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En août, lis ce que te goûte

Le fabuleux roman d’Arletty vaut bien un requiem.


En août, lis ce que te goûte
Arletty chez elle, Paris, le 1er février 1963. DALMAS/SIPA

Les vacances imposent-elles la vacance de l’esprit ? Autant profiter de ce répit estival pour moissonner les sillons de sa bibliothèque. Sous le soleil d’août, votre serviteur y a passé sa charrue. Lectures par les champs et par les grèves…  Première livraison: « Si mon cœur est français… »


« Si mon cœur est français… mon cul, lui, est international ». L’aveu est à peine moins connu que la réplique : « Atmosphère !  atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». C’est peu dire que l’Occupation aura… occupé Arletty. Pourtant, dès avant les années noires, Hôtel du Nord, le film de Carné tiré du roman homonyme d’Eugène Dabit, a fait du jour au lendemain une star de la prolétaire de Courbevoie. Si la guerre n’était pas passée par là, le destin de Léontine Bathiat (1898- 1992) susciterait-il aujourd’hui la même curiosité ?

Sous les auspices de la maison Tallandier ressort en poche, dans une version remaniée à bon escient, la biographie très nourrie qu’en 2016 lui avait consacré David Alliot, spécialiste de la période et de Louis-Ferdinand Céline en particulier.  « De 1940 à 1944, écrit-il, Arletty a été l’actrice française la plus populaire, la plus courtisée, la plus emblématique et, de loin, la mieux payée de son temps ».  C’est là le paradoxe : elle qui se revendiquait crânement fille du peuple, et en gardera jusque dans la vieillesse la gouaille inimitable, « ne cessera de fréquenter les cénacles les plus huppés de la Collaboration artistique et politique, sans oublier les salons aristocratiques de la capitale »

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Drôle de vie que celle d’Arletty :  Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du Paradis lui doivent tous leur postérité au firmament du Septième art. Moins universellement connus, La garçonne (1935) ou encore Faisons un rêve (1936) de Sacha Guitry, figurent d’autres joyaux encore. Tellement française, Arletty ! Au point d’avoir eu le coup de foudre, un jour de 1941, pour un bel officier de la Luftwaffe, Hans Jürgen Soehring, garçon francophile et cultivé, en poste à Paris. Familière des soirées mondaines à l’ambassade d’Allemagne, elle ne se cache même pas, dîne au Ritz ou à la Tour d’argent avec son amant en uniforme, fait du ski en couple à Megève… Il l’appelle « Biche » ; elle l’appelle « Faune ». Collabo, Arletty ? A l’horizontale, sans le moindre doute. Elle est loin d’être seule dans son cas. Pensez à Marie Bell, à Suzy Solidor, ou encore à Josseline Gaël, la femme de Jules Berry, qui forniquait avec un nervi de la Gestapo… Comme à sa décharge l’observe Alliot : «Il n’y a aucune activité politique, aucun engagement quelconque vis-à-vis du Reich » qu’on puise reprocher à Arletty. L’actrice écopera d’un simple « blâme » du comité d’épuration.

Faut-il rappeler qu’à sa sortie triomphale, en 1942, le chef d’œuvre de Marcel Carné Les Visiteurs du soir est récompensé du Grand prix du cinéma français, « créé et remis par les autorités de Vichy » ? C’est toute la complexité, l’ambiguïté de cette période qui, au-delà de la personnalité controversée de la frondeuse, est restituée de façon à la fois subtile, érudite et sans a priori dans les pages de cet ouvrage captivant.

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Car David Alliot a grand soin de replacer le dossier « Arletty » dans son contexte : ses liens avec le milieu du cinéma et du théâtre (c’est en 1943 qu’au « Français » triomphe Le Soulier de satin, la pièce du très catholique Claudel, mise en scène par Jean-Louis Barrault ! ) , ses relations avec la duchesse d’Harcourt et avec quelques figures de la Collaboration, son roman-feuilleton avec l’aventurière cinglée Edna Nicolle…  « A cause de son passé sulfureux, le métier se détourne d’elle » dans l’après-guerre : « son âge d’or est terminé […] Désormais, elle n’apparaît plus que dans des films pour le moins médiocres ». Arletty garde un lien avec son vieil ami Céline ; « Faune », à peine nommé ambassadeur de la RFA à Léopoldville, capitale de l’ex-Congo belge, se noie accidentellement en 1960. Quant à celle qui clamait : « J’ai une gueule à faire l’amour », elle s’éteint dans son appartement de la rue Rémusat, dans le quartier parisien d’Auteuil, « le 23 juillet 1992, après plusieurs jours d’une interminable agonie ». Presque centenaire, donc. Le fabuleux roman d’Arletty vaut bien un requiem.

Arletty, biographie par David Alliot. Tallandier, coll. Texto, 2024.  

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