Le sujet est risqué, j’en ai conscience, mais la parole des femmes n’est pas sacrée…
Il s’agit « d’un phénomène subtil et dévastateur qui a pénétré les tribunaux ». Il suffit d’ailleurs de se tenir informé de l’actualité pour constater que cette explication par l’emprise revient souvent pour les délits et crimes sexuels. Malgré la gravité de la plupart des épisodes, à force, il y a une sorte d’évidence «à la Molière»: mais bien sûr, c’était de l’emprise! Et on répète, on ressasse cette clé passe-partout comme si elle était parole sacrée de femmes, parole d’Evangile!
C’est à cause de cette notion d’emprise jamais questionnée, qu’on a fait en sorte de sortir beaucoup des dénonciations pour viols ou agressions sexuelles du registre de la preuve ordinaire. Celle-ci exige qu’aucune préférence de principe ne soit d’emblée octroyée à ceux qui accablent par rapport à ceux qui se défendent.
Un concept flou
Alors que l’allégation sur l’emprise subie par telle ou telle « victime » serait forcément décisive et qu’il serait même impudent de mettre en doute la portée d’un tel propos à charge.
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Pourtant il me semble que trop souvent l’emprise, cette dépendance prétendue irrésistible d’un être par rapport à un autre, relève d’une solution de facilité. Il s’agit d’un concept flou, impalpable, fluctuant qui, à l’exception de situations où elle est objectivement identifiable – dans le domaine professionnel en particulier où l’inégalité des rapports peut être irréfutable -, autorise le plus souvent la femme à donner son interprétation personnelle du lien dont elle aurait souffert.
C’est donc la plaignante elle-même qui donne sa définition de l’emprise sur laquelle elle appuie sa dénonciation. Cette subjectivité libre d’interpréter, comme elle la perçoit, l’attitude de l’autre face à elle représente la faiblesse fondamentale de ce que l’on pourrait appeler l’inquisition d’aujourd’hui quand elle se contente, sur les plans policier et judiciaire, de se connecter sur la seule parole de celle qui s’affirme victime.
Un argument trop souvent sollicité
Avec l’emprise, le malentendu peut menacer qui opposerait une impression à une ignorance. L’impression d’être dans une relation de pouvoir pour celle qui va se plaindre, l’ignorance de cette perception par celui qui se verra incriminé. L’emprise, s’il n’y a rien d’autre qu’elle comme preuve, est une certitude pour celle qui dénonce, une absurdité pour celui qui est visé.
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Je n’irais pas, comme la libre et talentueuse Élisabeth Lévy, soutenir que l’emprise est au coeur de toute relation amoureuse et qu’au fond elle n’est jamais gangrenée par la perversion d’une insupportable domination.
Il y a évidemment des situations où, s’ajoutant à d’autres circonstances, elle peut être invoquée sans apparaître comme une tarte à la crème ou un moyen commode de ne rien démontrer, de se consoler de sa propre impuissance, de s’exonérer à bon compte. Car il arrive en effet qu’une femme allègue l’emprise parce qu’elle n’a pas d’autre choix pour s’expliquer son comportement face à une contrainte à laquelle elle sait qu’elle aurait pu physiquement résister.
Il me semble que, sans porter atteinte au caractère largement positif et libérateur d’un féminisme qui ne cède plus et ne tend plus l’autre joue, il convient cependant de ne pas faire l’impasse sur ce que l’argument de l’emprise trop sollicité peut avoir de contradictoire avec une vision de l’humanité digne de ce nom : hommes ou femmes, nous ne sommes pas voués à être de « petites choses » incapables de rien affronter, de rien vaincre.
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