Après avoir longtemps jalousé Edouard Philippe, voilà que le président de la République voit d’un mauvais œil la lumière que prend son nouveau ministre de l’Education nationale. Emmanuel Macron est humain, finalement.
L’interrogation de mon titre n’est pas provocatrice. J’ai la faiblesse de considérer qu’elle met en évidence ce qui participe, certes de manière minimaliste, au dérèglement de notre vie républicaine. Pour me résumer, nous avons dorénavant un président de la République pour lequel tous les domaines sont réservés, et plus seulement les relations internationales et la Défense. Ces derniers mois, il était partout, s’occupait de tout, annonçait tout, ayant jeté depuis longtemps au rancart la rareté présidentielle. Depuis son retour de Brégançon, il paraît possédé par une seule envie : montrer qu’il ferait mieux que tous les ministres réunis et que chacun d’entre eux. Même s’il ne s’agissait que d’extérioriser une énergie hors du commun, on pourrait regretter la permanente et déplorable confusion des rôles. La cohérence interdirait pourtant de dénoncer le manque d’efficacité et l’amateurisme de la plupart des ministres, comme le fait régulièrement le président lors des Conseils hebdomadaires, et de les priver pourtant de la parole et de l’action dont ils devraient être exclusivement responsables.
Le président grille sans cesse la politesse à Gabriel Attal
Probablement y a-t-il dans cet impérialisme, le sentiment (qu’il est difficile de formuler explicitement à la suite des polémiques qui ont suivi certains propos présidentiels) d’une supériorité de principe d’Emmanuel Macron sur l’ensemble de tous ceux qui le servent de près ou de loin. Malgré l’évidence de plusieurs erreurs comme, par exemple, le calamiteux choix de Pap Ndiaye heureusement remplacé par Gabriel Attal. S’il convenait d’être irréprochable pour avoir le droit de s’autoriser des critiques, la vie de président ne serait plus tenable ! Les exemples sont multiples de cet investissement par Emmanuel Macron de champs qui, même avec le pouvoir considérable d’un président de la Ve République, devraient demeurer dans le pré carré des ministres. Il y a des épisodes mineurs et d’autres beaucoup plus préoccupants. Quand Emmanuel Macron va encourager l’équipe de France de rugby, il ne fait rien comme tout le monde. À bien écouter son discours, non seulement, même si c’est une tradition, il se substitue à la ministre des Sports (dont le ton est implacablement monotone et doucereux !) mais il s’abandonne à une immixtion presque ridicule quand on sait ceux auxquels il adresse ses pronostics et ses avertissements. En revanche, lorsque systématiquement il grille la politesse à Gabriel Attal au point d’apparaître plus ministre que lui, plus concerné par le sujet et l’Éducation nationale que le titulaire du poste pourtant choisi par lui, il y a un problème qui à la fois fait douter de l’existence d’un président seulement en charge de l’essentiel et de celle d’un ministre exclusivement concentré sur ses tâches.
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Gérald Darmanin lui-même n’a pas échappé, en certaines circonstances, à ces pulsions de domination du président, d’autant plus vives qu’elles pouvaient sembler pallier, par raccroc, ses faiblesses régaliennes.
Un problème qui relève presque de la psychologie
Ce malaise organique et en même temps démocratique est aggravé par le fait qu’Emmanuel Macron, trop soucieux de lui pour se contenter de répéter tel quel le message ministériel, le complique en le formulant autrement. Par exemple, sur l’expérimentation de l’uniforme. Ou sur l’interdiction de l’abaya (vidéo ci-dessous) : sa comparaison avec Samuel Paty ne m’a pas choqué d’autant plus qu’il avait pris la peine de préciser l’absence de lien mais il n’empêche que sa référence n’était pas utile et créait une controverse alors que l’interdiction de l’abaya et du qamis était très majoritairement approuvée. En résumé, le président se substitue aux ministres et parfois fait moins bien qu’eux.
Osons aller au bout de l’explication psychologique. Depuis 2017 – et sa réélection a accentué cette propension -, on a constaté que le président, en même temps qu’il exige une inconditionnalité absolue, est gangrené par un sentiment de jalousie à l’égard de ceux qui de manière durable sont plus dans la lumière que lui ou ont eu le talent et l’intelligence de proposer des mesures qui les font apprécier très largement. Dans le premier cas, jalousie à l’encontre d’Édouard Philippe. Dans le second, plus subtilement manifestée, à l’égard de Gabriel Attal. Il ne fait pas bon être ministre sous ce président de la République. Bon ou mauvais, il vous relègue ou vous remplace. Remarquable, il vous envie et vous en veut. Emmanuel Macron tellement idolâtré par ses affidés et pourtant humain, trop humain…