Le président voudrait vite passer à autre chose, pas nous!
Les leçons du scrutin de Philippe Bilger
Plusieurs leçons incontestables, devenues banales à force d’être répétées, après ce second tour des élections régionales et départementales :
– Le désastre démocratique de l’abstention le 20 juin n’était pas un feu de paille : il a été confirmé le 27 juin.
– La forte reculade du RN. Il serait intéressant de se pencher sur l’évolution de ce parti qui a semblé longtemps avoir le vent en poupe, à cause notamment de la faiblesse régalienne du pouvoir et de son laxisme en matière d’immigration illégale aussi bien que légale, puis qui a beaucoup perdu au point d’être malmené par ses adversaires de toujours mais aussi par certains de ses militants qui le trouvent trop tiède.
– La déconfiture sans précédent du parti présidentiel. On aura beau invoquer sa jeunesse (seulement quatre ans) et donc son manque d’ancrage, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une déroute.
– La renaissance de la droite que pour ma part je n’ai jamais cru morte et qui est parvenue à résister même à sa nomenklatura officielle dont la tactique constante était de l’enterrer avant l’heure et qui semble vouloir persévérer dans l’erreur en traînant de la résolution et de l’énergie pour l’organisation rapide d’une primaire.
– Le caractère délétère de toute alliance à gauche dès lors que LFI en sera partie prenante.
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Au regard de ces données, on comprend bien pourquoi le président n’a qu’une envie : passer vite à autre chose ! Mais pas nous. Il faudra que royal ou républicain il accepte de demeurer quelques instants dans les péripéties tellement lourdes de sens de ces élections. Celles-ci ont été nationalisées sous son égide puisqu’une noria de ministres s’est abattue sur les listes LREM moins pour battre le RN que, par exemple, Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France ou obliger au moins ce dernier à être sauvé par ceux qui le combattent. Comme l’échec a été cinglant, on a décidé que tout cela était dérisoire, purement local, et que bien sûr aucun ministre égaré dans cette entreprise ayant dévoyé leur mission fondamentale et sèchement vaincu ne serait renvoyé. Pourquoi ?
Macron hypocrite envers Bertrand
Cette attitude d’irresponsabilité est d’autant plus choquante que lui-même s’était engagé, dans une campagne qui ne disait pas son nom, dans cette joute prétendument et seulement régionale. Et après sa victoire, on félicite Xavier Bertrand : tout cela ne relève plus de la courtoisie républicaine mais d’une hypocrisie qui ridiculise les choix authentiques.
Je n’aurais pas l’impudence de comparer cet effondrement avec celui du 29 mai 2005 tenu pour rien plus tard, mais la désinvolture avec laquelle le président de la République traite les enseignements capitaux des 20 et 27 juin – il fait distiller le message qu’il interviendrait peut-être au début du mois de juillet et qu’il n’y aurait pas de remaniement mais des « ajustements » – n’est guère républicaine. C’est à la fois mépriser tactiquement mais absurdement ces élections intermédiaires, les Français qui ont voté et l’immensité des citoyens qui ne l’ont pas fait. Il dépend de son bon vouloir d’attacher ou non de l’importance à ce que le peuple a décidé explicitement ou par son considérable refus. Il n’a pas à se soucier de la semonce radicale qui a été adressée à son camp et donc à lui-même puisque il en est l’élément central, voire exclusif. Cette manière condescendante de refuser d’aller au-delà des résultats apparents déjà catastrophiques est typique d’une tradition française du pouvoir où on fait tout pour hypertrophier l’élection présidentielle en réduisant à la portion congrue tout ce qui la précède et qui est pourtant très éclairant.
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Le retour du clivage gauche-droite ?
Nul doute cependant qu’Emmanuel Macron, avec lucidité, cynisme et invocation permanente des valeurs pour ennoblir ses calculs, sent bien que le paysage a changé, que le RN n’est pas aux portes du pouvoir et que lui-même ne peut plus être perçu comme un bouclier plausible puisque, avant d’être réuni avec lui dans la même déroute contrastée, il l’avait consciencieusement fait monter par faiblesse et stérilité opératoire du « en même temps ».
Je suis persuadé qu’il parviendra à profiter des erreurs de ses adversaires et je crains qu’il puisse trop compter pour cela sur Christian Jacob et son équipe rapprochée. Mais, depuis le 27 juin, on sait que LREM est très bas et qu’une forêt exsangue ne parviendra plus à occulter l’arbre fortement touché. Qu’il veuille vite tourner la page, ce désir de sa part est compréhensible. Mais qu’il nous laisse au moins le temps de savourer cette déconfiture politique, ce retour des forces traditionnelles, et, à la fois, de déplorer ce désastre démocratique : le peuple s’est mis aux abonnés absents mais il gronde.
Nous ne sommes pas encore passés à autre chose.
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