Ouf, c’est fini. S’il y a ce soir un sentiment très largement partagé par les Français, de Calais (137 % de vote Le Pen au premier tour) à Paris 3ème (145 % de vote Macron au 1er tour), c’est sans doute la satisfaction que cette campagne pourrie soit derrière nous. Une campagne électorale devrait être, imagine-t-on, une fête démocratique, un festival de la tolérance, un aimable foutoir où on s’affronte sans se vomir et qui permet de vérifier, à intervalles réguliers que, si nous ne partageons pas les mêmes idées, nous parlons le même langage. Or, après les manigances qui ont plombé l’avant premier tour, l’entre-deux-tours aura pris les allures d’une quinzaine de la haine, et même de toutes les haines. Des bistrots aux studios, des colonnes des journaux aux réseaux sociaux, on n’a pas franchement parlé printemps. On dirait plutôt que les Français avaient envie d’étriper tous ceux qui ne votaient pas comme eux. « Même s’il a surpris les gogos, le ralliement de M. Dupont-Aignan était écrit, observe Franz-Olivier Giesbert dans Le Point. Il est même logique : quand on a la haine de l’autre, de l’Europe, du monde entier, il y a de fortes chances, à moins d’être d’extrême gauche, que l’on soit lepéniste. » Cher Franz, je ne vois vraiment pas en quoi la haine des souverainistes ou des avocats du protectionnisme serait plus honorable.
Le haïr, c’est la pire façon de s’opposer
Toutes les haines, bien sûr, n’ont pas joui du même statut. Dans les médias, et chez les people, la haine du Front national et de sa candidate ne se discutait pas, on l’encourageait comme un devoir civique. Forcément, puisque c’était « la haine contre la haine », excuse admirable et tordante (il faudra m’expliquer un jour pourquoi cette haine de la divergence au nom de l’amour de la différence ne fait pas hurler de rire tout le monde). On aura aussi découvert la haine de l’abstentionniste, traité d’irresponsable, de crétin ou de lepéniste passif. Sans oublier les admonestations de François Hollande, jusqu’au jour du vote où son appel cousu de fil blanc à voter Macron, en violation flagrante de la loi, a bien dû rapporter quelques voix à sa rivale.
Toutefois, il faut souligner qu’Emmanuel Macron a été la cible d’attaques tout aussi haineuses, sur les réseaux sociaux ainsi qu’à travers les diatribes de Marine Le Pen et de pas mal de mélenchonistes contre « le candidat de l’argent » ou « le banquier » – curieusement, cet amalgame éhonté n’a pas suscité l’indignation habituelle des associations. Dans ce registre, on distinguera la tribune de François Ruffin, soutien de Jean-Luc Mélenchon, dans Le Monde: « Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï », martèle-t-il avec une fausse désolation à l’endroit de Macron, expliquant longuement tout ce qui, selon lui, justifie cette haine. Il y a six mois, toutes ces grands âmes de gauche applaudissaient un homme qui, ayant perdu son épouse au Bataclan, lançait « vous n’aurez pas ma haine » aux djihadistes, mais Macron mériterait la nôtre ? Je n’achète pas – pas plus que je n’achète pour Mélenchon, Le Pen ou Jacques Cheminade, que je m’autorise cependant à trouver ridicule.
Que l’on combatte la politique et les idées d’Emmanuel Macron, que l’on s’agace et que l’on s’inquiète de son côté « moderne de chez moderne », fort bien – tout cela est prévu, chers lecteurs –, mais pardon, je ne vois aucune raison de le haïr. Et encore moins d’encourager la haine des autres. Pratiquée avec autant de bonne conscience, de manichéisme et de sottise que l’antifascisme de bazar, cette rhétorique, qui érige le libéralisme en Satan alternatif, réconcilie une grande partie des troupes du FN et de France insoumise. Et cette convergence vers un nouveau récit binaire n’est pas une bonne nouvelle.
« La France qui perd » n’a pas de champion
Tous les commentateurs l’ont noté, les résultats du premier tour ont esquissé le tableau d’une France divisée, entre gagnants et perdants de la mondialisation, entre oubliés et chouchous de l’histoire – bref une France qui ressemble sacrément à celle de Christophe Guilluy, avec ses métropoles qui votent bien et sa périphérie qui vote mal. Ce soir, « la France qui gagne » a gagné. Démocratiquement – quels qu’aient été les manquements au pluralisme réel. Cependant, si « la France qui perd » a perdu ce soir, ce n’est pas parce que le pays est majoritairement acquis aux thèses du « Parti de demain », expression que Jean-Claude Michéa applique à la gauche d’aujourd’hui mais qui sied à merveille au nouveau président, mais parce qu’elle manque de porte-paroles dignes de porter ses aspirations et ses inquiétudes. La plus grave erreur qu’Emmanuel Macron pourrait commettre serait de mépriser ces électeurs défaits dans les urnes et d’ignorer les questions pressantes qu’ils posent avec constance.
Il est vrai que cette France des perdants, qui partage a minima une sorte d’humeur mélancolique devant la disparition des anciens cadres de l’existence, est aussi très divisée dans ses aspirations, ses représentations et ses intérêts. Elle peut faire cohabiter dans le refus – de l’Europe, de la marchandisation – le catho de Versailles et le chômeur de Poissy. Pour autant, on voit mal sur quelle base elle constituerait un parti. Or, l’autre France, celle qui n’aime pas les frontières et qui est aux manettes ce soir, constitue depuis longtemps un bloc sociologique, voire une véritable classe sociale au sens marxiste du terme. Aujourd’hui, elle est peut-être en train de faire son unité politique.
Vers une vaste et salutaire clarification idéologique
Après le jeu de massacre qui a vu le favori de l’élection, mais aussi les deux partis que l’on disait « de gouvernement » disparaître du deuxième tour, puis le premier parti de France perdre de sa superbe après la prestation calamiteuse de sa candidate, on a beaucoup parlé de confusion. En réalité, nous vivons peut-être le début d’une vaste et salutaire clarification idéologique. Au lieu de ricaner les ralliements à En Marche !, on devrait en souligner la cohérence: voilà des années qu’on ne comprend pas ce qui empêche Pierre Moscovici, Alain Juppé, François Hollande de travailler ensemble et qu’on comprend encore moins ce que font ensemble Hamon et Valls d’un côté, NKM et Wauquiez de l’autre. De plus, on s’énerve, à bon droit de voir deux partis s’empailler tous les cinq ans, pour mener peu ou prou la même politique. Emmanuel Macron incarne avec talent ce que Marine Le Pen appelait l’UMPS. Européen et libre-échangiste décomplexé, à la différence de François Hollande qui a passé son temps à faire semblant de mener une autre politique que la sienne, il sera peut-être en situation de mener une forme chimiquement pure de cette politique dont on nous dit tous les jours qu’elle a fait merveille dans toute l’Europe.
Un peu moins de la moitié des électeurs inscrits ont choisi Emmanuel Macron et moins d’un quart sa rivale ; cela prouve bien qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’alternative à l’option « progressiste » qui est en réalité une option européiste et libre-échangiste (qui n’est pas infamante mais contestable). « Celles-et-ceux » qui ne veulent pas de l’avenir post-national et multiculti qu’on leur promet ont cinq ans pour en construire une – et, peut-être trouver leur Macron. Ou leur Macronne.
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