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Emmanuel Macron: «Je suis les autres»


Emmanuel Macron: «Je suis les autres»
Emmanuel Macron à Denain, 11 avril 2022 © Eliot Blondet/POOL/SIPA

Il a lu Rimbaud et il n’a rien compris.


Emmanuel Macron, on est bien payé pour le savoir, est connu pour goûter le théâtre. On sait aussi qu’il n’est pas insensible à la musique : nous gardons tous en mémoire le souvenir impérissable de la partie endiablée organisée au Palais de l’Élysée lors de l’édition de l’une des dernières Fêtes de la musique. On connaissait moins, toutefois, son penchant pour la peinture, le jardinage et la poésie. Il nous les a, pour notre plus grande joie, révélés lors du meeting qu’il donna, sous le soleil de Marseille ainsi qu’à l’occasion de ses derniers déplacements de campagne.

Dans la Cité phocéenne, notre candidat n’a pas hésité, en effet, à sortir le rouleau pour barbouiller son programme. Force est de constater qu’il sut trouver d’instinct la juste saturation et la luminosité d’un improbable mélange de rouge et de vert, ce, afin de séduire « en même temps » les électeurs de Yannick Jadot et ceux de Jean-Luc Mélenchon.

Pour ce faire, reprenant à son compte, avec la modestie qu’on lui connaît, le modèle de la formule attribuée à Malraux, notre nouveau chantre de la Nature s’est écrié, face à un parterre clairsemé : « La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas. » Il précisa ensuite qu’il comptait nommer un futur premier ministre « directement chargé de la planification écologique. » Tout de suite, on respira, rassuré quant à l’avenir de la planète, d’autant plus que notre amateur des jardins se proposait de planter 140 millions d’arbres…

C’est pour Malraux, encore, que nous avons eu, lors de ce meeting, à nouveau, une pensée. Impossible de ne point songer au livre dans lequel cet illustre ministre de la culture relata ses dernières conversations avec le Général de Gaulle, livre qu’il intitula : Les chênes qu’on abat. Ce titre fait du reste allusion aux deux vers illustres écrits par Victor Hugo dans son hommage à Théophile Gautier défunt : « Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule. » Ce qui nous entraîne, mine de rien, vers la poésie. Mais, patience, poursuivons notre réflexion…

Sans pouvoir retenir l’esquisse d’un sourire moqueur, nous avons immédiatement songé : notre président est décidément un homme de Lettres doublé, nous l’allons voir, d’un subtil poète.

Bon évidemment, me direz-vous, il s’agit ici non pas d’abattre, mais de planter, nous nous en réjouissons. Du reste notre orateur aurait pu sans peine, nous y avons heureusement échappé, nous gratifier d’un autre des vers habilement remaniés dont il a le secret : « Un seul arbre vous manque et tout est dépeuplé. »

Nous suggérons quand même à notre paysagiste en herbe d’opter pour 140 millions de roseaux, plus à même de célébrer dignement la souplesse légendaire qu’on lui reconnaît tous. Et puis, comme chacun sait, « le roseau plie, mais ne rompt pas. » Nous aurions alors, là, un projet horticole sûr et en parfaite adéquation avec la royale image de son instigateur.

Mais notre thaumaturge ne s’en est pas tenu au simple projet de plantation évoqué : avec le sens du spectacle qu’on lui connaît, hérité peut-être, du Roi-Soleil, notre monarque a en effet proposé la mise en place d’une « fête de la nature », projet qui n’a pas manqué d’enthousiasmer Jack Lang.

Mélenchon, Jadot, Jack Lang, décidément chez Emmanuel Macron : « Je est un autre. », ce qui nous fait heureusement retomber, avec Rimbaud, sur la poésie !

Profitons-en pour rappeler, au passage, que le jeune prétendant à sa propre succession ne fut pas non plus sans massacrer quelques vers du poème « Green » de Paul Verlaine, lors de son déplacement à Mulhouse. Dénonçant, selon le quotidien La Provence, « les carabistouilles de madame Le Pen », il n’hésita pas, en effet, à ajouter sentencieusement, alors qu’il évoquait les mesures de celle-ci en faveur du pouvoir d’achat et des retraites : « Et c’est sûr que si on arrive à l’élection présidentielle en disant : « Je n’ai que du sucré et du miel et voici des feuilles et des branches. Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous » pour reprendre les beaux vers (…) c’est un poème, pas la réalité. ».

Cuistrerie, quand tu nous tiens… Il aurait été préférable, tant qu’à faire, qu’Emmanuel Macron restituât justement les vers de Verlaine qui, certainement, n’avait pas prévu de mentionner les ingrédients « sucré » et « miel » indispensables à la réalisation de la pâtisserie orientale…

Pour mémoire voici la strophe dont il est question :

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

Après Verlaine, c’est tout naturellement que nous retournons à Rimbaud. Le poète dans sa formule paradoxale « Je est un autre », issue de la Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, met en question la frontière entre identité et altérité.

 « Je est un autre » : cette phrase étrange qui résume ce vers quoi doit tendre le poète, pour Rimbaud, convient tout particulièrement au chef de l’État, champion toutes catégories de la palinodie, de l’agrégation et de la récupération d’idées. La formule permet de s’interroger sur le rôle de l’autre dans la formation de l’identité et aussi de se demander comment on peut être autre à soi-même.

 Il s’avère, là, encore une fois pour notre plus grand plaisir, qu’Emmanuel Macron réalise aussi, à sa façon, le projet poétique d’Arthur Rimbaud. Notre Président est, en effet, le pilleur d’idées par excellence tout comme Rimbaud est « le voleur de feu ».

Notre génial Jupiter, s’appropriant les idées des autres et, de fait, devenant par-là même les autres, pourrait sans peine affirmer, comme le fit Rimbaud, toujours dans sa lettre à Demeny : « Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs et vient d’un bond sur la scène. »

Quand on poursuit plus avant la lecture de cette lettre dite « du voyant », à Paul Demeny, on est de plus en plus troublé par la ressemblance entre cette conception du poète qu’a Rimbaud et l’image que tente de nous donner de lui-même Emmanuel Macron à travers ses propos et ses agissements, voyez plutôt : « il (le poète) donnerait plus – que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !  (…) »

C’est Emmanuel Macron tout craché, ça ! « Ça » parle en lui ! Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot pour l’écologie, l’abaissement de l’âge de la retraite et la proportionnelle à nouveau envisagée, pour absorber un peu de Marine Le Pen. Il manque juste un zeste de Zemmour pour les sujets régaliens et là, on est bon ! « Je suis les autres ! », pourrait, du reste, tout aussi bien affirmer notre Jupiter.

« Puisque je ne suis pas capable de choisir, je prends le choix d’autrui. » a dit Michel de Montaigne … Il y a certainement aussi du philosophe chez notre Prince des Lumières.

Je me remémore enfin cette pétition d’intellectuels soutenue par Roselyne Bachelot (Elle vécut à cette occasion un grand moment de son passage au ministère de la Culture.) qui demandait l’entrée conjointe d’Arthur Rimbaud et de Verlaine au Panthéon. Emmanuel Macron, respectant l’opposition de la famille du poète des « Illuminations » à ce projet, le rejeta. C’est pourquoi nous suggérons la future panthéonisation de notre grand chef d’état en lieu et place de celle de nos deux illustres poètes qu’il semble affectionner. Mais cela serait-il vraiment un hommage rendu à leur mémoire ?




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est professeur de Lettres modernes

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