Quelqu’un occupe le haut de l’affiche. Au lieu de vous contenter de le savoir et de vaquer tranquillement aux intérêts de votre moi profond, ça vous titille, et votre regard est aimanté vers l’affiche, y revient encore et encore. Si vous étiez sage, il vous serait possible d’être poliment indifférent à ce phénomène. De vous contenter d’en noter l’importance sociale, mais en le situant bien comme étant totalement extérieur à votre personne. Ce quelqu’un s’affiche partout et il n’est pas possible d’y échapper.
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Le plus souvent, même si vous êtes du genre à lire en solitaire Ezra Pound au fond d’un parc naturel, vous vous mettez à être personnellement affecté par l’image de l’affiche, par ses apparitions, ses paroles et les récits de sa vie. L’image touche vos affects, vos affects rencontrent votre structure psychique gravement endommagée par le monde moderne, et en avant pour une séquence. Dans le cas de notre président Emmanuel Macron, cette séquence est celle du désir mimétique.
Je t’adore… donc je te hais
C’est simple. Deux temps. Premier temps, il est président. Deuxième temps : je suis un piéton. Souffrance. Puis les conséquences : celles-ci s’étagent entre le désir de l’abolir et le désir de prendre sa place : il doit cesser d’être président (abolition, je le hais), je veux être président à sa place (substitution, je l’adore). Abolir et vouloir être à la place de, c’est la même chose, nous enseigne René Girard : dans les deux cas, on nie l’autre et on se nie soi-même. Et dans les deux cas, on est mal parti spirituellement.
Girard pense même que la spiritualité sert à ça : à sortir du trou. Et comme le projet concocté par votre cerveau fasciné par Macron est impossible – car il est toujours impossible d’abolir et toujours impossible de se substituer à quelqu’un, nous enseigne la théorie du désir mimétique –, vous vous retrouvez à errer dans le malheur délirant de votre désir inassouvi, définitivement inassouvi. Et comme c’est insupportable, vous montez en température, vous devenez violent, vous réclamez un responsable. De préférence innocent, pour que le délire soit pur et parfait. Vous le soupçonnez d’être un obstacle entre Macron et vous, vous lui inventez des intentions sournoises et des actes lubriques, vous le décrétez d’accusation, et vous vous calmez pour environ cinq minutes, après son exécution publique avec des raffinements de cruauté. Laquelle exécution n’aura servi à rien, puisque l’origine de tout cela est votre incapacité à désirer autre chose que le vide. Or le vide n’existe pas. Donc le désir le cherche à nouveau.
Typologie des fondus qui pensent trop à Macron et qui finissent par en concevoir des maladies psychiques :
Le sportif de l’extrême. Le type que vous croisez, ahanant, à cinq heures du matin dans le Chablais, car il fait son jogging en pente raide et ne supporte le sport que s’il termine ses séances au bord de la crise cardiaque, qu’il confond avec l’épectase. Son pouls à 180 dans la montée, il y pense souvent : Macron, 39 ans, président. Trop fort, se dit-il. L’iron man, c’est lui. Moi, avec mes jarrets en béton, j’ai l’air d’un con.
Le raté simple. Le raté simple est un raté qui s’en fout d’être un raté pourvu qu’il y ait des bonnes séries à la télévision, qu’il regarde quatre heures par jour, des pizzas, de la bière et des cacahuètes. Depuis un an, il voit tous les jours dans le ciel de BFM une météorite qui s’appelle Macron. C’est bien ce qu’il pensait : fiction is reality. Plus rien ne séparera désormais West Wing du journal de LCI. C’est un aboutissement euphorique de sa vie de raté.
Le raté complexe. Le raté complexe est authentiquement raté mais il invente des raisons de se croire réussi. Macron paraît dans son univers mental. Il a vraiment réussi, lui, et en très grand. Ça fait exploser le rempart derrière lequel le raté complexe protégeait son amour-propre. Sous Hollande, il vivait tranquille (c’est un raté faussement réussi, comme moi). Avec Macron vient l’ère de la question obsessionnelle : il a tout réussi, j’ai tout raté. J’ai tout raté, il a tout réussi. Tic-tac jusqu’à l’accident.
Le journaliste prolétarisé (pardon pour le pléonasme). Le journaliste prolétarisé adore en Macron l’homme qui vient confirmer le jugement de l’actionnaire à son endroit : tu ne vaux pas le pain que tu manges, mon petit gars, tes contenus on s’en fout, car dans la chaîne de valeur de l’Entertainment l’important ce sont les tuyaux et la part de voix, pas tes billets dont tout le monde se fout, alors tu vas écrire des articles de 800 signes maximum que je te commanderai si je veux, quand je veux, et merci de t’installer à Guéret pour que je n’ai pas à te payer au tarif des loyers de Cergy-Pontoise. Le journaliste prolétarisé, constatant le triomphe du raisonnement actionnarial dans la presse, rend grâce, se dépouille de ses vaines illusions et remplit le formulaire pour devenir autoentrepreneur dans une atmosphère de gravité liturgique. Quand il reçoit son numéro de SIRET, quelque chose s’est passé. Macron est venu accomplir la Loi. Law must be obeyed.
Le journaliste rassis (il en reste). Tenu à distance de l’Olympe par la nouvelle politique de communication élyséenne, le journaliste rassis – c’est-à-dire bénéficiant d’une rente de notoriété – pourrait l’avoir mauvaise. Non. Au fond, il est tellement démonétisé depuis tellement longtemps et ses illusions narcissiques sont tellement fortes qu’il ne voit pas la différence avec avant, sous Hollande, Sarkozy, Chirac. Ce qu’il aime, c’est le pouvoir, puisqu’il n’en a pas. Le pouvoir absolu, il adore. Que le pouvoir absolu le snobe, ça lui va extrêmement bien. Le maître est pleinement le maître, enfin. Ça fait longtemps qu’il attendait ça. Il va savourer chaque seconde.
Le dégagiste modéré. Le dégagiste modéré n’était pas content mais ne voulait pas casser la baraque : comment virer sans remplacer ? se demandait-il, paradoxal et prudent. La victoire de Macron comble ses vœux : ce sont les mêmes, mais épaulés par des débutants incultes. Tous les jours, il pourra en profiter.
Le divorcé qui cherche la voie. Il a tout expérimenté des souillures du mariage et des désillusions de l’adultère (Flaubert). Il en est arrivé à la conclusion que s’offraient à lui trois choix rationnels qui ne lui conviennent pas plus que le mariage et l’adultère : le célibat, l’homosexualité, le suicide. Macron paraît. La solution existe.
Le psychanalysé. Le type s’allongeait tranquillement sur un canapé depuis trois ans. Tout à coup, Brigitte et Emmanuel traversent tous ses rêves, se mêlent à la trame même des métaphores par lesquelles son psychanalyste remontait péniblement la piste du traumatisme inaugural. Et tout le boulot est à refaire, et ça va durer trois ans de plus.
L’exilé fiscal neurasthénique. Il vivait en ressassant sa rancœur contre la France socialo-communiste. Vroum, Macron le ramène à la vie d’avant, quand il bâtissait son business avant de ne pas aller jouir de sa vente à Bruxelles. Ce coup de jeune lui donne un coup de vieux. Il va détester ça.
Moi. J’aimerais m’en moquer. Malheureusement, cet agent très logique de notre destin va transformer notre effacement en tant que pays en crépuscule du matin en tant que morceau de l’Empire. Et ce sera aussi fascinant que dégoûtant, aussi tragiquement beau que profondément ridicule.
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