L’arrogance n’est pas quelque chose qu’Emmanuel Macron laisse transparaître par maladresse…
Depuis le discours du 22 mars, on entend nombre de commentateurs, pourtant peu suspects de sympathies macronistes, déplorer la « maladresse » de la communication présidentielle. C’est oublier un peu vite la personnalité de celui qui a dit « qu’ils viennent me chercher » et « j’ai très envie de les emmerder, donc on va continuer à le faire » – le point clef n’étant évidemment pas « emmerder » mais « j’ai très envie, donc », c’est-à-dire le fait du prince dans ce qu’il a de plus capricieux. C’est oublier, aussi, cette remarque cinglante de Coluche : « Les hommes politiques, j’vais vous faire un aveu, ne sont pas bêtes. Vous vous rendez compte de la gravité ? Ils sont intelligents. Ça veut dire que tout ce qu’ils font, ils le font exprès. »
Narguer la foule
Emmanuel Macron ne serait pas devenu président de la République sans un minimum d’intelligence et de sens politique : il y a, pour ce poste, nettement plus de candidats que de lauréats… Il est donc très probable que si la quasi-totalité des observateurs de la vie du pays ont remarqué que ses interventions ont presque systématiquement pour effet d’attiser les colères et d’amplifier les crises, lui-même s’en est également rendu compte. Alors pourquoi ?
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D’abord, il y a l’hubris en toile de fond. « Qu’ils viennent me chercher ! » Le prince se pense intouchable, et rejette la responsabilité de ses échecs et de la détestation qu’il suscite sur des ministres qu’il méprise d’autant plus qu’ils n’osent pas lui dire ses quatre vérités. Emmanuel Macron se ment-il à lui-même, croit-il vraiment qu’Élisabeth Borne est responsable ? Il est bien plus probable que, moderne Caligula parlant de nommer son cheval consul pour provoquer les sénateurs et leur faire sentir leur impuissance, il s’enivre de pouvoir tout se permettre sans risque, et jouisse de narguer la foule depuis l’abri de sa fonction et de la force publique. Ce qui est sûr, c’est que la personnalité d’Emmanuel Macron est un élément déterminant de ce qui se joue. La lettre ouverte que Julien Aubert, qui l’a côtoyé à l’ENA, lui écrivait au soir de son élection en 2017 paraît aujourd’hui prophétique, ses inquiétudes hélas confirmées, jusque dans leurs moindres détails, par les six années écoulées. L’arrogance n’est pas quelque chose qu’Emmanuel Macron laisserait transparaître par maladresse, mais quelque chose qu’il prend plaisir à pouvoir afficher en toute impunité.
Les violences permettent de décrédibiliser l’opposition
Sans doute, aussi, donne-t-il ainsi des gages au socle de son électorat, qui partage son mépris envers « ceux qui ne sont rien » et autres « sans dents » ou « déplorables », et apprécie qu’il le fasse sentir. Il y a toute une frange de ses soutiens qui a aimé son « j’ai très envie de les emmerder ». La même sans doute qui feint de confondre la foule et le peuple, et dénigre l’idée même d’un référendum (qui réconcilierait pourtant légalité et légitimité), le peuple étant souverain, certes, mais pas trop, les gueux ça vote mal, et la démocratie n’a de sens que tant que la plèbe suit les consignes de France Inter, des fact-checkers et de Saint-Germain-des-Prés.
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Ensuite, le calcul à court terme. Il faut radicaliser la contestation, la provoquer, attiser la rage, pour pousser à la violence. Car cette violence permet de décrédibiliser l’opposition dans son ensemble, et de justifier, outre une évidente tentation autoritaire, la confiscation de la démocratie par l’extrême-centre, le fameux « cercle de la raison », dont toute la rhétorique consiste à refuser la moindre légitimité aux projets de société différents du sien, et à se présenter comme la seule option possible. Édouard Philippe ne s’en cache pas, et appelle de ses vœux l’union des partis « de gouvernement », concrétisant le fameux « UMPS » tant dénoncé jadis par Marine Le Pen. Une telle manœuvre, visant à réserver l’exercice du pouvoir à un conglomérat de courants politiques ne représentant ensemble grosso-modo qu’un tiers de l’électorat (et encore : de l’électorat non-abstentionniste…) est pour le moins anti-démocratique. Bien sûr, l’ultra-gauche, l’extrême-gauche de plus en plus ouvertement complice de l’ultra-gauche, et la gauche autoproclamée « républicaine » mais alliée à l’extrême-gauche au sein de la Nupes, n’ont pas besoin des provocations d’Emmanuel Macron pour agresser les forces de l’ordre (avec, ces derniers jours, une violence inouïe), casser et brûler. Mais il faut que la colère générale monte pour que les opposants, même non-violents, se mettent eux-mêmes hors-jeu en rechignant un peu trop à se désolidariser des casseurs, il faut que l’exaspération conduise à la surenchère dans des discours militants absurdes, pour que la prétention de l’extrême-centre à se présenter comme le rempart de l’ordre et de la raison face au chaos soit crédible.
