Dimanche dernier, nous avons assisté à la mise au tombeau du système mitterrandien. Même si le Parti socialiste (PS) parvient à survivre à la déconfiture électorale qu’il vient de subir et à surnager à coup d’alliances et de « majorité républicaine » – comme semblaient le suggérer à demi-mot certains représentants socialistes sur le plateau de France 2 -, c’est tout un monde qui a vacillé et s’est écroulé au soir de la dixième élection présidentielle de la Ve République.
Né des cendres de la mitterrandie
Nombreux sont ceux qui ont dénoncé, et à raison, la confiscation du débat démocratique entre les primaires et le premier tour de la présidentielle. Ils ont alors présenté Emmanuel Macron comme l’héritier naturel de François Hollande, voué à poursuivre la politique du président sortant, que son impopularité record empêchait de se représenter pour un deuxième mandat. Le Front national n’a eu de cesse de ressasser cet argument, parfois jusqu’à l’absurde, comme lors du débat de l’entre-deux-tours. Il apparaît pourtant caricatural et erroné de ne voir en Emmanuel Macron qu’une création politico-médiatique issue des rangs d’une majorité gouvernementale malade. Macron a reçu le soutien de plusieurs ténors de la vie politique, de patrons de presse et d’autres « élites » mais on ne peut expliquer uniquement par le complot et la manipulation le ralliement de près de 9 millions d’électeurs au premier tour et de plus de 20 au second.
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Tout comme le Front national, le nouveau président élu est allé à la rencontre d’un ressentiment et d’une attente : le succès d’En Marche ! et de son champion porte le coup de grâce au PS et bouscule la géographie politique des partis de gouvernement. Cette montée en puissance, qui a paru si soudaine, a été rendue possible parce que le PS de 1969, celui du Congrès d’Epinay, du Programme commun et du règne mitterrandien, est parvenu au crépuscule de son existence. L’image de médiocrité, d’affairisme et d’impuissance renvoyée par le quinquennat de François Hollande a achevé de couler cette formation politique âgée de près d’un demi-siècle. Emmanuel Macron et son mouvement ont su exploiter ce naufrage et le fiasco symétrique de la campagne des Républicains. La carrière du parti rénové et recréé par François Mitterrand paraît bien sur le point de s’achever.
Le système Mitterrand, de l’empêchement à la caricature
Autre naufrage, celui du « Front républicain », antidote moral au succès du FN qui est une autre création mitterrandienne. En 1974, quand Jean-Marie Le Pen se présente à l’élection présidentielle, il recueille 0,74% des suffrages. C’est encore pire aux législatives de 1981 : son score ne dépasse pas 0,18% des voix. Les cantonales de 1982, les municipales de 1983 et surtout les européennes de 1984, permettent au FN de faire sa véritable entrée dans le paysage politique. Mais c’est à l’occasion des législatives de 1986, et du passage à la proportionnelle, que le Front national accède à l’Assemblée nationale.
A cette occasion, la stratégie mitterandienne ne s’est pas limitée à minorer la défaite attendue de la gauche en allumant un contre-feu à droite, elle a surtout consisté à créer un Golem, un instrument idéologique capable d’attirer durablement les voix de droite et surtout de neutraliser une partie du débat politique en livrant certains thèmes en pâture au Front national. L’euroscepticisme, le souverainisme, la question migratoire ou la critique des dérives communautaires ont intégré une zone de quarantaine idéologique dans les années 80 et 90, pour être systématiquement associés à l’antisémitisme et à la xénophobie rocambolesque de Jean-Marie Le Pen, dont l’outrance idéologique et les progrès électoraux furent les plus sûrs instruments de la désincarnation de la droite gaulliste, constamment obligée de donner toute les garanties de sa « non-compatibilité » avec les thèses du FN. Mitterrand y gagna une réélection confortable en 1988 avant que Chirac, parvenu enfin à la tête de l’Etat en 1995, ne soit obligé de le partager avec un Premier ministre socialiste en 1997.
