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Emprisonnement: l’exécution à la peine

Selon le prédécesseur de Gérald Darmanin, Didier Migaud, le laxisme de la justice n'existerait pas


Emprisonnement: l’exécution à la peine
L'ancienne ministre française de la Justice, Christiane Taubira, est photographiée alors qu'elle visite la prison de Saint-Martin-de-Ré, sur l'île de Ré, France le 29 août 2014 © ROBERT/NOSSANT/SIPA

Le collectif Au nom du peuple s’insurge: le taux de peine réellement exécutée en détention s’élèverait à 62%. 38% de la peine est donc en réalité rabotée ou convertie.


Le 24 septembre 2024, Didier Migaud, le Garde des Sceaux fraîchement (et éphémèrement) nommé a honoré de son premier déplacement la prison de la Santé à Paris, dans ce qui semble devenir une tradition depuis son auguste prédécesseur et dont on se demande si c’est une façon maladroite de soutenir l’administration pénitentiaire ou de montrer que les détenus attirent davantage l’intérêt et la sympathie que les fonctionnaires, magistrats et autres auxiliaires de Justice qui se décarcassent chaque jour pour que leur ministre puisse traverser la rue sans être atteint par un coup de couteau mal placé ou une balle perdue par un apprenti narcotrafiquant drogué au Caprisun. Laissons le bénéfice du doute à notre ex-ministre novice et concentrons-nous non pas sur la symbolique de son déplacement mais sur son contenu concret.

Devant la prison de la Santé, Didier Migaud a tenu les propos suivants : « Il faut de l’autorité, il faut de la fermeté, il faut bien évidemment des sanctions mais je crois que le laxisme de la Justice n’existe pas. ». Plus grave : « Le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé en 2023. ». Froncement de sourcil, notre ministre est manifestement soit ignorant des choses de la vie judiciaire, soit désireux d’induire la France entière en erreur. Dans les deux cas, c’est inquiétant. Et de conclure : « Le citoyen peut penser que les sanctions sont insuffisantes [au moins, notre ministre sait lire les sondages. Et il a manifestement un amour immodéré de la liberté d’expression qui le conduit à octroyer au citoyen le droit de penser du mal de la Justice. Tant de mansuétude émeut.]. Il faut aussi de la pédagogie vis-à-vis du citoyen ». PATATRAS ! Le Garde des Sceaux était pourtant si bien parti, comment glisser dans la dernière ligne droite sur cette peau de banane condescendante qu’est la nécessité de la pédagogie. En résumé : le citoyen a le droit de penser MAIS il faut quand même bien lui expliquer qu’il a tort et ensuite il changera d’avis car il aura vu la Lumière de la Vérité (Hosanna, Hosanna !).

Cessons de nous tordre de rire et appliquons les consignes ministérielles à la lettre : éclairons le citoyen sur l’état de l’exécution des peines en France. Attachez vos ceintures, c’est imbuvable et c’est fait exprès, mais vous en sortirez avec des billes pour votre prochain dîner en ville avec le Syndicat de la magistrature et ça, ça n’a pas de prix.

L’emprisonnement ferme représente 12,4% des peines prononcées en 2023[1]

Cette proportion comprend 1 % de peines de réclusion criminelle (prononcées en répression des crimes), le reste concernant les délits. L’emprisonnement avec sursis (sans incarcération) représente 13,7% des peines prononcées. Les amendes représentent 35,8% des peines prononcées à titre principal (les statistiques sont muettes sur la part de l’amende dans le total des condamnations, celle-ci pouvant être prononcée également comme peine complémentaire). Or, les statistiques du ministère de la Justice sur l’exécution de peines ne concernent que les peines d’emprisonnement ferme. Quand Didier Migaud dit que le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé qu’en 2023, il veut en fait dire qu’il a connaissance du taux de l’exécution de moins d’un cinquième des peines mais qu’il est totalement ignorant de l’état de l’exécution de 87,6 % des peines prononcées. Probablement un oubli.

Une peine d’emprisonnement ferme sur cinq n’est pas exécutée un an après son prononcé.

Le taux d’exécution immédiate des peines d’emprisonnement ferme a progressé, passant de 31% en 2017 à 58 % en 2023. Toutefois, en 2023, 21% des peines d’emprisonnement ferme n’étaient toujours pas exécutées un an après leur prononcé. Rassurons-nous, ce taux tombe à 9% cinq ans après le prononcé. Le délai de prescription de la peine délictuelle étant de six ans, on peut donc estimer que seul 1/10e des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme n’exécuteront jamais leur peine, en détention ou non. Nous voici rassurés.

Entre 37 et 48 % des peines d’emprisonnement ferme ne sont pas exécutées en détention

En 2023, 49% des peines d’emprisonnement de six mois et moins prononcées ne conduisaient pas à une incarcération du condamné mais à un aménagement de peine à l’audience (26%) ou par le juge d’application des peines (23%). Ces taux étaient légèrement plus faibles pour les peines de plus de six mois (respectivement 26% et 13%), ce qui fait sens compte tenu de l’atténuation de l’obligation d’aménagement une fois le seuil de six mois franchi, voire de l’impossibilité d’aménagement lorsque la peine dépasse les 12 mois. Précisons que l’aménagement d’une peine d’emprisonnement ouvre un champ de possibilités quasi infini : la prison est magiquement transmutée au choix en amende, en travail d’intérêt général ou en détention à domicile sous surveillance électronique… Ainsi, sur la population carcérale, systématiquement présentée comme produit d’un système autoritaire et répressif, 17% des effectifs sont en réalité écroués mais non détenus (donc chez eux avec un bracelet à la cheville et l’interdiction de sortir en boîte de nuit).

