Au moment où le nouveau président de la République voit son parti l’emporter aux élections législatives et s’assurer une majorité absolue à l’Assemblée nationale, cédons un instant aux charmes de la politique fiction, mais en restant sur le seul plan institutionnel. On oubliera donc les conséquences éventuelles, au choix, de la crise financière, de l’effondrement de l’Union européenne, de la guerre civile, de la chute d’un météorite ou du complot reptilien, pour s’en tenir aux seuls effets du calendrier électoral.
Or il faut bien reconnaître que ce dernier semble éminemment favorable au président et à son parti. Les prochaines élections nationales au suffrage universel sont les municipales de 2020. Des élections de « mi-mandat », pour reprendre un terme souvent employé, et donc des élections souvent défavorables au parti au pouvoir. Lassitude de l’électorat devant le peu de réalisation des promesses, apparition de nouvelles attentes, mobilisation de l’opposition, thématique de l’alternance, nécessairement bonne pour la démocratie sans que l’on sache bien pourquoi, tout se conjugue contre lui. Des élections donc potentiellement difficiles pour La République En Marche mais, en même temps, comme dirait l’autre, un tempo parfait et la bonne élection.
« Ce travail prendra dix ans »
Un tempo parfait d’abord, parce que trois ans cela laisse le temps de faire le tri parmi les nouveaux venus, les récents ralliés et ceux qui s’y ajouteront. D’améliorer la visibilité locale du nouveau parti. De séduire, après la presse nationale, cette presse régionale des campagnes profondes. Et la bonne élection ensuite, parce que les scores réalisés dans les métropoles régionales – dépassant parfois les 80% au second tour de la présidentielle mais portant déjà nettement en tête Emmanuel Macron au premier, et ce quelle que soit la couleur politique de l’équipe municipale locale – laissent espérer de tourner en tête du second tour des municipales dans trois ans. Cela sera suffisant pour empocher la prime majoritaire qui permettra de diriger quasiment toutes les villes importantes, et notamment ces fameuses « métropoles » censées « irriguer » notre vie économique et culturelle.
Dans quatre ans, en 2021, viendront cette fois les élections départementales et régionales. On peut dire de ces dernières ce que l’on vient de dire des municipales : la prime majoritaire aidant, tous les espoirs sont permis pour La République En Marche. Les choses peuvent certes sembler plus dures pour les élections départementales, à cause d’un mode de scrutin qui favorise les candidats bien implantés dans leurs cantons. Mais en quatre ans le parti du président, bénéficiant de l’apport de ses élus aux municipales, trouvera bien quelques têtes d’affiche à même de contester leurs sièges à des sortants que leur ancienneté ne protégera pas plus que les députés sortants de 2017. Et même si les choses se passaient moins bien qu’ailleurs, les départements étant essentiellement devenus les répartiteurs d’une aide financière fléchée, et leur pouvoir ayant diminué d’autant, ces élections constitueraient d’autant moins une gêne qu’elles se trouveraient couplées avec des régionales, elles, plus gagnables et plus importantes, au moins médiatiquement…
Tout cela nous amènera en 2022, moment où Emmanuel-Jupiter nous rappellera ce qu’il avait clairement annoncé dans son livre Révolution en 2017 : « Ce travail prendra dix ans », et nous demandera donc les moyens de le terminer.
Vivement 2019?
D’autres élections pourraient-elles être le grain de sable de cet irrésistible mouvement ? Les élections sénatoriales de 2017 reposeront certes sur un corps électoral de grands électeurs issus des précédentes élections locales, qui n’a donc pas été affecté par l’arrivée d’élus locaux LREM, contrairement sans doute à celui de 2020 qui suivra les municipales à quelques mois. Pour autant, nombre d’élus locaux sont d’ores et déjà macrono-compatibles, quand ils ne sont pas ouvertement macronistes, et l’on peut même se demander, à regarder la composition du Sénat de juin 2017, si Emmanuel Macron n’aurait pas déjà une majorité en son sein. L’opposition lancera à nouveau : « ne confions pas tous les pouvoirs à un même parti », mais les grands électeurs pourraient, comme les simples mortels du suffrage universel, vouloir donner toutes ses chances au nouveau pouvoir, et n’entendre derrière cette antienne que le seul et angoissé SOS… Save Our Seats !
Restent… restent les élections européennes de 2019. Car si rendez-vous il doit y avoir, ce sera celui-là. Parce qu’Emmanuel Macron est ouvertement européiste, et que certains de ses ministres le sont plus encore. Parce qu’en 2019 nous en saurons plus sur nombre de questions actuelles, sur les conséquences du Brexit, la stabilité de la zone euro, le sauvetage ou non de la Grèce, les faiblesses espagnoles ou italiennes, la réalité de la lutte européenne contre l’immigration illégale, l’assujettissement de la France à l’Allemagne en matière économique ou de défense, l’éloignement de certains pays d’Europe centrale et orientale, la montée des populismes…
En ce sens, les élections européennes de 2019 pourrait être le moment où apparaîtrait une nouvelle force politique en France, sceptique non sur l’Europe mais sur l’Union européenne, refusant de céder aux sirènes de la « fluidité » moderne pour rappeler le poids de l’histoire et de l’héritage, remettant en cause le primat absolu de l’économie sur le politique, conjuguant le social et l’identité, le national et le provincial. Une force qui, ensuite, pourrait prendre toute sa place aux élections françaises qui suivraient.
C’est donc d’ici moins de deux ans qu’un mouvement qui soit une réelle alternative doit avoir trouvé à la fois ses chefs et sa cohérence idéologique pour aller à la rencontre des citoyens. Soyons d’ores et déjà certains d’une chose : à Paris ou à Bruxelles, on usera contre cela de tous les moyens… même légaux.
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