Le poème du dimanche
Georges-L. Godeau (1921-1999) a été ingénieur des Travaux publics dans les Deux-Sèvres où il a toujours vécu. Il a aussi été poète. Et un poète qui fut connu comme peuvent l’être les poètes, c’est à dire reconnu par ceux qui aiment la poésie. Il a reçu en son temps le prix Max-Pol Fouchet qui est un peu le Goncourt en la matière. Il a aussi été traduit en japonais, en russe et en allemand, ce qui est plus rare pour un poète. Il a même fait l’objet en 1994 d’un numéro spécial de la NRF. Aujourd’hui, il devient difficile de trouver ses livres qui ne sont plus disponibles sauf chez les bouquinistes.
C’est d’autant plus dommage que sa poésie est parfaitement accessible, formée de courts textes en prose qui disent la vie quotidienne du Marais poitevin, mais aussi de ceux qui travaillent dans les usines, les bureaux, les écoles, de ceux qui sont en vacances, de ceux qui espèrent, de ceux qui vieillissent, de ceux qui découvrent l’amour. Il saisit la vie quotidienne qui est la nôtre comme on prend une photo. Si Godeau se méfie du lyrisme, c’est qu’il n’ en a pas besoin pour dire la vie des hommes, tantôt grise, tantôt lumineuse. Pour dire Les foules prodigieuses, titre d’un de ses recueils majeurs. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, c’est deux échantillons de cette humanité qu’elle vous offre ce dimanche.
Le jeune couple
Beaux comme deux touaregs, ils marchent vers la mer.
En avant. Ils glissent comme des torpilles. Les machines
sont bien réglées. Ils font le grand tour
au bord du large.
Déjà, ils reviennent. Ils sortent sans s’ébrouer puis
restent debout, un moment. Lui, allume une
cigarette, elle, peigne ses cheveux.
Calmes, ils se regardent. Ils échangent un fil de
sourire. Pour eux.
***
Le contrat
Tes disques ne sont pas les miens, mes journaux
les tiens.
Il m’arrive d’aller seul au cinéma.
Dans la rue, tu regardes les hommes et moi les jolies
filles.
Au doigt, nous n’avons pas d’alliance.
Pourtant, dans notre poche, nous avons la clé de
la même porte.
Nos fenêtres s’ouvrent au printemps. Parfois, tu
chantes.
Les voisins s’y perdent.
Georges L. Godeau, in Les Foules prodigieuses (Chambelland, 1970)
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