A l’heure où la formation devient le cheval de bataille dans le cadre de la réforme du marché du travail, il convient de se demander si les recruteurs n’ont pas à s’interroger sur leurs propres compétences alors qu’eux-mêmes s’arrogent le pouvoir de jauger et juger celles d’autrui sur des bases parfois douteuses.
Comment sont formés les bataillons de professionnels des Ressources humaines en tout genre qui peuplent nos entreprises ? Sont-ils eux-mêmes tous en mesure de déterminer les compétences à venir des métiers qui n’existent pas encore ? Comment sélectionnent-ils les candidats ? N’entendons-nous pas dire que, dans l’hexagone, on adore les « clones », remplacer un professionnel par un autre à l’identique pour éviter toute prise de risque sur des profils dits atypiques ?
1,6 millions de chômeurs qualifiés
Comment expliquer qu’en France aujourd’hui, 1,6 million de personnes ayant, au minimum, un diplôme Bac+2 en poche soient inscrites à Pôle Emploi ? Pourquoi ne pas se saisir de ce dossier ? Trop complexe ? Ne sommes-nous pas en train de masquer une réalité anxiogène ? Et si ces professionnels en recherche d’un travail rémunéré étaient employables mais non employés ? Pourquoi les recruteurs ne les sélectionnent-ils pas ?
L’exemple suivant[tooltips content= »Cet exemple est réel. Je peux présenter le candidat à toute entreprise qui recherche un chef de projet multimédia et digital qui en fera la demande. »]1[/tooltips] est riche d’enseignements : Stéphane, un ancien laborantin ayant évolué vers l’informatique, passionné par le design et le digital décide de se former, à 39 ans, pour devenir chef de projet digital/multimédia, un métier en tension sur le marché du travail. Aujourd’hui fraichement diplômé, il est écarté des processus de recrutement. Pourquoi ? A l’âge de notre président de la République, il est considéré comme « trop vieux » ! A partir de 39 ans, ne serions-nous jeunes, dans ce pays, qu’en politique ?
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Le site internet actuel de l’Association pour l’Emploi des Cadres (APEC), pourtant reconnue, en est une preuve accablante. Quand Stéphane a voulu répondre à une offre qualifiée « junior » correspondant à ses compétences, il lui a été demandé son âge au sein du formulaire et, contre toute attente, il s’est retrouvé aiguillé vers la page des cadres seniors du site dans l’impossibilité de répondre à l’annonce !
Les recruteurs peuvent devenir des moteurs d’exclusion
Certes, l’emploi des jeunes est une priorité nationale, mais ne sommes-nous pas en train, en même temps, de faire une crise de jeunisme ? A quoi bon former les plus de 40 ans puisque, de toute façon, la grande majorité des recruteurs n’en veulent pas ?
L’âge n’explique pas tout ? Nous ne pouvons, certes, généraliser. L’explication des 1,5 million de professionnels de niveau Bac+2 et plus pointant à Pôle Emploi est sûrement multifactorielle. Mais pourquoi jeter en permanence l’opprobre sur des demandeurs d’emploi qui seraient mal formés et jamais sur des recruteurs qui useraient de pratiques d’une époque révolue ?
Notre président de la République, Emmanuel Macron, ainsi que son gouvernement ne peuvent, comme leurs prédécesseurs, faire l’impasse sur la recherche d’explications du côté des recruteurs à la situation actuelle de grands nombres de chômeurs en France. Il convient de le mettre en lumière : par notre culture du rejet de l’échec, de la jalousie de la réussite et d’autres peurs profondément ancrées, les recruteurs peuvent devenir de véritables moteurs d’exclusion. Un diagnostic, rigoureux et sans parti pris, du million et demi de diplômés souvent très expérimentés et sans emploi, pourra y contribuer. Cela évitera du gaspillage et une allocation optimale des 31 milliards alloués annuellement à la formation à l’heure où la France ne peut plus se permettre des dépenses inefficaces compte tenu de son endettement.
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