Après les victoires d’Italie, Bonaparte parvint à s’imposer à la France comme le seul recours dans un jeu de rôles fourbu – rien n’eût été possible sans la guerre, véritable moteur de l’épopée napoléonienne.
Si la jeunesse est une forme d’impatience amoureuse envers la mort, les hommes de la Révolution française ont adoré cette ivresse-là – ils ont proscrit les vieillards ! Cette dure loi n’a pas épargné le plus célèbre et le plus controversé de ses enfants : Bonaparte. Là où la révolution américaine met en scène des patriarches – une assemblée de sages méditant sous des magnolias et des colonnes repeintes à l’antique –, la Révolution française a recruté et séduit des hommes dans la fleur de l’âge avant de les éliminer tour à tour par une surenchère macabre – ou de transformer les plus chanceux en notables. Bonaparte n’est pas Washington – c’est un chef de 30 ans. Dix ans plus tard, il est empereur des Français. Encore une décennie, la messe est dite, sa destinée est close faute d’être accomplie. No country for old men.
Rien ne semblait prédisposer Bonaparte à une telle destinée
Les historiens échouent encore à comprendre : d’où lui vient ce don d’incarner subitement la nation nouvelle, puis d’en personnifier les triomphes et la chute ? Lui-même s’interroge à Sainte-Hélène autant pour ériger sa stèle posthume que pour se remémorer les péripéties d’une « vie extraordinaire » – et ce qu’elle recèle d’insensé. Staline a failli devenir prêtre, puis brigand de grands chemins, Hitler est un peintre raté. Rien dans leurs débuts ne permet d’entrevoir leur carrière. Pareillement, chez Bonaparte, rien ne se distingue d’emblée d’une ambition précoce, d’un orgueil prémonitoire ou d’un grand dessein, rien dans sa jeunesse ne l’y prédispose. Longtemps, il paraît frêle, indécis, poussé par les circonstances. Médiocre à maints égards – il est classé 42e sur une promotion de 58 élèves à l’École militaire –, l’aigle tarde à affirmer son génie d’abeille.
