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Macron, et si ça marchait?


Macron, et si ça marchait?
Emmanuel Macron au journal télévisé de 20 heures sur TFI, 30 août 2016 (photo: Matthieu Alexandre)
emmanuel macron présidentielles en marche
Emmanuel Macron au journal télévisé de 20 heures sur TFI, 30 août 2016 (photo: Matthieu Alexandre)

« Qui c’est celui-là ? » chantait naguère Pierre Vassiliu. Un intrus s’est glissé dans le casting de la prochaine élection présidentielle. Totalement inconnu du grand public il y a encore deux ans, il cartonne sondage après sondage. Personne, ou presque, ne voit en lui un véritable homme de gauche. Cela ne l’empêche pas de distancer Jean-Luc Mélenchon, Cécile Duflot et surtout François Hollande. Mieux : son score n’est pas très éloigné de celui des ténors de la droite, Alain Juppé et surtout Nicolas Sarkozy.

Son titre de gloire, qu’il a hautement revendiqué dans une récente interview au magazine Le 1, peut sembler dérisoire : au poste de ministre des Finances, il a permis aux cars de concurrencer les trains. Rien que ça ! Fortiche, le mec ! Désormais, Eurolines a des petits frères hexagonaux… Voilà ce qui aurait fait de lui un présidentiable ! Voilà ce qui pourrait faire de lui un président ? Eh bien, oui, ou tout du moins peut-être. C’est ainsi : un homme qui a entamé le monopole de la SNCF apparaît aux yeux des Français comme une sorte de rebelle. Ni plus ni moins.

Et si c’était « celui-là », à savoir Emmanuel Macron ? Sa démission du gouvernement a suscité plus d’articles et de commentaires que le Brexit. Éclipsés les quadras censés porter le « renouveau », Bruno Le Maire à droite ou Arnaud Montebourg à gauche. Ce trentenaire un rien emprunté, de fait plus gauche qu’à gauche, mais manifestement convaincu d’être promis à un « destin national », comme naguère Georges Pompidou, passé comme lui par la banque, est la seule vraie nouveauté du paysage politique : Sarkozy radote, Juppé ergote, Hollande mégote, Macron dénote.

[access capability= »lire_inedits »]Pour beaucoup, il s’agit d’un feu de paille. Sans parti, il aurait vocation à rejoindre le cimetière des éléphanteaux. François Léotard et Michel Noir, à droite, Ségolène Royal, à gauche, ont montré que l’élection présidentielle ne supportait pas l’amateurisme. Quand le grand bazar des primaires aura éclairci le paysage, ne resteront que les pros. La tentation Macron aurait d’autant moins de chances de survivre à l’hiver que l’élection de 2017 semble promise au candidat des Républicains, quel qu’il soit, en vertu des règles de l’alternance. François Hollande n’a pas seulement déçu les Français : il les a consternés. Comment un de ses féaux, même émancipé, pourrait-il lui succéder ?

Observons cependant qu’un tel cas de figure s’est déjà présenté. À l’approche de 1995, les deux septennats de François Mitterrand avaient laissé le PS sur le flanc. La gauche était en aussi piteux état qu’aujourd’hui. Et pourtant, qui caracolait dans les sondages, loin devant Jacques Chirac et Édouard Balladur ? Un certain Jacques Delors que Mitterrand avait placé à la tête de la Commission de Bruxelles. On connaît la suite. Peu combattant dans l’âme, Delors a jeté l’éponge. Le PS a choisi à sa place un socialiste orthodoxe, Lionel Jospin, qui a été nettement devancé par Chirac. La démonstration a donc été faite : les apparatchiks de la gauche sont prompts à dénoncer les hérétiques, mais le peuple de gauche aime les hétérodoxes.

