Le modèle hyperlibéral européen défendu par Emmanuel Macron aboutit à promouvoir l’hyperindividualisme dans un monde sans frontières. Cette vision du monde contribue à fracturer davantage la société française au moment où nous peinons à former une communauté nationale.
Chaque élection présidentielle est censée accomplir un miracle : dépasser, par son issue, les dissensions, voire les différends que la campagne qui la précède a invités à s’exprimer et a, dans la chaleur de l’affrontement, exacerbés. Ainsi, dès que « les urnes ont rendu leur verdict », l’élu devient président de tous les Français, qu’ils aient ou non voté pour lui. Il vaut la peine de revenir un instant sur cette transmutation du plomb de la discorde, sinon en or de la concorde (n’exagérons pas), disons en cuivre de l’acceptation. Et ce, d’autant plus que les conditions pour que cette alchimie opère se trouvent de moins en moins réunies.
La règle de la majorité
Les anciens Grecs nous ont appris à distinguer, parmi les régimes politiques, la monarchie, gouvernement de la cité par un seul, de l’oligarchie, gouvernement de la cité par un petit nombre, et de la démocratie, gouvernement de la cité par tous les citoyens. Le dernier cas, pour séduisant qu’il soit, soulève une grave difficulté : que peut signifier le gouvernement de tous par tous, quand tant d’avis différents, voire divergents, se font jour au sein du peuple ? Une façon simple de résoudre les controverses est de procéder à un vote, et de considérer que l’avis ou le candidat qui recueille la majorité des suffrages s’impose à tous. Cette règle, remarquons-le, n’est nullement fondée en logique : une majorité, serait-elle écrasante, n’est pas une universalité. Au nom de quoi les majoritaires sont-ils habilités à gouverner pour tous ?
On pourra répondre : telle est la règle inscrite dans la Constitution. Mais pareille justification est problématique, car jamais un peuple de quelque importance n’adopte une constitution à l’unanimité. En France par exemple, la Constitution de la Ve République a été entérinée par référendum, où 20 % des votants avaient manifesté leur désaccord. Autrement dit, la règle de la majorité a été appliquée pour adopter la constitution où est inscrite la règle de la majorité.
On pourra aussi dire que de toute façon, devant l’impossible (et sans doute, généralement, non souhaitable) unanimité, une règle est nécessaire pour trancher, et que la règle de la majorité est la meilleure (ou la moins mauvaise) de toutes, en ce qu’elle maximise le nombre des satisfaits (ou minimise le nombre des insatisfaits). Avec, toutefois, cette limite : on ne tient pas compte, dans l’affaire, du degré de satisfaction ou d’insatisfaction (ainsi, une majorité de mollement « pour » peut imposer son point de vue à une minorité de farouchement « contre », une majorité flageolante peut prendre le pas sur une minorité vigoureuse). Et quoi qu’il en soit,