Les gagnants de la mondialisation prennent le large
Enfin, le projet à long terme. Accroître les tensions pour fragmenter le pays en blocs antagonistes. « Diviser pour mieux régner », oui, mais pas seulement. L’extrême-centre veut la tiers-mondisation. Pourquoi ? Parce qu’il est le parti des « élites » qui aspirent à se comporter comme le font les « élites » du tiers-monde, sans pudeur et sans vergogne. L’immigration massive et la déconstruction n’ont pas d’autre objectif. L’extrême-centre veut la fin de la décence commune pour désarmer moralement « monsieur tout-le-monde » et le rendre incapable de résister à l’endoctrinement qui le pousse à se soumettre à ses prédateurs (qu’il s’agisse des spéculateurs ou des racailles), mais aussi pour échapper lui-même au regard accusateur de cette décence commune, et pouvoir jouir de sa position de « gagnant de la mondialisation » sans même l’entrave d’un reste de mauvaise conscience. Pour priver le peuple de sa souveraineté, il veut qu’il n’y ait plus de peuple, seulement une collection de minorités rivales. Pour mettre fin à la démocratie, il veut mettre fin aux démos. Il veut que l’opinion publique soit hostile aux forces de l’ordre, pour acculer celles-ci à soutenir le pouvoir quoi qu’il fasse. Il veut l’effondrement des services publics (l’école, les hôpitaux, etc) pour rendre inévitable leur privatisation. « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance » disait Denis Kessler. Bien sûr, Emmanuel Macron n’est pas le premier à œuvrer dans ce sens. Il y a plusieurs décennies que, comme le souligne Xavier Patier « l’État (…) ne remplit plus ses missions essentielles, car les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques sont engloutis dans les transferts sociaux, tandis que les services publics, garantissant le bien commun, se paupérisent. »
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Dit autrement, l’État est devenu un fermier général qui écrase d’impôts la classe moyenne afin de financer le « tribut aux barbares » (dont la présence massive, redisons-le, vise à la tiers-mondisation culturelle) et les subventions versées aux multiples clientèles et alliés des gouvernants successifs (on pense, par exemple, aux avantages fiscaux délirants dont bénéficie le Qatar). Christophe Boutin et Jean-Sébastien Ferjou ont bien cerné le macronisme, fuite en avant permanente : « À chaque fois, la méthode est la même : démanteler une administration nationale pour imposer un nouveau mode de « gouvernance » et de « management » issu du privé, à grand renfort de cabinets de « consultants » étrangers. » Le macronisme est un progressisme « libéral sur le plan économique, mais un libéralisme mondialisé et financiarisé, libertaire sur le plan sociétal, allant ici jusqu’à un déconstructionnisme qui, en s’attaquant aux piliers mêmes de l’ordre social (famille, roman national) n’est jamais que l’idiot utile du capitalisme financiarisé. »
À tout prendre, il serait rassurant qu’Emmanuel Macron et son entourage soient seulement maladroits, « fiers d’être des amateurs ». Sans doute certains y croient-ils vraiment, se réfugiant dans les bras de l’extrême-centre par peur d’une gauche ivre de ses rêves de Grand Soir et de ses néo-gardes rouges wokes, comme d’une droite systématiquement qualifiée « d’extrême » et méthodiquement diabolisée, alors qu’elle seule, dans la crise en cours, respecte à la fois le besoin de légalité et d’ordre, et l’indispensable légitimité démocratique de la volonté générale. Mais dans l’ensemble, hélas, la jubilation de narguer les uns et de manipuler les autres, et le calcul cynique, sont des explications bien plus probables au comportement de ceux qui nous dirigent.