suscite la jalousie de nos camarades et de leurs parents. 

A lire aussi, Peggy Sastre: Confinement, discipline et bonnes manières

Ne sois plus seul à porter sur tes frêles épaules toutes les aigreurs de la société. Depuis plusieurs semaines, on t’a même carrément abandonné. Ton sort n’intéresse personne. On préfèrera évoquer le quotidien des nécessiteux qui vivent à dix dans trente mètres carrés, tous les violentés des achélèmes et les dealers désœuvrés des cages d’escalier, qui faute d’approvisionnement, ruminent leur haine du système. Si tu cumules la double peine : enfant unique et vivant à la campagne dans un village de moins de 2000 habitants, tu n’existes pas dans ce pays. Les reportages se réjouissent du retour des jeux de société de notre enfance. Au secours, notre cauchemar revient. Les salauds, quand arrêteront-ils de nous narguer ? Pour les enfants uniques, le Monopoly, le Cluedo ou le Puissance 4 font remonter, à la surface, des blessures encore vives. Avez-vous déjà essayé de faire un Mastermind tout seul ? Vous comprendrez le sentiment d’abandon et d’échec qui nous saisissait si souvent durant les longues vacances scolaires. 

Courage, mes frères

Alors, je pense à vous en ces jours pénibles. Ce confinement ne nous tuera pas ! Je veux vous éviter de sombrer dans la dépression ou la misanthropie. Même, si sous la plume de Paul Léautaud, ça donne de belles pages de littérature : « Déjà peu liant, n’éprouvant nullement le besoin d’une société, le même que j’avais été enfant, je n’avais guère non plus de compagnons dans mes allés et venues de Paris à Courbevoie, et c’était presque toujours renfrogné dans un coin de wagon que j’allais à mes besognes et en revenais » (Amours/L’Imaginaire Gallimard numéro 345). Tenez bon mes camarades ! La route est longue, j’ai aussi une pensée pour mes vieux frères et sœurs qui doivent faire face au grand âge de leurs parents. Face à cette injustice-là, l’enfant unique est encore plus seul.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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