Fidèle à notre devise, Causeur tient à présenter à ses lecteurs des idées et des opinions avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. C’est d’autant plus important dans le cas du conflit du Karabakh, objet en France d’un débat atrophié. Quoi qu’on pense de cette question, deux faits sont inconstatables. Le premier est que les médias français ne donnent que rarement la parole à ceux qui présentent la position azerbaidjanaise. Le deuxième est que la position défendue par l’ Azerbaïdjan est conforme à la loi internationale et à la quasi-intégralité des décisions des instances compétentes dans le sujet. Ces deux faits à eux même justifient la publication du texte que vous allez lire.
Monsieur Bellamy,
Votre article émotionnel « Arménie : face à Erdogan et Aliyev, l’Europe doit enfin sortir du silence », publié le 13 avril dernier dans le journal le Figaro, ainsi que vos nombreux commentaires sur les réseaux sociaux sur les questions relatives au conflit arméno-azerbaïdjanais ne pouvaient me laisser indifférent.
Compte tenu de vos connaissances superficielles sur ce conflit, en particulier sur ses aspects historiques, juridiques et politiques, je voudrais commenter certaines thèses contenues dans votre article.
Vous affirmez que « le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan, appuyé par la Turquie, membre de l’Otan, attaquait le Haut-Karabagh, enclave rattachée par Staline à l’Azerbaïdjan, mais où les Arméniens vivent depuis des siècles ».
Je tiens à préciser que les Arméniens n’ont pas vécu pendant des siècles au Karabagh, mais y ont été installés par l’administration caucasienne de l’Empire russe au début du XIXe siècle, après des guerres victorieuses contre les Empires Perse et Ottoman. Dans son livre Nouvelle menace pour la politique russe dans le Caucase du Sud, publié en 1911 à Saint-Pétersbourg, le géographe russe N. Chavrov, qui a personnellement participé à cette colonisation de la Transcaucasie par l’administration tsariste, résume de la manière suivante un siècle de colonisation: «Le plus grand nombre d’immigrants provient de la nation arménienne. Ainsi, sur 1,3 millions d’Arméniens transcaucasiens, plus d’un million n’appartiennent pas aux peuples autochtones de la région et sont installés par nous… En recourant largement à des faux témoignages, les Arméniens étrangers sans terres ont saisi de vastes espaces de terres de l’Etat ».
Ces faits sont encore confirmés par le livre Le peuple du Caucase de l’historien arménien Ichkhanyan, publié à Petrograd en 1916. Il note que «les Arméniens vivant au Haut-Karabagh sont en partie des descendants des anciens Albanais, et en partie des réfugiés de Turquie et d’Iran, pour qui la terre azerbaïdjanaise est devenue un refuge contre la persécution et la répression ».
Quant à la thèse favorite de la presse française selon laquelle Staline aurait annexé le Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan, je voudrais attirer votre attention sur le fait que par son décret du 5 juillet 1921, le Bureau du Caucase du Parti Communiste de Russie, à l’époque l’organe suprême de l’autorité, a conféré une autonomie à la communauté arménienne du Karabagh, en créant l’Oblast autonome du Haut-Karabagh (OAHK), tout en affirmant aussitôt comme ligne indiscutable son caractère azerbaïdjanais. Les termes de la décision sont clairs: «Partant de la nécessité de la paix nationale entre les musulmans et les Arméniens, les liens économiques entre le Karabagh supérieur et inférieur et ses liens constants avec l’Azerbaïdjan, maintenir le Haut-Karabagh en République soviétique d’Azerbaïdjan, en lui conférant une large autonomie régionale». Les mots choisis – «liens constants» et «maintenir» – sont sans ambiguïté, et contredisent les tentatives de réécriture de l’histoire, prétendant à «un transfert» ou «un rattachement» de Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan.
Par ailleurs, Staline, qui était à l’époque le Commissaire du Peuple (ministre) des nationalités, n’était pas le membre du Bureau du Caucase du Parti Communiste de Russie et n’a pas participé au vote sur cette décision.
Votre deuxième affirmation selon laquelle « les Arméniens avaient perdu de larges territoires », expose elle aussi une méconnaissance du sujet.
