Comme à chaque campagne électorale, les deux prétendants à la Maison Blanche ne cessent de surenchérir l’un sur l’autre en matière de lutte contre les Etats-voyous. De l’Iran à la Corée du Nord, la liste de ces derniers est bien connue, même si elle varie quelque peu au gré des humeurs de Washington, ce qui est bien naturel : tout Etat a pour vocation première de défendre ses propres intérêts, seuls les cornichons ou les altermondialistes prétendent le contraire.
Néanmoins, dans cette liste, il est un absent de taille, un Etat qui nargue effrontément la communauté internationale depuis des lustres sans que jamais Washington, Bruxelles ou les Nations Unies n’aient envisagé la moindre sanction.
A première vue, ce non-interventionnisme pourrait s’expliquer parce qu’il s’agit d’un banal paradis fiscal. En effet, pour peu que l’activité réelle de votre entreprise se situe hors des frontières de l’Etat en question, il n’y a là-bas aucun impôt sur les sociétés qui y sont domiciliées, ni sur les dividendes de leurs associés. Pas même de droits de succession sur les actions détenues par les non-résidents. Juste une taxe annuelle inférieure à 200 euros pour votre SA ! Bref, un dumping fiscal éhonté, qui ne manque pas de porter préjudice aux autres Etats, qui continuent à collecter l’impôt, ainsi qu’aux entreprises vertueuses qui persistent à ne pas se délocaliser. Mais trêve d’angélisme : on a beau être à cheval sur l’éthique des affaires, on ne va tout de même pas demander aux Américains d’envoyer leur GI’s dans tous les pays qui offrent des avantages comparatifs en matière de taxes ou d’impôts. D’ailleurs, à l’instar des Iles Marshall, maintes quasi-colonies américaines sont des paradis fiscaux, régulièrement dénoncés comme tels par les instances internationales. La France, elle, n’a pas de leçon à donner, puisqu’elle fait de même à Saint Barth’ ou en Polynésie. Et toute la sourcilleuse Europe connaît les avantages d’Andorre, de Jersey et de Monaco.
On ne va pas se fâcher pour si peu, donc, et encore moins déclencher une kyrielle de conflits pour quelques milliards de dollars extorqués plus ou moins légalement aux finances publiques des Etats de droit. Là où le bât blesse, c’est que celui qui nous intéresse n’est pas seulement un énième paradis fiscal – autrement dit, un endroit où on paye peu d’impôts –, mais aussi ce que les criminologues appellent par antiphrase un « paradis judiciaire ». En clair un Etat de non-droit. Et en encore plus clair, un Etat qui offre toutes les garanties au libre exercice de la criminalité financière internationale.
Comme l’explique avec ses euphémismes à lui « le site de référence » (dont sont extraites toutes les citations qui suivent) : « La souplesse de son code des sociétés facilite et simplifie la constitution et la modification des statuts d’une société. Sa jurisprudence abondante, offre une sécurité juridique très supérieure à celle des autres Etats, et la capacité d’adaptation de son droit, suit de près l’évolution des besoins des entreprises. » Bref, les autres nations auront beau réglementer tout ce qu’elles veulent chez elles, là-bas on saura toujours s’adapter pour vous épargner des lois tatillonnes. Parce que là-bas, en matière économique, des lois, il n’y en à pas vraiment : « Il n’est pas obligatoire de maintenir les pièces et livres comptables. Les « Général Corporation » ne sont pas tenues non plus de soumettre leurs comptes. En d’autres termes, on n’a pas à présenter ses comptes et son bilan chaque année comme dans la plupart des pays. » Le tout, bien sûr, dans la plus grande discrétion : « Les propriétaires des parts sociales peuvent être des personnes physiques ou morales. Le nom des associés n’est pas publié au Registre du Commerce. » C’est pas du respect de la vie privée ça ?
Un vrai paradis, donc, si vous voulez que votre cabinet de voyance en ligne échappe à la rapacité du percepteur. Il en ira de même si votre activité principale est la faillite frauduleuse ou la créance impayée; mais aussi, pourquoi pas, le blanchiment ou les trafics en tous genres – à condition que vous soyez assez malin pour y mettre les formes, mais il y a des avocats très doués pour ça.
Seulement, cet Etat-voyou ne sera jamais mis au ban des nations par les USA. La raison en est simple : il en fait partie depuis la première heure. C’est l’un des treize Etats fondateurs, il s’appelle le Delaware et est représenté aux Sénat fédéral par l’honorable Joseph Biden. Qui pourrait devenir vice-président des Etats-Unis d’Amérique.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !