Le Japon, la Chine et la Corée du Sud connaissent un déclin démographique majeur mais renâclent à intégrer des étrangers qui pourraient compenser ce déséquilibre. Les peuples de la région placent la préservation de leur culture, leur cohésion sociale et ethnique au-dessus des calculs économiques.
Natalité en berne et immigration impossible, l’équation insoluble de l’Extrême-Orient
Japon, Chine, Corée du Sud, Taïwan font face à un déclin démographique majeur, mais ne veulent pas entendre parler d’immigration pour remplacer – pardon, compenser – les bébés manquants. Les chiffres sont impressionnants. Le Japon, aujourd’hui 122,4 millions d’habitants, a perdu 800 000 habitants en 2022 et passera sous la barre des 100 millions en 2056. Le taux de fécondité est tombé à 1,33 enfant par femme en 2022. Cette baisse dure déjà depuis quinze ans.
La Corée du Sud, 51 millions d’habitants, file également un mauvais coton. Le pays perd de la population depuis trois ans et la baisse devrait s’accélérer puisque le taux de fécondité coréen est aujourd’hui le plus bas du monde avec 0,78 enfant par femme.
Après avoir imposé la « politique de l’enfant unique » de 1979 à 2015, la Chine partage désormais le même problème que ses voisins avec un taux de fécondité de 1,14 enfant par femme. Sa population a baissé de 850 000 personnes. Une goutte d’eau pour une population de 1,4 milliard d’habitants, mais une tendance qui devrait durer.
Les politiques familiales sont un échec. Les femmes ne veulent plus avoir d’enfants et privilégient leur carrière. Les jeunes ne savent plus se rencontrer, ne veulent plus se marier, les couples mariés ne font plus l’amour… Bref, c’est la cata au niveau de la vie intime. Un mal similaire semble gagner la Chine avec le phénomène croissant des « jeunes couchés » et des (grands) enfants qui renoncent à fonder une famille et restent chez papa et maman.
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Le recours à l’immigration est débattu depuis longtemps au Japon et commence à l’être en Corée du Sud[1]. Le Premier ministre Fumio Kishida a estimé en janvier 2022 que le Japon était « à la limite de l’incapacité de pouvoir continuer à fonctionner en tant que société ». L’idée d’accueillir 10 millions de travailleurs étrangers, à condition qu’ils s’engagent à ne rester que trois ans, a été débattue, mais est restée sans suite.
L’installation d’étrangers : une question particulièrement délicate en Extrême-Orient
Historiquement, Japon, Chine, Corée ont toujours été méfiants vis-à-vis de l’influence étrangère, suspectée d’exercer une influence délétère sur la culture et le mode de vie traditionnels. L’histoire de chacun de ces pays est jalonnée de fermetures de ports, d’interdictions du territoire, d’expulsion et de massacre des étrangers, notamment des missionnaires. La culture occidentale ne s’est véritablement établie au Japon, en Corée du Sud, à Taïwan qu’avec la victoire américaine en 1945 et l’installation des bases de l’armée américaine dans toute la région.
Les Asiatiques appliquent le droit du sang et ont une conception ethnique de la nation
On naît japonais ou chinois, on ne le devient pas. La nationalité s’acquiert par le sang et la lignée. Donner la nationalité à un étranger qui séjournerait cinq ou dix ans sur son territoire est une idée saugrenue, inconcevable en Asie du Nord-Est.
Une réponse inefficace à la chute démographique
Difficile avec de tels principes d’accueillir et d’intégrer une population étrangère afin de maintenir la population à l’équilibre. Immigration de peuplement ou remplacement (même tout petit) de population sont des chiffons rouges pour les peuples. Alors, à défaut d’une grande politique d’accueil assumée, on avance à petits pas.
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1/ Une immigration de travail gérée par des accords bilatéraux avec les pays exportateurs de main-d’œuvre (Philippines, Vietnam, Cambodge). Les ouvriers sont sélectionnés dans leur pays d’origine, signent des contrats à durée déterminée avec obligation de repartir dans leur pays à la fin du contrat. 1,8 million de travailleurs étrangers au Japon et 1,3 million en Corée du Sud travaillent dans les usines, exploitations agricoles, hôpitaux, maisons de retraite. On estime à 230 000 les travailleurs étrangers qui se sont évaporés au Japon à la fin de leur contrat et sont restés travailler au noir, sans aucune couverture sociale.
2/ De nouveaux contrats de travail longs ont été créés. Au Japon, un visa « compétence spéciale » a été créé en 2019 pour des secteurs où le manque de main-d’œuvre est criant : techniciens spécialisés, infirmières, puéricultrices par exemple. Durée : de trois à cinq ans, avec possibilité de regroupement familial.
3/ Les mariages arrangés. Depuis plus de vingt-cinq ans, des cohortes de Vietnamiennes ou de Philippines viennent remplacer les Japonaises, Coréennes, Taïwanaises qui refusent d’épouser des hommes vivant dans des régions reculées. Entraînant inévitablement des situations dramatiques pour des femmes déracinées, isolées, coincées par l’accord financier passé avec leur famille, et trop souvent maltraitées[2].
Grâce à toutes ces mesures, le nombre de résidents étrangers au Japon atteint désormais 3 millions et 2,5 millions en Corée. Mais on reste loin du compte pour des pays qui perdent 800 000 âmes par an. L’Asie va donc continuer de perdre de la population. Les personnes âgées vont travailler de plus en plus longtemps, les robots vont remplacer les humains pour les tâches du quotidien, la désertification des régions éloignées va s’aggraver.
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Un coût économique considérable, mais voilà, tout n’est pas qu’économique
Les peuples de la région placent la préservation de leur culture et de leur mode de vie, leur cohésion sociale et ethnique au-dessus des calculs économiques et sont manifestement prêts à vivre avec ce problème, aussi lourd soit-il.
Si l’on appliquait la grille de lecture de la gauche d’aujourd’hui, tous sans exception devraient être qualifiés d’extrême droite, tendance Zemmour. Heureusement, le désintérêt pour l’Asie de notre élite médiatico-politique, toujours aussi désespérément occidentalo-centrée, nous épargne un tel ridicule.
[1] En Chine, la masse de la population est telle que seul le vieillissement préoccupe les autorités.
[2] 42 % des épouses étrangères avaient déjà été victimes de violence domestique d’après une étude de 2017 du comité national coréen des droits de l’homme.