Qu’a-t-il donc fait, cet Aiglon à peine sorti du nid ? Des pas millimétrés dans la Cour du Louvre imprimant leurs semelles grises sur nos écrans. Une marche lente, serré dans un manteau (dont on n’a pas noté l’étrangeté), un air d’acteur concentré, le visage hiératique, le regard en lame de couteau fixé sur un point hors champ, le profil de médaille, avant l’éclatement des bras dans L’hymne à la joie, le baiser à l’enfant, le gendre à casquette, Marianne chantant à pleins poumons La Marseillaise, le choeur derrière, beaux-frères et belles sœurs, la famille française pour tous. Quelques drapeaux se sont agités dans cette nuit mémorable où s’est offert le corps du Roi à la France, dans une mise en scène grandiose.
De Poutine à Trump
A Versailles, il a reçu le tsar de toutes les Russies. Promenade à pas lents dans la Cour, devant le grand bassin. Tête à tête dans le salon, propos audacieux. Sourire énigmatique du Tartare reparti le soir dans sa Grande Russie, et tout le monde de crier : « Miracle ! Apothéose ! ».
Il a reçu le grand Donald sans sa casquette. Il a descendu les Champs Elysées, dans un tank. Il a déposé la gerbe sur la tombe du soldat inconnu avec la gravité requise. Il y a eu la poignée de main à Donald, appuyée, franche, virile, retransmise en boucle sur les écrans du monde entier. Une poignée de main historique filmée au ralenti et décryptée. Car une poignée de main en dit plus long que tout discours.
Il y a eu le speech en anglais. L’Aigle, en effet, parle très bien l’anglais : le Wall Street English vanté par les affiches de métro. On a parlé climat. De retour dans sa Blanche Maison, le Yankee a tweeté dans le monde entier qu’il avait été très bien traité par le winner. Les liens étaient retissés en France et Etats-Unis au nom de la fraternité qui nous unit : révolution, Notre-Dame (qui va être restaurée par des Amerloques), art de la cuisine, meilleure que les fast food. Vue sur Tour Eiffel, bateau mouche. Bisous des premières dames. Dans son salon ovale, le Président n’est pas revenu sur son désaccord sur le climat. La Conférence de Paris, il s’en tape.
Premier baiser avec Angela
En revanche, pour la Libye, l’Aigle fait du bon boulot. Glissons, mortels.
Pour l’Allemagne, n’en parlons pas ou plutôt si. A peine élu, ce fut nach Berlin ! Mon premier baiser fut pour vous. Lune de miel renouée. Jeu de portières. Veston qu’on croise et décroise. Angela en rose framboise. Bisous. Pas de ballets de pied comme avec l’autre. Ligne droite. Accord parfait. On s’alignera sur l’Allemagne : promis.
Bref, les premiers pas sur « la scène internationale » qui se doivent d’être décisifs l’ont été. Le speech en anglais a prouvé d’ailleurs que la France entend être la tête du Nouveau Monde Libre. Visites et coups de téléphone partout sur la planète. Sur une carte du monde, les points lumineux se sont allumés pour montrer les villes où le Président avait téléphoné. Comme dans un épisode de Maigret avec le regretté Bruno Crémer.
Le très sérieux Washington Post prétend que l’Aigle avait fait remonter la France de la dernière place à la première sur l’échelle de l’influence diplomatique : du jamais vu.
Une com’ millimétrée
A l’intérieur, Macron a toisé un général et lui a dit : je suis le chef. Et le Général lui a tiré sa casquette..Il a fait une loi importante sur la moralisation de la vie publique et l’A.P.L. etc. Le « etc » est important. Les journalistes disent deux mots puis « etc. » : tout est dit.
Question com’ justement : celle de l’Elysée est millimétrée. Maîtrisée. Pauvre. Non, rare. La consigne est stricte : ne pas parler à tort et à travers. Ne pas hésiter à ne pas parler du tout. Les journalistes en ont gros sur le cœur. Ils ont fait le Chœur et maintenant nada.
La Cour, maintenant. Une ancienne dame d’un parti ancien a salué « la fraîcheur » des députés. Va pour Rungis ! En attendant tout le monde a pris des vacances. C’est préférable.
Bas dans les sondages
Ne dit-on pas que son cap est un peu flou ? En témoigneraient les projets contradictoires du « pass culture » de 500 euros (les mots français manquent) et la réduction de 5 euros pour l’APL. Et cette « loi sur les ordonnances » qui manquerait de visibilité…
Alors, qu’a-t-il fait pour être si bas dans les sondages ? Même l’autre n’était pas aussi bas après 90 jours. On évoque la versatilité des Français : l’exception française. On se demande à quel homme d’Etat on pourrait le comparer, lui, l’Aigle. Un expert a trouvé : Mendès France. En effet, c’est tout lui, Mendès France. Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?
On a parlé de révolution. Et quelle révolution ! On n’avait jamais vu ça en France. Ce renouvellement, cette vague « rafraîchissante » à l’Assemblée nationale après les vieux fauteuils où l’on roupillait. Les partis anéantis. Plus de droite, plus de gauche, plus de centre. A part à la gauche extrême, un agitateur débraillé, au verbe haut, qui déballe sa marchandise. Plus de partis, qu’on vous dit. Plus rien à part lui.
Où est le ministre craquant d’antan?
Ce que voit, en revanche, et dit la ménagère versaillaise de 50 ans qui aimait rêver et avait voté pour lui parce qu’il était B.C.B.G. mignon tout plein, moral et tout, transgressif juste à point : « Où est-il le ministre craquant d’antan ? Le regard revolver de velours ? Où est-il le Messie des meetings où je pointais mes doigts en l’air en me déhanchant ? Rendez-moi mon hystérie ! » L’inquiétante étrangeté de l’être. Ou son insignifiance…
En définitive, on ne sait toujours pas, au bout de ces Cent Jours symboliques, si ça va bien en France ou pas. Avec cette manie de vivre avec un thermomètre sous le bras, on n’arrive plus à voir si on a la fièvre ou pas. De toute manière, tout change et ça recommence. Un vrai guépard, cet Aigle. Ce qui est sûr, c’est que si la vague déferlante ne porte plus le navire, ce ne sera plus l’Aigle mais l’Albatros. Des abîmes resurgiront le rouge et le bleu dans le blanc de l’écume. En attendant Avanti !
C’était, ce week-end, à une émission de la télévision : le club où se réunissent des experts. On parlait des Cent Jours. Ceux de Napoléon ? Roosevelt ? That is the question.
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