Après ses études, faire son entrée sur le marché du travail relève du parcours du combattant. Selon l’AFIJ, (Association pour Faciliter l’Insertion des Jeunes diplômés) qui publie une enquête sur le devenir des jeunes après l’université, 57% d’entre eux, diplômés en 2011, étaient sans emploi en avril 2012. Huit contrats sur dix sont désormais des CDD, un chiffre jamais égalé jusqu’ici. Ces statistiques sont éloquentes quant à la précarisation généralisée de la jeunesse en France. Qu’est-ce que faire ses études aujourd’hui ? C’est vivre sous perfusion. La plupart des 20-25 ans sont des Tanguy malgré eux. Comment faire face à la hausse des factures de gaz, d’électricité et à celle qui vous guette à la sortie du Monop’? L’eldorado, pour les lycéens fraîchement diplômés, ce n’est plus d’être accepté dans une grande école mais c’est d’atteindre le barème 6 du CROUS. Avec 469,70 euros pendant dix mois, c’est chiche, mais on peut vivoter. Malheureusement, peu nombreux sont les élus aux chambres universitaires exiguës et parfois miteuses. Il reste l’aide des parents, bien inégale selon les familles. Et au terme de ce long périple, c’est une traversée du désert qui attend l’étudiant à la sortie de l’université. S’il n’a ni réseaux, ni relations, ni expérience, les petits boulots entrecoupés de périodes de chômage plus ou moins longues deviennent son quotidien. Les mieux lotis arrivent alors à jongler entre les APL, le RSA ou les indemnités chômages.
Conscient du problème, le gouvernement Ayrault a lancé récemment « les emplois d’avenir ». D’ici 2014, ces 150 000 contrats aidés par des finances publiques exsangues seront prioritairement réservés à la jeunesse qui vit dans ce que l’on appelle pudiquement « les quartiers sensibles ». Non seulement, cette goutte d’eau symbolique ne modifiera pas la spirale inquiétante du chômage mais encore elle représentera les prémisses de ce que la gauche bien intentionnée veut mettre en place : la discrimination positive. Mais alors quid de ceux qui n’auront pas l’opportunité de profiter de « ce plan Marshall » pour l’emploi ? De ceux que Jamel Debbouze, égérie de « nos quartiers », appelle plaisamment « les moches »[1. Allusion à la polémique suscitée par le spectacle « Tout sur Jamel » lors de sa diffusion le 20 décembre dernier sur M6 retransmis en direct du Zénith de Paris. Voici la « saillie » de Jamel Debbouze : « Ils sont moches les gens à Montbéliard. Là, ils me regardent en direct. Quand j’y ai été, je me suis dit le nuage de Fukushima, il s’est arrêté au centre-ville. Il s’est passé quoi là-bas ? J’y ai de la famille en plus. Montbéliard, si vous m’écoutez, j’ai rien à vous dire ».]? C’est que ces autres « jeunes » n’intéressent pas grand monde. Silencieux, perdus au fond de leur vallée ou de leur campagne parce qu’ils ne pouvaient plus payer leur loyer dans la grande ville, ces arriérés, comme on sait par nature « feignasses », sont inemployables. Heureusement que l’Etat prend la peine de leur donner une piécette de temps à autre, cela contient la fronde et la révolte. Comme on sait, du moment que cette gueuserie française peut encore se payer une boulette de shit, une connexion internet et un paquet de chips, elle est comblée ! Cette sécession à l’intérieur de la jeunesse est récurrente, elle s’inscrit dans le tabou médiatique qui désigne délicatement par le terme générique « jeunes », les responsables des incidents dans « les quartiers populaires ». Apparemment, c’est dans ces lieux que les forces de la nation se trouvent. Pourtant, inondés de subventions dans le cadre du renouvellement de l’habitat urbain, quelles ont été les avancées significatives ?
Pendant que micros et caméras sont braqués sur cette jeunesse-là, à compter le nombre de voitures brûlées le soir de la Saint-Sylvestre, la jeunesse de l’ombre se meurt à petit feu. Comme elle est polie elle ne gratifie personne de ses geignements. Accablée et vieillissante avant l’heure, on pense qu’elle ne souffre pas. Cette autre jeunesse fait des rêves de vieux. Obtenir un concours pour être fonctionnaire, tel est son nouveau graal. En France, ce qui est gravissime, c’est que l’on néglige cette lente agonie. Ce grand gaspillage des talents est patent. Alors que Gérard Depardieu fait la Une, combien de Paul et de Jacques partent tenter leur chance à l’étranger ? Si l’on parle beaucoup de la jeunesse européenne, espagnole, italienne ou grecque, qui apparemment se dirigerait en masse vers Berlin, on parle moins des cerveaux qui fuient aussi la France, car les carrières et les perspectives sont bien plus intéressantes pour les chercheurs, les ingénieurs et les docteurs à l’étranger. C’est le « sauve qui peut » général qui se poursuit en silence. Le pays sclérosé freine l’élan et les ambitions de sa jeunesse. On aura beau psalmodier des appels à l’innovation et à la recherche, force est de constater que l’ascenseur social est bloqué pour tout le monde, jeunes des champs comme jeunes des quartiers. Comment faire redémarrer l’élan d’un pays lorsqu’on ne donne pas de première chance à la relève ? Dans ce sens, les jeunes loups qui ne peuvent faire le deuil de leur illusion s’exilent. Les autres attendent seulement « le coup de bol », nouveau miracle du XXIème siècle, c’est-à-dire le CDD prolongé, ou pourquoi pas gagner à euro-millions. Entreprendre en France, voilà un mot qui tend à devenir tabou.
*Photo: Campagne emplois d’avenir
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