Disons-le tout de suite : je ne suis pas libéral. Ni sur le plan économique, ni sur le plan sociétal. Je suis progressiste et je reste gaulliste social, c’est-à-dire que je me situe vraiment à l’extérieur de ce que représente aujourd’hui Emmanuel Macron. Néanmoins, l’hypothèse Macron me semble de plus en plus crédible et peut-être souhaitable. Pour deux raisons qui semblent paradoxales.
Fillon, danger majeur de la présidentielle…
D’abord parce que l’hypothèse Fillon, l’hypothèque devrait-on dire, représente le danger majeur de cette élection présidentielle. François Fillon se présente comme gaulliste, mais de tendance thatchérienne, ce qui constitue un bel oxymore. En politique étrangère, François Fillon a certes émis quelques signes – sur la Russie ou sur la Syrie – indiquant qu’il conserve quelques réflexes gaullistes d’indépendance. Néanmoins, il n’est nulle part question pour lui de sortir de l’Otan, ce qui ramène en fin de compte davantage sa position à une posture plutôt qu’à une véritable politique d’indépendance. En politique sociétale, Fillon défend un programme de fermeture complète aux avancées de l’époque contemporaine. Bien qu’il se défende de revenir sur l’avortement notamment, ses prises de position personnelles s’apparentent à une ordre moral très « XIXème siècle ». En politique sociale, le programme de remise en cause de la Sécurité sociale serait catastrophique pour le modèle de français de protection sociale et pour le bien-être des Français. En politique économique, la purge imposée aux ménages, la suppression de 500 000 fonctionnaires, la diminution des prestations aux chômeurs et l’absence de toute réelle politique d’investissement, loin de réduire les déficits et d’améliorer les principaux indicateurs économiques, les aggraveront. Dans l’entourage de François Fillon, certains n’hésitent pas à dire qu’il faut en passer par une période de 2 à 3 ans de vaches maigres et de récession avant de rebondir. Politique sacrificielle complètement hasardeuse et à contre-cycle au moment où le Royaume-Uni veut réinvestir et où Trump promet un New deal et une relocalisation aux Américains.
… dont la défaite serait une catastrophe
Il n’empêche, l’élimination au second tour de François Fillon par Marine Le Pen serait une catastrophe. Le climat de tensions inter-communautaires, les haines sociales entretenues depuis vingt ans entre le FN et le libéral-libertarisme post soixante-huitard, le programme rupturiste du FN… tout conduirait à un désordre sans équivalent au lendemain de l’élection de Marine Le Pen. La sécession d’une partie des agents publics entretenue par une gauche redevenue « résistante » le 11 mai, mettrait la France au bord de la guerre civile. Et pourtant François Fillon ne constitue pas un rempart face à cette situation. Bien au contraire. Car sur tous les aspects de son programme et de sa politique, le FN présente des mesures qui apparaitront plus justes aux Français que celles proposées par la droite. A chaque fois que la gauche, de Macron à Mélenchon, critiquera Fillon, elle apportera de l’eau au moulin du FN et conduira les électeurs traditionnels de gauche à s’abstenir au second tour et les électeurs populaires à voter Le Pen. Avec Fillon au second tour, Marine le Pen a toutes les chances de l’emporter.
Pris entre un désastre annoncé et une catastrophe programmée, quelle alternative pour les hommes de progrès ? Aucun des candidats de la gauche solférinienne n’a de chance d’accéder au second tour. Que ce soit Valls, Montebourg ou Hamon le gagnant de la primaire, aucun d’entre eux ne dépassera sans doute 10 à 12% au premier tour de la présidentielle. Et les socialistes étant totalement démonétisés, on peut même imaginer que le candidat socialiste fasse un score à la Deferre… Face à eux, Mélenchon qui présente la vraie alternative de gauche a certainement un grand pouvoir de nuisance. Il peut sans doute mobiliser 15% des électeurs… Peut-être 16 ou 17%, mais il sera sans doute incapable de franchir le seuil des 20% qui peut permettre à un candidat d’espérer figurer en final.
Macron peut être la surprise du premier tour
Qui reste-t-il alors ? Macron sans doute. Certes il est donné aujourd’hui à un score voisin de Mélenchon, mais son profil atypique, sa jeunesse, son indépendance des partis, son positionnement « hors système » qui pouvaient en d’autres temps constituer des handicaps sont devenus des atouts. Comme Fillon fut l’ovni de la primaire de la droite, Macron peut être la grande surprise du premier tour de l’élection présidentielle. Les derniers sondages publiés montrent qu’il a le potentiel de monter à 20 ou 21 % , voire 23% et faire tomber éventuellement Fillon à 21% ou à 20%. Il est même en mesure de troubler le jeu au sein des anti-systèmes en faisant reculer Marine Le Pen en troisième position. Le score risque d’être serré comme entre Chirac et Balladur, mais c’est jouable. C’est loin d’être joué, mais c’est jouable. Alors pourquoi, me direz-vou puisqu’il s’affiche comme libéral à l’égal de Fillon ? Parce qu’il attache à son libéralisme un progressisme qui n’est pas anodin alors que Fillon ne fait que rabâcher des antiennes ultra-conservatrices. Macron ne promet pas une casse sociale comme Fillon. Que ce soit sur les retraites ou sur la protection sociale, Macron ose des mesures novatrices alors que Fillon regarde vers le passé. Macron est peut-être en mesure de proposer une forme française de flexi-sécurité, alors que Fillon ne postule qu’à la précarité inflexible.
Il reste quatre mois pour se décider. Mais face au désastre Fillon ou à la catastrophe Le Pen, il faut peut-être envisager de sortir des sentiers battus en 2017. Il est en effet facile de se faire plaisir en votant pour celui qu’on aime (j’avoue que je trouve les idées de Montebourg séduisantes, que j’ai de l’estime pour le souverainisme de Dupont-Aignan, que beaucoup de raisonnements sociaux de Mélenchon m’attirent), ou de bouder en se retirant sur l’Aventin. Mais, il est aussi possible d’accompagner un mouvement qui même s’il est très incertain, semble plus enviable pour la France que le désastre économique programmé par François Fillon, ou le risque de guerre civile enclenché par l’élection de Marine Le Pen. Les hommes de progrès auront à cœur d’y réfléchir dans les mois qui viennent.
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