Les forces d’occupation arménienne ont été forcées à se retirer des territoires occupés de la République d’Azerbaïdjan en pleine conformité avec les dispositions des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU. En avril-novembre 1993, le CS des Nations Unies a adopté quatre résolutions (n° 822 du 30 avril, n° 853 du 29 juillet, n° 874 du 14 octobre et n° 884 du 12 novembre) qui confirment la souveraineté de l’Azerbaïdjan, son intégrité territoriale et l’inviolabilité de ses frontières internationales, réaffirment l’inadmissibilité du recours à la force pour acquérir un territoire, condamnent l’occupation des territoires et exigent le retrait immédiat, complet et inconditionnel des forces d’occupation de toutes les régions d’Azerbaïdjan.
Il vous sera utile de savoir que le Parlement Européen, dont vous êtes membre, rappelle de manière constante sa position sur le règlement du conflit dans ses résolutions du 20 mai 2010, du 18 avril 2012, du 23 octobre 2013 et du 9 juillet 2015, qui condamnent cette occupation militaire, soutiennent la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, et appellent à une solution immédiate du conflit sur la base des résolutions du Conseil de Sécurité.
De même, par sa résolution du 15 janvier 2020 sur le « Rapport Annuel sur la mise en œuvre de la Politique étrangère et de sécurité commune » (2019/2136/INI), le Parlement Européen a aussi rappelé son engagement « à soutenir la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tous les pays du partenariat oriental dans leurs frontières internationalement reconnues, conformément au droit, aux normes et aux principes internationaux ».
Vous affirmez ensuite que les Azerbaïdjanais ont « mené une véritable épuration ethnique ».
Qu’en est-il des 800 000 Azerbaïdjanais expulsés par l’armée arménienne de leurs terres natales dans et autour du Haut-Karabagh en 1992-1993 ? C’était 10% de la population de l’Azerbaïdjan au moment du début du conflit. Et 250 000 réfugiés azerbaïdjanais expulsés d’Arménie à la fin de 1987? Aucun mot sur eux dans votre article.
Quant à l’épuration proprement dite, je porte à votre attention qu’avant la chute de l’Union soviétique, la région du Haut Karabagh, sous administration de l’Azerbaïdjan, était une région multiethnique et multiconfessionnelle. Selon un dernier recensement réalisé en 1989 avant le début du conflit, les Azerbaïdjanais y représentaient 22% de la population, et les Arméniens 74%. Par ailleurs, et ce fait est toujours «oublié» par les médias français, pas moins de 48 minorités ethniques et religieuses, musulmans, juives et chrétiennes, étaient présentes dans la région, parmi lesquelles des Russes, des Ukrainiens, des Juifs, des Bulgares, des Grecs, des Allemands, des Polonais et d’autres ethnies, qui représentaient près de 4% de sa population, quelques milliers de personnes.
Au début de conflit, les forces d’occupation arméniennes ont chassé toutes ces minorités. C’est à dire, que l’Azerbaïdjan musulmane a bien préservé cette diversité culturelle, ethnique et confessionnelle de la région de Haut-Karabagh, mais l’Arménie chrétienne, l’a transformée en une grande caserne militaire mono-ethnique, qui était peuplée d’Arméniens à 99.99%.
Alors qui a mené une véritable épuration ethnique au Karabagh, M. Bellamy ?
Dans l’une de vos interventions, j’ai attiré l’attention sur le terme de « choc des incultures » que vous avez introduit. Je suis tout à fait d’accord avec vous, puisque dans le cas de conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan il ne s’agissait pas d’une confrontation entre l’islam et le christianisme, mais entre « l’inculture » arménienne de la haine, du nettoyage ethnique et de l’agression et la culture azerbaïdjanaise de la tolérance, de la laïcité et diversité.
Il y a un point sur lesquels je suis toutefois d’accord avec vous : « la victime collatérale de cette guerre, c’est le droit international ». Le droit international a effectivement été une victime collatérale, mais pas pendant la guerre. Cela était le cas lors du soi-disant « processus de négociation » qui a duré 28 ans (1992-2020). Le Groupe de Minsk de l’OSCE n’a pas réagi au fait que les dispositions de quatre résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU n’ont pas été mises en œuvre. Non plus au fait que les principes fondamentaux contenus dans la résolution 2625(XXV) de l’Assemblée Générale de l’ONU du 24 octobre 1970 intitulé « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies » ainsi que dans la «Déclaration sur les principes régissant les relations mutuelles des Etats participants» de l’Acte Final d’Helsinki du 1er août 1975, ont été violés de manière flagrante par l’Arménie à l’égard de l’Azerbaïdjan.
En particulier, c’est le principe que vous citez (par ailleurs, de manière incorrecte) « les Etats s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies », qui a été violé par l’Arménie. Le recours à la force contre l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan est résulté par l’occupation de près de 17% de ses territoires.
