Le chef de l’État a célébré hier l’Armistice de 1918 et l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon. Ces apparitions se sont inscrites dans une semaine particulièrement symbolique, qui avait débuté avec la commémoration des cinquante ans de la mort du Général. Mais hormis la fonction, il est difficile de trouver un lien unissant les deux hommes, dont les appels à la résilience trahissent une envergure bien inégale.
Un an avant de conquérir l’Élysée, Emmanuel Macron – alors Ministre de l’Économie – disait : « Le poison des nationalismes revient, insidieux, qui consiste à penser que chacune et chacun ferait mieux par lui-même : c’est faux. » Il préconisait même « Nous devons approfondir cette Europe, nous devons aller au-delà de nos précautions traditionnelles» lors d’une intervention au Collège d’Europe. Des propos de nature à froisser le lieutenant puis capitaine de la Grande Guerre, qui fut blessé à plusieurs reprises, emprisonné en 1916, et dont la conception de l’Union européenne n’avait rien à voir avec l’organisation maastrichtienne mise en place durant son dernier sommeil.
Suspicieux face aux traités de Rome, Charles de Gaulle n’a eu de cesse d’exprimer sa défiance vis-à-vis de ce qui finalement se réalisa : extension des pays membres, déséquilibre du marché du travail français consécutif à son ouverture, émergence d’une Europe fédéraliste et supranationale venue se substituer à celle des nations ; le tout sur fond d’infiltration américaine (il opposa deux fois son veto à l’intégration du Royaume-Uni dans la CEE, craignant qu’il soit le « cheval de Troie » des États-Unis, dont l’hégémonie future valida le pressentiment français). Sa « France en grand », grâce au fameux « levier d’Archimède » que devait constituer l’Europe, n’est jamais advenue.
La culture française pour les nuls
Pour Emmanuel Macron, « il n’y a pas une culture française ». À l’opposé, l’homme du 18 juin clamait que « La culture domine tout, elle est la condition sine qua non de notre civilisation. » Lui, qui associait la culture à une arme pour la grandeur du pays, avait créé quelques années auparavant un ministère des Affaires culturelles, dont Malraux – tout premier « ministre de la Culture » – exposait l’ambition : « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France ».
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De Gaulle se passionnait pour la culture, à commencer par les mots ; durant sa captivité, il dévora les livres de la bibliothèque du fort n°IX d’Ingolstadt. Ces mots, qu’il maîtrisait si bien, ne lui étaient pas dictés par un prompteur. Son éloquence et sa capacité à s’improviser – sans notes – porte-voix de la Nation symbolisent une période révolue, qui a désormais fait place à une parole technocratique froide, mécanique, filtrée par une horde de conseillers énarques et biberonnés au management.
Colombey-les-Deux-Mosquées
On jauge un dirigeant à sa capacité à anticiper les écueils et dessiner la France de demain. La politique migratoire des deux hommes nous laisse elle aussi imaginer l’inimitié qu’ils auraient partagée. Durant sa campagne, le candidat Macron a su flatter les populations d’origine étrangère. Dans sa désormais célèbre anaphore où il listait fièrement les nationalités qui d’après lui constituent le peuple marseillais, il ne cachait pas ses penchants immigrationnistes. D’ailleurs, après trois années aux commandes de l’État, l’augmentation des premiers titres de séjour délivrés (274000 en 2019, c’est-à-dire 27000 de plus qu’en 2017) confirme l’accomplissement de sa politique.
Ce mercredi, autour de la flamme éternelle du soldat inconnu, étaient également présents les anciens présidents Sarkozy et Hollande, responsables à eux deux d’une augmentation de près d’un tiers des admissions au séjour. De Gaulle, au contraire, craignait l’immigration massive motivée par des raisons économiques. Tout en soulignant l’identité chrétienne de la France, il mettait en avant l’impossible intégration de minorités qui par le nombre deviendraient inéluctablement discordantes. Sa fameuse phrase rapportée par Alain Peyrefitte « Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » jure avec les propos du fondateur d’En Marche !.
Je vous conseille plutôt les cendres de Jean Monnet
Dans un souci de cohérence, notre président n’aurait-il pas dû plutôt – profitant de la panthéonisation de Maurice Gevenoix – rendre visite à Jean Monnet, banquier, chantre du libre-échange, et bâtisseur d’une Europe que de Gaulle n’aurait jamais voulu voir éclore ? S’il souhaite inscrire cet hommage à son agenda commémoratif, je l’invite alors à ressasser, lorsqu’il remontera la rue Soufflot pour s’approcher de la nécropole où reposent les cendres de ce père de l’Europe, les mots du général initiateur de la France libre :
“À quelle profondeur d’illusion ou de parti pris faudrait-il plonger, en effet, pour croire que des nations européennes, forgées au long des siècles par des efforts et des douleurs sans nombre, ayant chacune sa géographie, son histoire, sa langue, ses traditions, ses institutions, pourraient cesser d’être elles-mêmes et n’en plus former qu’une seule ?”
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