D’ailleurs, qu’était-il d’autre, Dominique Strauss-Kahn en 2012 ? Comme Delors, il avait dirigé une institution internationale, le FMI en l’occurrence. Comme Delors, il n’avait pas vraiment un CV de leader ouvrier. Comme Delors, la victoire lui paraissait promise. On sait comment il a dû, lui aussi, jeter l’éponge. Mais il y a dans l’actuelle vogue Macron comme un retour du refoulé. La gauche « tradi » n’en finit pas de bouffer du social-libéralisme, comme l’a encore montré au printemps sa dénonciation hystérique de la loi El Khomri. Mais les électeurs de gauche, eux, sont prêts à en tâter. Comme Delors, comme Strauss-Kahn, comme Michel Rocard auquel il a rendu un vibrant hommage – « s’il a quitté la compagnie des vivants, les vivants que nous sommes n’ont pas renoncé à lui tenir compagnie » –, Macron entend réconcilier la gauche « avec le réel ».

Vaste programme ! Qu’on l’aime ou qu’on la rejette, force est de reconnaître que la gauche attire les gribouilles : « personnes brouillonnes, sottes et naïves », selon le Larousse. Des gens sympathiques mais qui prennent volontiers leurs désirs pour la réalité. Et voilà que s’avance un blanc-bec, ni vraiment brouillon, ni franchement sot, ni tout à fait naïf, qui entend conjurer le sort : et si la gauche française mettait au clou ses vieilles lunes, aussi bien l’étatisme que le marxisme, pour se coltiner avec les problèmes de l’heure, à commencer par le chômage qui touche massivement les jeunes des catégories populaires ?

On nous permettra de croire au bon sens de ce monstre qu’est l’opinion. Si Macron a percé, c’est qu’il a touché juste. Avec ses cars et quelques formules à l’emporte-pièce. Oui, « le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler ». Oui, « la vie d’un entrepreneur est souvent plus dure que celle d’un salarié ». Contre la pensée réflexe de la gauche de la fonction publique, l’ex-ministre des Finances estime que c’est en jouant le jeu de l’économie de marché que la France sortira de son ankylose.

Mais l’homme se veut aussi philosophe. Ancien assistant de Paul Ricœur, il s’affirme « camusien » : comme l’auteur de L’Étranger, il estime « qu’on ajoute à la misère du monde en nommant mal les choses. Il faut dire nos échecs et nommer nos tabous ». Macron demande aussi à la gauche de se réapproprier la valeur travail, qu’elle a tant délaissée depuis l’épisode des 35 heures. « C’est la seule voie de l’émancipation », clame-t-il. Bien sûr, on peut sourire devant son narcissisme : fonder un mouvement en utilisant ses initiales, EM, pour « En marche », il fallait oser. Se précipiter à Orléans pour commémorer Jeanne d’Arc, c’était montrer par ailleurs que ce jeune Picard se fixe le même but que la jeune Lorraine : sauver la France. La présidentielle aiguise la mégalo des postulants jusqu’au paroxysme. À cet égard, l’ex-patron de Bercy est dans la norme.

L’actuelle vogue Macron peut-elle se transformer en vague au printemps prochain ? La prudence s’impose, mais les éléments favorables sont nombreux. D’abord, le total rejet du personnel socialiste, pas seulement de Hollande, mais aussi des différents « frondeurs » qui se sont présentés comme les sauveurs de la gauche depuis deux ans alors qu’ils se contentaient de la momifier. Étrangement, Macron paraît avoir un boulevard devant lui.

N’oublions pas ensuite l’électoralisme foncier du PS. Aujourd’hui, tous les caciques font feu contre le trublion. Mais si au printemps prochain il s’avérait être le seul capable d’éviter une Bérézina, les retournements de vestes seront nombreux. La pression se portera alors sur le candidat officiel du PS, qu’il s’appelle Hollande, Montebourg ou X, pour qu’il se retire afin de laisser une chance à la gauche d’accéder au second tour.

Mais le principal atout de Macron réside dans son positionnement. Il ne cherche pas à être le champion d’un camp. Il juge « urgent de réconcilier les France ». Comme Juppé, il a compris que, pour ne plus gouverner à la petite semaine, pour ne plus réformer à moitié, il faut dépasser aussi bien les corporatismes que les clivages. Pas sûr qu’il gagne son pari, pas plus que Juppé d’ailleurs. Mais, au moins, lui ne fait pas figure de marchand de vent. [/access]



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est journaliste et essayiste, auteur des Beaufs de gauche et de La Gauche et la préférence immigrée.

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