La politique est cruelle. Et une élection est rarement une prime au mérite. Emmanuelle Ménard en a fait l’expérience. Elle a prouvé qu’un député pouvait servir, soutenir, écouter, travailler et être battu. Son époux lui rend hommage.
Je voudrais vous parler… de ma femme. Je sais, un journal n’est pas fait pour ça. Mais, avec tout ce que nous vivons en ce moment, tout est chamboulé. Alors pourquoi pas ? Mon amie Élisabeth Lévy n’a pas dit non. Vous pourrez toujours lui écrire si vous n’êtes pas contents.
Emmanuelle était députée. À l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes dans l’entre-deux-tours et dimanche dernier, cela ne s’est pas passé comme nous l’espérions. Le candidat du Rassemblement national l’a nettement devancée. Nous ne nous y attendions pas. Et, bien sûr, nous sommes déçus. Rien d’étonnant. Rien d’original. C’est la règle du jeu, me direz-vous. Et vous aurez raison.
La politique est cruelle. Elle est injuste. Emmanuelle vient de l’apprendre à ses dépens. Face à la déferlante lepéniste, le travail accompli, la présence dans l’Hémicycle, l’écoute portée à chacun ont pesé des clopinettes. J’ai rencontré des électeurs qui m’ont demandé où se trouvait le bulletin « Bardella »… Vous pouvez toujours essayer de leur expliquer qu’on vote pour un homme ou une femme – ça s’appelle un député – qui, s’il est élu, votera à son tour des lois, des résolutions, des motions… Il va falloir faire plus court dans vos explications. À Béziers comme ailleurs, on veut Bardella, un point c’est tout. Le reste est accessoire. Que Macron dégage, on en rêve. Peut-être davantage encore qu’à la victoire des Bleus à l’Euro. C’est tout dire.
Vous l’avez compris, nous avons été soufflés par l’ouragan bardellien. Chez nous, 90 % des électeurs en ont ras le bol d’Emmanuel Macron. Et l’ont dit chacun à leur manière : en votant pour LFI, RN ou Emmanuelle. Et c’était à qui serait le plus radical, le plus extrémiste, le plus démago pour tout dire. L’extrême gauche a été incontestablement la meilleure dans ce concours Lépine. Battus, le RN et sa retraite à 62 ans (encore qu’on n’a pas très bien compris les explications de Jordan Bardella sur le jeune qui commence à bosser à 24 ans…) par les fans de Mélenchon. Pour eux, ce sera 60. Idem pour l’augmentation des salaires, la baisse des prix, etc. À ce jeu, Emmanuelle était battue d’avance. Elle a peu de goût pour le n’importe quoi. Ça n’a pas fait un pli. J’ai même vu une affiche placardée sur un espace de « libre expression » avec écrit « Ménard n’aime pas les pauvres ». Une énième saloperie sortie tout droit d’un cerveau Insoumis.
Nous nous sommes trompés. Emmanuelle comme moi. Réduits au rôle de fichu de paille dans la tempête. Le fond de l’air est rouge, disions-nous quand j’avais 20 ans et militais dans les rangs trotskistes (même s’il s’agissait d’un slogan mao, mais nous nous fichions pas mal du copyright). Aujourd’hui, l’horizon est à la colère. Plus personne ne trouve d’excuse à ceux qui ont occupé les premières loges depuis tant d’années. Macron est détesté. Mais il n’est pas le seul : les politiques, les juges, les journalistes sont détestés. Et ne parlons pas des partis « de gouvernement », de droite comme de gauche n’en déplaise à François Hollande plongé dans un bain de jouvence. Aux tables des cafés, on reparle de politique. On se met à rêver de « grand soir » façon nationaliste, réactionnaire, souverainiste (rayer la mention inutile).
Je comprends et partage cette envie de grand large. À condition de ne pas nous promettre une nouvelle Amérique où l’on travaillerait moins, gagnerait plus et partirait plus tôt à la retraite. C’est un mirage. Et je crains les lendemains qui déchantent. Le RN ne va pas mettre en danger la démocratie, la République et que sais-je encore. Il y a longtemps qu’il n’est plus un groupuscule d’extrême droite adepte des cagoules et des barres de fer. Les black blocs et les fous furieux de l’ultra-droite ont pris sa place. Aujourd’hui, dans les rangs lepénistes, on rêve d’être ministre, de présider un de ces hochets qui font le charme de la République, de places douillettes dans les grands organismes d’État. Bref, de se tailler une place sous les ors de la République. Et c’est bien légitime quand on a dû patienter si longtemps à la porte d’entrée. Comme un remake de mai 81. Les plus anciens s’en souviendront.
Emmanuelle a d’autres rêves. Rendre service, soutenir, écouter, aider. Des rêves de catho, sûrement. Des rêves qui font moins rêver certains qu’une Rima Hassan et son keffieh palestinien autour du cou. Moi, elle me fait cauchemarder celle-là. Comme égérie, je préfère encore la Rosa Luxembourg de ma jeunesse.
Ah oui, j’oubliais dans ce tableau – je le concède fort subjectif –, la basse vengeance de Marine Le Pen. Nous nous connaissons bien. Elle n’aime que les vassaux. Et ne nous a jamais pardonné nos critiques, même quand nous étions pourtant bien seuls à appeler à voter pour elle, malgré nos désaccords, lors des deux tours de la dernière présidentielle. Aujourd’hui, elle est courtisée. Nous ne devons pas avoir de talent pour les ronds de jambe. Et, comme son alter ego Mélenchon, elle a de la mémoire et la dent longue. Nous avons payé notre impertinence. Dire que je le regrette serait un mensonge. Ah tiens, je m’aperçois que nous avons un point commun avec Alexis Corbière, lui aussi pourchassé, mais par le menhir Insoumis. Nous sommes tous les trois des Biterrois ! Avec un putain de mauvais caractère. Des gênes cathares, peut-être…
Je suis en face d’Emmanuelle. Elle me bluffe. Ce lundi matin, elle était à nouveau devant la gare dès 6 heures. Avec nos fidèles militants – nous avons déjà une « longue marche » de dix ans à notre actif –, elle distribuait des tracts. Elle faisait semblant d’avoir oublié la défaite de la veille. À la maison, ses yeux se troublent. Elle me fait frissonner quand elle pleure. Oui, la politique est injuste. Nous le savions. C’est une autre paire de manches de le vivre.
Une dernière confidence : je l’aime.