Le projet de loi concocté par le gouvernement ne permettra pas de mieux contrôler l’immigration. Les timides réformes administratives et judiciaires qu’il propose ne tiennent pas compte de l’évolution des flux d’arrivants et, surtout, n’ont rien de dissuasif pour quiconque les contournerait.
Cinq ans après l’adoption de la loi « Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », Emmanuel Macron et son gouvernement remettent leur ouvrage sur le métier[1], avec le projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Avec 137 000 nouvelles demandes d’asile et 320 000 primo-délivrances de titres de séjour enregistrées en 2022, la loi du 10 septembre 2018 est loin d’avoir atteint son objectif de « maîtrise de l’immigration ». Le nouveau projet de loi a-t-il des chances sérieuses de mieux faire ? C’est ce que prétend le gouvernement, qui propose pour cela quatre séries de mesures : réforme de l’asile, expulsion des étrangers qui menacent l’ordre public facilitée, sanction du travail illégal et renforcement des conditions d’accès au séjour.
Une réforme à la marge du système de l’asile, qui ne corrige aucun dysfonctionnement majeur
La réforme proposée comporte, d’un côté, des mesures concernant la gestion administrative de l’asile, et de l’autre des mesures relatives à l’énorme contentieux généré par les demandeurs (plus de 40 % des affaires traitées par les tribunaux administratifs en 2019).
S’agissant de la gestion administrative, le projet de loi propose de créer des guichets uniques « France Asile » regroupant les services des préfectures, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le projet de loi modifie également les procédures – nombreuses et complexes –du contentieux de l’asile.
Concernant les procédures devant la Cour nationale du droit d’asile, le point le plus notable consiste en l’institution du juge unique pour examiner les recours. S’agissant des procédures devant le juge administratif, elles sont réduites au nombre de quatre, en fonction de l’urgence à statuer. Enfin, devant le juge des libertés et de la détention, la seule modification procédurale consiste en l’ajout d’un nouveau motif permettant de porter le délai de jugement des requêtes à quarante-huit heures (contre vingt-quatre), et de maintenir l’étranger en zone d’attente au-delà de quatre jours. Directement inspiré de l’affaire de l’Ocean Viking qui avait accosté à Toulon avec 234 demandeurs d’asile en novembre 2022, ce nouveau motif est le « placement en zone d’attente simultané d’un nombre important d’étrangers au regard des contraintes du service juridictionnel ». Il est toutefois à craindre que cette disposition devienne rapidement obsolète, tant il paraît improbable que le juge des libertés et de la détention, déjà débordé, parvienne à traiter en quarante-huit heures un contentieux dont la masse l’a empêché de se prononcer en vingt-quatre, dans un contexte d’inflation continue des arrivées.
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En supposant que ces mesures permettent de mieux administrer le système de l’asile, elles ne sont de nature ni à réduire le nombre de demandes d’asile, ni à améliorer le taux d’exécution des mesures d’éloignement des déboutés. Cet éloignement effectif dépend en effet du bon vouloir des pays d’origine. Ainsi, en 2021, plus de 120 000 obligations de quitter le territoire français ont été prononcées, et moins de 15 000 réalisés, un taux d’exécution de 12,5 %, l’un des plus faibles d’Europe.
En outre, aucune disposition du projet de loi n’a pour objet de dissuader les demandes d’asile infondées, alors même qu’une minorité de demandeurs seulement se voit octroyer la protection internationale. Au contraire, certaines mesures ne visent qu’à mieux préparer le système de l’asile à absorber un nombre croissant et massif de demandes, via l’extension du délai de jugement des décisions de placement en zone d’attente. Rien n’est donc fait pour corriger les principaux défauts du système : un taux d’exécution calamiteux des mesures d’éloignement conjugué à une absence de mesures dissuasives à l’égard des demandes infondées. Dans le projet de loi, les déboutés de l’asile ont donc toujours plus de chances de se maintenir sur le territoire national que de le quitter.
De timides mesures visant à mieux sanctionner les étrangers qui menacent gravement l’ordre public
En l’état actuel du droit, les étrangers ne peuvent être expulsés[2] que s’ils représentent une menace grave pour l’ordre public (article L631-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou CESEDA) et s’ils ne bénéficient pas de l’une des nombreuses protections mentionnées aux articles L631-2 et L631-3.
Ainsi, l’article L631-2 ne permet l’expulsion d’un étranger parent d’enfant français mineur, conjoint de Français, résidant en France depuis plus de dix ans ou titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, que si son maintien sur le territoire national menace la sûreté de l’État ou la sécurité publique. Deux exceptions sont toutefois prévues à ces protections : l’étranger condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins cinq ans et l’étranger vivant en situation de polygamie.
L’article L631-3 va plus loin et ne permet l’expulsion de certains étrangers – résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de vingt ans ; depuis plus de dix ans et marié depuis quatre ans avec un Français ou un étranger vivant en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de dix ans et parent d’un enfant français mineur ; étranger malade ne pouvant bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine – qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Les étrangers visés à cet article L631-3 peuvent toutefois être éloignés s’ils vivent en situation de polygamie ou si les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de leur conjoint ou de leurs enfants.
Le projet de loi vient réduire l’étendue de ces protections : ce n’est plus la durée de la peine de prison effectivement infligée par le juge qui permet de prononcer une expulsion, mais la durée encourue. Le juge ne peut donc plus protéger d’une expulsion un étranger menaçant la sûreté de l’État ou la sécurité publique en le condamnant à une faible peine de prison.
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Il convient toutefois de relativiser la portée de ces dispositions. Pour tous les faits punis de moins de cinq ans de prison, l’étranger continue de bénéficier des protections des articles L631-2 et L631-3. En outre, la peine de prison d’au moins cinq ans n’est pas un motif suffisant d’expulsion, encore faut-il que l’État prouve que l’étranger continue de représenter une menace grave pour l’ordre public. Enfin, lorsqu’il est saisi d’une décision d’expulsion, le juge apprécie sa nécessité et sa proportionnalité, notamment à l’aune de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit de toute personne « au respect de la vie privée et familiale » et a donné lieu à une abondante jurisprudence très protectrice des étrangers faisant l’objet de mesures d’expulsion.
On peut trouver surprenant qu’il existe des « protections » pour empêcher l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public, voire dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ce qui laisse penser que l’État est plus soucieux de préserver le droit au séjour d’un étranger dangereux que la sécurité de ses propres citoyens.Vu l’étendue de ces protections, que le projet de loi préserve, l’expulsion devrait donc rester une mesure de police exceptionnelle (en 2022, seuls 341 arrêtés d’expulsion ont été ordonnés).
Lutter contre le recours au travail illégal et, « en même temps », régulariser les clandestins travaillant dans les métiers en tension
Le projet de loi crée une amende, pouvant aller jusqu’à 4 000 euros par travailleur, à l’égard des personnes qui emploieraient des étrangers n’ayant pas le droit de travailler. Il introduit « en même temps », à titre expérimental jusqu’en 2026, une carte de séjour temporaire mention « travail dans les métiers en tension », valant autorisation de travail. Pour bénéficier de cette carte, l’étranger devra exercer ou avoir exercé pendant au moins huit mois au cours des vingt-quatre derniers mois une activité salariée dans un métier ou une zone géographique en tension.
Ainsi, le gouvernement concocte-t-il un texte qui parvientà la fois à renforcer les sanctions contre le travail illégal et à permettre la régularisation des clandestins travaillant dans les métiers en tension, ce qui aura pour conséquence un recours accru au travail illégal. Bien loin de l’objectif de mieux contrôler l’immigration, ou d’améliorer l’intégration, le projet de loi crée ainsi une raison de plus de tenter d’entrer et de se maintenir irrégulièrement sur le territoire.
Un timide renforcement du contrôle de l’intégration des étrangers
Pour « améliorer l’intégration », le gouvernement propose d’obliger l’étranger qui demande un titre de séjour à s’engager à respecter une série de principes dits républicains – liberté personnelle, liberté d’expression et de conscience, égalité entre les femmes et les hommes, dignité de la personne humaine, devise et symboles de la République –, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.
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Cette disposition, déjà prévue pour la carte de séjour pluriannuelle et la carte de résident, est étendue à la carte de séjour temporaire (annuelle). Toutefois, la délivrance de ce titre n’étant soumise à aucun prérequis linguistique, il est probable qu’un certain nombre d’étrangers signeront cet engagement sans en comprendre la lettre et encore moins l’esprit. En outre, les sanctions (refus, retrait ou non-renouvellement du titre) ne peuvent être prises qu’à des conditions très restrictives : manquements suffisamment graves et caractérisés et décision prise après avis de la commission du titre de séjour. Surtout, la sanction encourue doit être mise en balance avec le respect de la vie privée et familiale du demandeur, qui reste prioritaire.
Le projet de loi conditionne également la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de connaissance de la langue française, là où cette délivrance n’est aujourd’hui conditionnée qu’à la participation assidue aux formations prévues dans le contrat d’intégration républicaine (CIR). Cette simple exigence d’assiduité explique qu’environ un quart des signataires du CIR n’atteigne pas le niveau A1 (le plus faible) à l’issue de son parcours, sans que cela fasse obstacle à la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle.
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Le niveau attendu pour la délivrance de cette carte doit être fixé par décret, mais il est peu probable qu’il soit supérieur à A1.À titre de comparaison, l’Italie exige un niveau A2 après deux ans de séjour, qui peuvent être prolongés d’un an, avant que le titre de séjour soit retiré et que l’étranger puisse faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Même avec l’introduction de cette exigence linguistique – qui peut être contournée par la multiplication des cartes de séjour temporaires comme le suggère le directeur de l’OFII[3]–, la France resterait donc l’un des pays les moins exigeants d’Europe pour l’admission au séjour.
Comme en 2018, ce projet de loi relatif à l’immigration manque d’ambition, et ne peut être considéré comme permettant sérieusement de mieux « contrôler l’immigration » ni d’« améliorer l’intégration ». Les mesures proposées sont d’autant plus décevantes que plusieurs démocraties occidentales (Danemark, Royaume-Uni, États-Unis) ont proposé des réformes innovantes et efficaces de leurs politiques migratoires dans la période récente, dont la France aurait pu s’inspirer : externalisation de la gestion de l’asile à des pays tiers, restrictions du regroupement familial, instauration de quotas annuels… Dans ce contexte, les très timides mesures proposées, qui éludent totalement les sujets essentiels de l’acquisition de la nationalité et de l’immigration familiale, témoignent davantage d’un souhait de continuité de la politique actuelle que d’une volonté de réforme authentique. Le président de la République ne s’en cache d’ailleurs pas, lorsqu’il affirme, dans un entretien au Figaro du 2 août 2023, que la France « continuera d’être un pays d’immigration », et qu’il souhaite y conduire une « politique de peuplement ».
[1]Cette analyse porte sur la dernière version connue du PJL Immigrationprésentée par le Gouvernement au 1er semestre 2023
[2]. L’expulsion, à ne pas confondre avec l’éloignement, est une mesure de police administrative ne visant que les étrangers – en situation régulière ou non – représentant une menace pour l’ordre public.
[3]. Entretien au Figaro du 13 mars 2023.