Il y a peu de temps, Jupiter descendit du mont Olympe, condescendant, pour nous autres gueux, ses sujets, à faire un peu de figuration en fin de campagne électorale. Il se fendit alors, pour notifier au peuple son entrée en lice, d’une lettre diffusée dans la presse quotidienne régionale. Dans cette épître qui sonnait comme une mauvaise lettre de motivation adressée au responsable des ressources humaines d’une start-up, il vanta platement ses mérites et sollicita, en raison de l’excellence indubitable de son bilan, la reconduction de celui-ci. De débats, il ne fut point question.
Notre candidat se rendit ensuite à Poissy « à la rencontre des Françaises et des Français » pour tenter de vendre son projet fumeux à un parterre d’affidés tout acquis à sa cause. Il prit bien soin de noyer toutes les réponses qu’il apporta à des questions dont on supposa fortement qu’il avait eu une connaissance préalable. Cette soirée mémorable fut, du reste, écourtée. Notre histrion s’esbnigna en effet, non sans en proférer du ton tragique du chef de guerre qu’il était devenu, des mots qui laissèrent supposer qu’il s’en allait sauver le monde : « Je dois partir, j’ai un call. »
Une reconduction assurée ?
Puis notre jeune roi, poursuivant son simulacre de campagne, parada, sans contradicteur, bien sûr, derrière quelques pupitres. Il y déploya, tel un prestidigitateur et dans un langage pompeux de technocrate un programme creux, soigneusement vidé des préoccupations sans générosité des fachos, telles que l’insécurité, l’identité ou le pouvoir d’achat ; programme qui n’alla pas toutefois sans donner un coup de grâce à l’école déjà à terre.
Résumons-nous : écrasé par ses responsabilités de chef de guerre et fort de sa gestion du Covid, notre roitelet refuse de se confronter aux candidats qui briguent sa succession, s’occupant du seul « projet qu’il veut porter pour le pays », traçant sa route, imperturbable, « au-delà des chicayas de clans ». En ces temps de « peurs obsidionales », notre jeune prince n’a, en effet, pas de temps à perdre en « carabistouilles » échangées avec des vassaux, d’autant plus que sa reconduction semble assurée.
Une nouvelle épidémie
Mais, voilà qu’une nouvelle épidémie, immédiatement identifiée par notre clairvoyant Jupiter, s’abat sur notre pays, alors qu’il n’est pas même encore sorti du Covid. La donne pourrait bien s’en trouver bouleversée : la terrible rhinocérite qui autrefois frappa les personnages d’Eugène Ionesco est de retour. Il convient de rappeler ici brièvement l’intrigue de la pièce d’Eugène Ionesco, Rhinocéros. Elle dépeint en trois actes le déploiement d’une épidémie imaginaire de « rhinocérite » qui transforme tous les hommes en rhinocéros. Cette maladie très contagieuse est la métaphore aussi tragique que comique de la montée du totalitarisme.
A en croire notre théâtreux de président, très certainement bien renseigné par un conseil de défense durement éprouvé lors de la crise du Covid, nous serions bien avisés face à cette rhinocérite qui s’annonce de mettre d’urgence en place tous les gestes barrières qui s’imposent avant qu’il ne soit question de confinement ou pis encore.
Macron accuse la presse de faire monter la droite nationale
C’est lors d’un déplacement à Fouras, en Charente-Maritime que notre président, interrogé par la presse sur la montée de Marine Le Pen a pu nous avertir du péril imminent. « Je n’ai jamais banalisé le Front National. Il y a un tandem d’extrême droite que je combats » a-t-il précisé en associant Éric Zemmour à la patronne du Rassemblement national. Sermonnant le parterre de journalistes qui brandissaient des micros dans sa direction, il a poursuivi, sans pourtant céder à la peur et évoquant plus particulièrement Marine Le Pen : « Collectivement, j’ai moins entendu dire qu’elle était d’extrême droite. Il y a vingt ans, les médias que vous étiez disaient : « C’est terrible : Front républicain. » Les forces politiques républicaines disaient : « Jamais. » Il n’y a plus cette réaction-là. » Poursuivant sa diatribe, il a ajouté : « Les gens l’ont banalisée, ont détourné le regard, ont dit : « c’est plus sympathique… »
Lors de cet échange avec la presse, nous n’avons pu nous empêcher de voir en Emmanuel Macron, Bérenger, l’un des personnages de la pièce qui résistera jusqu’au bout à la rhinocérite alors qu’il converse avec Dudard, autre protagoniste dans lequel on reconnaîtra aisément les Français et les journalistes, sourds au bruit des bottes et préférant le silence des pantoufles. Jugez plutôt :
BÉRENGER
Je ne vois qu’eux. Vous allez dire que c’est morbide de ma part.
DUDARD
Ils ne vous attaquent pas. Si on les laisse tranquilles, ils vous ignorent. Dans le fonds, ils ne sont pas méchants. Il y a même chez eux une certaine innocence naturelle, oui ; de la candeur. D’ailleurs, j’ai parcouru moi-même, à pied, toute l’avenue pour venir chez vous. Vous voyez, je suis sain et sauf, je n’ai eu aucun ennui.
Interrogé enfin sur le risque d’une victoire de Marine Le Pen notre vaillant petit président a ajouté : « Je vais me battre pour convaincre plus de Français qu’il y a cinq ans au premier tour et encore davantage au second tour. » Et là, nous avons vu notre comédien, seul sur scène, juste avant le tomber de rideau de la pièce de Ionesco, toujours en Bérenger : « Je me défendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant) Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! »
RIDEAU
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