En 2020, Emmanuel Macron a annoncé la création d’un Musée-mémorial du terrorisme dont l’objectif est de « rendre hommage aux victimes du terrorisme à l’échelle de la France et du monde ». Mais il s’avère que les caricatures de Charlie Hebdo n’y sont pas les bienvenues. L’analyse d’Elisabeth Lévy sur Sud Radio…
On l’a appris le jour du deuxième anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty : le Musée-mémorial du terrorisme (MMT) renonce à exposer des caricatures de Charlie Hebdo.
Dans la lettre adressée le 15 juin 2020 à l’historien Henry Rousso, directeur de cet établissement, qui ouvrira physiquement en 2027 à Suresnes, Emmanuel Macron définissait ainsi sa mission : « Opposer à la barbarie et à la force mortifère de l’oubli, la lumière vitale de la mémoire et de la connaissance ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça commence mal. Pour sa première exposition, sous forme exclusivement numérique, le musée a fait plancher 300 lycées et collégiens de région parisienne sur le thème « Faire face au terrorisme ». Les élèves ont donc produit textes, images et podcasts. Mais Henry Rousso a éliminé les œuvres qui comportaient des caricatures de Charlie Hebdo, utilisées par deux établissements, la « une » du 15 Janvier 2015 – « Tout est pardonné », de Luz – et un dessin de Cabu sur le thème « Peut-on rire de tout ? » – on l’aura compris, la réponse est non.
Rousso n’est pas suspect de complaisance avec l’islamisme. Il veut protéger les élèves et les profs. Et ne nous mentons pas, le danger est réel, alors que des professeurs sont de nouveau menacés. J’ai moi-même refusé un excellent article de Cyril Bennasar parce que je craignais d’éventuelles retombées pour la rédaction. Ce n’était pas glorieux, mais Causeur n’est pas une institution publique qui peut bénéficier des moyens de protection de l’État.
Oui, nous avons peur, mais la peur doit-elle être notre loi ? Pour ces dessins Charb, Cabu et les autres ont été assassinés. Les censurer, c’est céder à tous les barbares qui veulent détruire notre liberté. De plus, ces caricatures sont un outil précieux pour expliquer la liberté d’expression aux jeunes musulmans qui répètent que ceux qui se moquent du prophète de l’Islam méritent la mort. En somme, la reculade du MMT est le symbole éclatant de notre défaite intellectuelle, politique et morale.
Le symbole est d’autant plus cruel que cette reddition intervient deux ans exactement après la décapitation de Samuel Paty.
Cela revient à tuer une deuxième fois l’enseignant-martyre, assassiné pour avoir montré des caricatures à ses élèves.
Il est déjà significatif que cet anniversaire ait été très peu couvert par les médias, focalisés sur la crise sociale. Comme si l’homme ne se nourrissait que de pain.
Bien sûr, on a créé un prix Samuel Paty, des places Samuel Paty, qui sont dans la continuité des nounours et des bougies. Mais alors que l’actualité nous fournit quotidiennement des preuves de la progression de l’islamisme d’atmosphère, notamment dans la jeunesse, nous continuons à ne pas vouloir voir, à nous raconter que seule une toute petite minorité pose problème et à dire que ce n’est pas bien de se moquer des religions en général et de l’islam en particulier – les croyants d’autres religions n’aiment peut-être pas qu’on se paie leur tête, mais ils ne tuent pas et ne menacent pas pour autant. Eh bien si, en France on a le droit de se moquer de tous les dieux, et ceux à qui ça déplait n’ont qu’à aller vivre ailleurs !
Voilà ce qu’on devrait dire, de l’Elysée aux salles de classe. Au lieu de quoi on noie le poisson. L’an prochain, le thème du prix Samuel Paty sera : « Les infox, quels dangers pour la démocratie ? » Et pourquoi pas une dissertation contre la faim dans le monde?
Devant le cercueil de l’enseignant, Emmanuel Macron proclamait : « Nous continuerons, professeur. » Oui, nous continuerons à nous coucher, à fermer les yeux, à nous raconter de belles histoires, à négocier.
Malheureusement, nos confrères de Marianne, dont il faut saluer la dernière « une », ont raison : l’indifférence a gagné. Et la liberté a perdu.
>>> Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 dans la matinale de Sud Radio <<<
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