A relire: Ami magistrat…

Il est à noter que ce taux de non-exécution en détention est en augmentation puisque l’étude de l’Institut pour la Justice[2] sur l’exécution des peines a établi que sur la période 2016-2020 41% des condamnés à une peine ferme n’étaient jamais incarcérés.
Sacré Didier Migaud, il a probablement oublié de le préciser lors de ce point presse improvisé lors duquel les questions acérées et imprévisibles des journalistes l’ont surpris. On lui pardonne !

Les condamnés détenus sortent en moyenne 38% plus tôt que prévu

Vous nous direz à juste titre, chers citoyens remplis du désir de pédagogie, que 50 à 60% des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme sont tout de même incarcérés, ce qui est un bon score compte tenu de l’absence totale d’exigence de résultat qui pèse sur les services publics en général et la Justice en particulier. Encore un petit effort, amis citoyens, le voyage en absurdie n’est pas encore terminé.

Nous parlons donc désormais des peines ne faisant pas l’objet d’un aménagement, ce qui signifie :

1. Qu’elles sont supérieures à un an (donc concernent probablement des faits graves ou un délinquant multirécidiviste)

ou 2. Que la situation du condamné ne permettait pas d’envisager un aménagement (donc il est dangereux, on a tout essayé avec lui, il en est à son quatrième bracelet détruit et il a essayé d’immoler son conseiller d’insertion lors de son dernier suivi). Cela concerne donc les cas les plus graves et désespérés.

Un double mécanisme permet ce qui est poétiquement appelé « l’érosion de la peine » : d’une part, les crédits de réduction de peine, accordés par le juge d’application des peines, permettent d’amputer la peine d’emprisonnement d’une partie de sa durée, pouvant aller jusqu’à la moitié de la peine prononcée et d’autre part, une fois la moitié de la peine exécutable (après réduction) effectuée, le reliquat de peine peut être exécuté hors de la détention, sous la régime de la libération conditionnelle. Dans certains cas, cette libération conditionnelle est même obligatoire une fois atteints les 2/3 de la peine, quels que soient les faits pour lesquels l’individu a été condamné ou son comportement en détention.

Par ailleurs, un an avant que la mi-peine permettant la libération conditionnelle ait été atteinte, une mesure de bracelet électronique ou de semi-liberté probatoire peut être prononcée pour vérifier si la libération conditionnelle est adaptée à la situation du condamné.

Un exemple pour tenter de synthétiser ce gloubi-boulga judiciaire (quand on vous dit que c’est fait exprès) : soit X condamné à une peine de cinq ans et incarcéré. Le juge d’application des peines peut lui accorder des crédits de réduction de peine jusqu’à 30 mois (deux ans et demi). Sur les 30 mois restants, il est libérable conditionnel à mi-peine soit après 15 mois de détention. S’il obtient une mesure probatoire à la libération conditionnelle, il peut être libéré sous bracelet électronique après trois mois.

L’étude de l’IPJ a estimé le taux de la peine réellement exécutée en détention à 62%. 38% de la peine est donc en réalité rabotée ou convertie. La peine est pourtant statistiquement considérée comme exécutée, dans sa forme réduite ou aménagée. Il n’en demeure pas moins que la peine prononcée initialement n’a, elle, jamais été exécutée sous la forme qui était prévue par la juridiction de jugement.

Ce que Didier Migaud a donc voulu dire, c’est qu’après un délai de cinq ans, 12,4 % des peines prononcées étaient exécutées environ 9 fois sur 10, dont une fois sur deux dans une forme autre que celle prévue par le tribunal et sans jamais passer par la case prison. Mais que le citoyen devait se rassurer car les 50% de malchanceux les plus dangereux sont, eux détenus, avec une ristourne de 38% pour fidéliser le client. Beaucoup plus clair, non ?

 2017201820192020202120222023
Exécution des peines d’emprisonnement ferme En %immédiatement31323443485558
après un an73557268727679
Après 5 ansN.R.919292929291
Modalités d’exécution (peines de 6 mois et moins) En %Détention à l’audience    222424
Détention après audience    322826
Aménagement à l’audience    162226
Aménagement JAP    312623
Modalités d’exécution (peines de plus de 6 mois) En %Détention à l’audience    434444
Détention après audience    201716
Aménagement à l’audience    162226
Aménagement JAP    191513

[1] L’ensemble des chiffres cité est issu des publications du ministère de la Justice annuellement « Références Statistiques Justice », consultables librement : https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-statistiques

[2] https://www.institutpourlajustice.org/dossiers/peines-de-prison-ferme-quelle-execution/




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Le collectif Au nom du peuple est composé de magistrats judiciaires du siège et du parquet en exercice. Ne se reconnaissant pas dans la communication officielle du ministère de la Justice et des syndicats, son objectif est d'apporter au grand public des réponses concrètes aux questions que le fonctionnement de la Justice pose.

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