Les élections de 2002 ont certes été un coup de tonnerre dans le ciel électoral français, elles n’ont pas pour autant conduit à l’assainissement de la vie et du discours politique. Bien au contraire, le règne de l’idéologie du « Front républicain » et la progression constante du Front national, repris en main par Marine Le Pen, ont réduit pour 15 ans la vie politique à une opposition mortifère entre « progressistes » et « réactionnaires », « fascistes » et « antifascistes », « racistes » et « antiracistes ». L’hyper-simplification de la vie politique de 2002 à 2017, qui a sombré dans la caricature, a accompagné le phénomène de l’ « hyperprésidentialisation ». Brandi par des intellectuels ou des figures politiques et médiatiques dogmatiques ou carriéristes, l’épouvantail du « retour des années sombres » a étouffé toute possibilité de débat serein et constructif et, en conséquence, les échéances électorales successives ont été marquées par la domination du « vote protestataire », auquel répondait l’injonction du « barrage républicain. »
Hollande, la fin d’un cycle
Seule l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 a, en partie, rassemblé un vote de conviction, captant à son profit une partie du vote Front national et démontrant par là-même la volonté de l’électorat français de sortir du règne mortifère du « vote utile ». L’illusion sarkozyste s’étant vite dissipée entre un repas au Fouquet’s et trois effets de manche, le règne du « vote contre » a donné à François Hollande la possibilité d’accomplir son propre rêve mitterrandien en croyant ressusciter l’œuvre du maître à la mesure de sa personne. Malheureusement pour lui, la toise politique ne le désignera ni comme un bon héritier, ni comme un grand président de la Ve, mais tout juste comme un soldeur de compte. En voulant faire du hollandisme une sorte de mitterrandisme renouvelé, François Hollande a incarné la fin d’un cycle, et son échec personnel se confond aujourd’hui avec l’effacement définitif de la figure qu’il a le plus tenté d’imiter.
En dépit de tous les ratés de cette présidentielle 2017, un peu d’air frais semble entrer aujourd’hui dans la vie politique française. Au soir de l’élection d’Emmanuel Macron, les tractations vont déjà bon train et les perdants s’organisent pour tirer profit des échéances capitales représentées par les législatives – ou du moins tenter d’y survivre. Mais presque personne n’a parlé de « Front républicain ». Comme si, pour la première fois depuis bien longtemps, l’écroulement du PS et la lamentable prestation de Marine Le Pen au débat du 3 mai, sanctionnée par le résultat du 7, avaient rendu caduque, nulle et non avenue, cette sorte de prise d’otage électorale représentée par la comédie répétée, d’élection en élection, du vote utile. Le Front national est apparu, à travers sa présidente, pour ce qu’il est : un parti englué dans la démagogie, qui a bâti son succès en se nourrissant de la question européenne et migratoire, que les autres partis lui ont abandonnée pendant si longtemps, avant de brouiller peu à peu son discours et de sombrer dans l’amateurisme, au fur et à mesure qu’il s’est rapproché du pouvoir.
Stop ou encore?
Les élections du 7 mai ont peut-être libéré le pays de cette dichotomie imbécile : le « vote de la haine » contre le « vote utile », le nationalisme et son inévitable corollaire antifasciste, le requin et son poisson-pilote, une double construction fantasmatique qui prive la France de tout débat politique depuis trop d’années en enfermant l’électorat dans le schéma mortifère du vote par la négative. Or, on ne construit strictement rien en ne votant que par la négative. On finit simplement par mourir tout doucement bercé par la satisfaction d’avoir voté et pensé comme il faut.
Le cadeau empoisonné de Hollande à Macron : «Je serai toujours à côté de lui». La droite n’en demandait pas tant. https://t.co/gsK1U2SBGa
— Samuel POTIER (@SamuelPotier) 8 mai 2017
On peut aussi supposer que le déchaînement du terrorisme islamiste contribue à décrocher du ciel les vieilles lunes politiques et à faire « bouger les lignes », comme on dit. Il faut espérer en tout cas qu’Emmanuel Macron sache saisir, derrière l’atmosphère particulière de fin de règne idéologique qui l’a porté au pouvoir, la profonde attente politique qui s’est manifestée dans les urnes et dont il a su profiter. S’il se contente de reconduire pendant cinq années une politique dopée à la moraline, masquant la dérégulation économique et la soumission à l’austérité merkelienne sous le masque flétri du politiquement correct, l’issue des prochaines élections pourrait d’ores et déjà être aussi prévisible que l’était le résultat de cette présidentielle après la campagne d’entre-deux-tours. La composition du prochain gouvernement donnera certainement le ton. Les élections législatives qui se profilent semblent en tout cas, et pour la première fois depuis longtemps, offrir un jeu ouvert. C’est déjà beaucoup. Espérons qu’elles permettent d’enterrer pour de bon les derniers restes de l’héritage mitterrandien et de débarrasser la vie politique française de ce poison qui l’étouffe : celui de l’éternel passé recomposé. Mais au préalable et pour s’en extraire définitivement, il faut bien, sans hésitation, parvenir à tuer le père.
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