Le principe de l’égalité des Etats souverains a été aussi violé, qui prévoit que, à savoir : « l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Etat sont inviolables ».
La guerre de 44 jours et la Déclaration tripartite signée à l’issue de celle-ci ont mis fin à 28 ans de mépris du droit et au sentiment d’impunité chez les Arméniens. Les normes du droit international et les dispositions des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU ont finalement été mises en œuvre.
Je considère donc que votre thèse selon laquelle « la force a prévalu sur le droit » est fausse. Pendant la guerre l’Azerbaïdjan a eu recours à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, qui prévoit le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée ». Bref, ce n’est pas « la force qui a prévalu sur le droit », mais c’est la force fondée sur le droit qui a prévalu sur la force fondée sur le mépris du droit.
Enfin, vous soulignez que « bien sûr, le statut du Haut-Karabagh était l’objet d’une contestation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et ce problème reste ouvert, quoiqu’en dise M. Aliyev ».
Le sujet du soi-disant « statut du Haut-Karabagh » est réglé par l’article 11 de la Constitution de la République d’Azerbaïdjan, qui souligne que « le territoire de la République d’Azerbaïdjan est uni, inviolable et indivisible » et a été confirmé dans les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, qui sont des normes du droit. Cette région fait partie intégrante de la République d’Azerbaïdjan.
De plus, ces résolutions exigent non seulement que l’Arménie respecte l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan, mais l’appellent également à demander le même respect de la part des Arméniens de la région du Haut-Karabagh. Je veux rappeler à cet égard la disposition de la Résolution 884 du 12 novembre 1993 qui souligne que « Le Conseil de Sécurité réaffirmant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République azerbaïdjanaise, […], Demande au gouvernement arménien d’user de son influence pour amener les Arméniens de la région du Haut-Karabagh de la République azerbaïdjanaise à appliquer les résolutions 822 (1993), 853 (1993) et 874 (1993), et de veiller à ce que les forces impliquées ne reçoivent pas les moyens d’étendre leur campagne militaire. »
Vous, comme beaucoup d’autres de vos collègues du parti« Les Républicains », êtes préoccupés par « le sort des prisonniers de guerre encore retenus en otage par l’Azerbaïdjan ».
L’Azerbaïdjan s’est pleinement acquitté de ses obligations d’échange conformément à la Déclaration du 10 novembre en remettant plus de 70 prisonniers de guerre à la partie arménienne. De plus, je porte à votre attention que les corps de plus de 1500 militaires arméniens morts, découverts grâce à l’assistance de l’Azerbaïdjan, ont été remis à l’Arménie.
Quant aux personnes, dont vous parlez, celles-ci ont été déployées sous forme d’un groupe subversif terroriste de l’Arménie sur le territoire azerbaïdjanais le 26 novembre, c’est-à-dire 16 jours après la signature de ladite Déclaration. Ils ont tué 4 militaires azerbaïdjanais, ce qui constitue une grave violation par l’Arménie de ses obligations découlant de la Déclaration tripartite, qui a mis fin à toutes les hostilités militaires. De ce fait, demander leur libération avant que justice ne soit rendue serait plaider pour l’impunité arménienne.
Pour résumer, Monsieur le député, je constate qu’aucune de vos thèses n’est fondée ni sur la vérité historique, ni sur le droit international. Au contraire, votre article est un exemple frappant de communautarisme, car il est dicté par la prise en considération des intérêts de la partie arménienne tout en ignorant complètement les faits historiques, le droit et la position de la partie azerbaïdjanaise.
Hélas, en France, nous faisons face à un véritable communautarisme, parce qu’en raison de nombreuses considérations électoralistes, politiques et autres, certaines sphères d’influence (sénateurs, députés, maires, politiques, journalistes, etc.) mettent en avant les intérêts de la communauté arménienne au-dessus des intérêts de la communauté azerbaïdjanaise. Pire, ce communautarisme va au-delà même de la législation française, sans compter la loi internationale.
Dans une interview que vous avez accordée à Mediapart le 16 mars 2019, vous avez souligné : « Comme enseignant en philosophie, je suis profondément inquiet de voir se dessiner une société communautariste, où chacun est enfermé dans des groupes sociaux incapables de dialoguer, où le relativisme empêche de chercher ensemble une vérité ».
A ce propos, je vous invite à sortir de votre communautarisme, de vous ouvrir au dialogue et à contribuer à la construction de la paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !