Alors que la Ve République est régulièrement qualifiée de monarchie présidentielle, Philippe Bilger constate qu’Emmanuel Macron, loin de se comporter en monarque concentrant l’ensemble du pouvoir, est au contraire sujet à de nombreuses influences qui cherchent à interférer dans son processus de prise de décision…
Comme on peut se tromper ! Une présidence verticale et solitaire, une parole rare, une autorité sans partage, des choix clairs et nets, des desseins cohérents et lisibles par tous… Emmanuel Macron, un temps, avait semblé mettre en évidence ces orientations fondamentales de sa gestion du pouvoir. Acceptons l’idée que parfois elles ressurgissent mais que, sans que le « en même temps » y soit pour quelque chose, elles sont fortement entamées par le fait que nous n’avons jamais connu un président aussi ostensiblement sous influences.
À tel point que ses prédécesseurs, sur les plans personnel, conjugal et politique, semblaient, eux, détachés autant que possible de sollicitations et d’interventions extérieures. Ce n’est pas qu’on ne cherchait pas à les convaincre mais ils paraissaient plus rétifs à se laisser dominer… On a connu, par exemple avec François Mitterrand, des séquences où le président français sollicitait des avis et des conseils, pour le maintien ou non de ses Premiers ministres, mais il demeurait le maître, n’était pas ballotté dans des fluctuations qui l’auraient rendu dépendant des autres.
Brigitte Macron, épouse et conseillère
Faut-il rappeler la manière dont la Première ministre Élisabeth Borne a été nommée in extremis après que Catherine Vautrin avait été écartée le matin même à la suite de tractations, d’oppositions et de luttes internes entre ses partisans et ses adversaires qui en définitive l’ont emporté ?
D’autres péripéties ministérielles manifestent encore plus clairement comment le président a varié sous des influences diverses à tel point que sa décision initiale, souvent fondée, était battue en brèche par un concert qui la lui faisait abandonner.
A lire aussi, Céline Pina : Elisabeth Borne: autant en emporte la technocratie
Il m’a été confirmé (confirmation par le Canard enchaîné du 25 mai) qu’Emmanuel Macron, décidé à renvoyer Eric Dupond-Moretti, s’était vu vigoureusement contesté sur ce point par son épouse, ayant de surcroît l’appui d’Alexis Kohler. L’une et l’autre auraient souligné que le maintien d’Olivier Véran justifiait qu’on gardât aussi le garde des Sceaux dans le nouveau gouvernement. Par ailleurs Isabelle Boulay, compagne du ministre, est une amie de Brigitte Macron, ce qui n’aurait pas été sans effet !
Cet épisode a au moins le mérite de nous éclairer sur l’absurdité d’un renouvellement ministériel qui a été imposé au dernier moment au président. On peut d’ailleurs se demander, sans être discourtois, à quel titre Brigitte Macron avait la moindre légitimité pour s’immiscer dans un tel débat purement politique. Si je comprends bien, Eric Dupond-Moretti lui doit d’abord d’avoir été nommé puis en 2022 sauvé. Ce qui révèle que, bien au-delà des activités généreuses et caritatives, l’épouse du président a sur lui une influence capitale dans des domaines qui ne devraient pas être de son ressort. Tout cela ne serait pas grave si en définitive ce n’était pas le peuple qui payait les frais de ces manœuvres en vase clos ! Il est accablant de devoir constater que pour ce microcosme il vaut mieux sauver « la peau » d’un ministre incongru et fragilisé que de respecter la magistrature, un pilier de la démocratie. Cette démagogie qui coule sans retenue est écœurante !
Pap Ndiaye, aux antipodes de son prédécesseur
La nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale marque en effet « un tournant idéologique ». Il est étonnant que le président, contre toute évidence en le qualifiant « d’universaliste », soutienne que ce nouveau ministre serait dans la continuation de Jean-Michel Blanquer alors qu’il sera aux antipodes. Intellectuel et philosophe de qualité, Pap Ndiaye a évidemment le droit de penser ce qu’il pense, de louer le wokisme, de dénoncer un racisme « systémique », de cibler les violences policières, de nier l’influence de l’islamogauchisme dans l’Université et de paraître familier avec les thèses indigénistes et décolonialistes. Le problème, avec un tel terreau, est d’en avoir fait un ministre alors qu’à l’évidence l’état de la France et de l’enseignement, les fractures de l’école, les pesanteurs communautaires et immigrationnistes auraient imposé la poursuite d’une ligne à la « Blanquer » même si ce dernier n’était plus dans les bonnes grâces du président.
A lire aussi, Charles Rojzman : Nomination de Pap Ndiaye: quel «message» a voulu envoyer Macron?
Je ne peux pas croire qu’Emmanuel Macron, dont l’attention avait déjà été attirée sur Pap Ndiaye, n’avait tout de même pas perçu à quel point il pouvait sembler aberrant, erratique de sa part, après avoir validé une laïcité exigeante et sans démagogie tenue par Blanquer, d’opérer une radicale embardée en nommant une personnalité en totale contradiction avec ses propres valeurs affichées.
Davantage soucieux de communication que de politique
Ce n’est plus du « en même temps » mais l’expression, si j’ose dire, d’une exemplaire incohérence qui révèle que des choix fondamentaux ont été effectués par un président sous influences, acceptant une composition de gouvernement de bric et de broc et plus soucieux en définitive de surprendre que de permettre la réussite de notre pays sur des plans capitaux : Justice, Éducation…
Pour qu’un Jean-Pierre Chevènement ayant rallié la cause macroniste craigne cependant que la nomination de Pap Ndiaye ne « désoriente » le monde de l’éducation, il faut que le problème soit sérieux. Le paradoxe, avec toutes ces influences intimes, amicales et politiques, est qu’on n’est pas loin d’avoir la nostalgie d’une présidence respectueuse des citoyens et capable, avec une authentique boussole démocratique, de décider, dans son for intérieur et librement, des ministres mauvais à renvoyer, des compétents à maintenir, surtout de ce qui est bon ou non pour la France. Seul celui qui a été élu compte en République.