Emmanuel Hussenet, guide de raids et écrivain-voyageur, a mené plus de quinze expéditions dans le Grand Nord. Sa dernière échappée en solitaire et en kayak vers l’île Hans, entre le Groenland et le Canada, a donné lieu à un livre essentiel, Robinson des Glaces. Entretien.
D’où vous vient cette passion pour l’Arctique ?
Quand je suis parti dans ces régions, j’avais 22 ans et je cherchais ma voie. J’avais du mal à m’adapter aux impératifs scolaires, trouvant que ce qu’on essayait de nous enseigner était suspect. Je cherchais du réel et je pensais déjà qu’il faisait trop chaud et que j’avais besoin de me rafraîchir l’esprit. Dans l’Arctique, j’ai trouvé un espace qui m’a permis d’exister et la glace et devenu une référence, un support pour m’élever.
Plus tard, la trentaine venue, en 1999, avec l’écrivain-voyageur et éditeur Émeric Fisset, vous découvrez la banquise pluriannuelle. Racontez-nous.
Nous étions partis sur les traces de l’explorateur Octave Pavy avec des moyens très faibles : un kayak et une pagaie. Là, j’ai découvert que nous ne maîtrisions plus rien, obligés en permanence de nous adapter à ce milieu, j’ai pris conscience de la force inouïe de cet élément. Dans cet environnement, la glace fait sept à huit mètres d’épaisseur et peut arrêter n’importe quel bateau. Cela m’a fasciné jusqu’à ce que j’apprenne que tout allait disparaître à cause du réchauffement climatique.
Vous êtes donc allez lire et apprendre sur ce phénomène…
J’étais persuadé que l’Arctique était suffisamment puissant pour mettre l’homme à l’écart. J’avais tort. En brûlant l’énergie du soleil qui a brillé il y a 200 millions d’années à travers les énergies fossiles, l’homme cause une acidification des océans telle que tout disparait. Même les banquises pluriannuelles ne peuvent résister à cette débâcle généralisée et nous assistons à des phénomènes météorologiques dramatiques. Les ouragans dans les Caraïbes l’hiver dernier n’étaient qu’un prélude. Pour les habitants de certaines régions, c’est déjà intenable avec seulement un degré supplémentaire dans les océans. Quand nous en serons aux deux ou trois degrés supplémentaires dans quelques décennies, la vie deviendra impossible, en tous cas pour la plupart d’entre nous. Ce que nous faisons est prométhéen, mais nous ne nous en apercevons même pas. Nous sommes en train de mettre fin à notre propre existence. Pourtant, la nature est franche, pas besoin d’être un grand scientifique pour comprendre ce qui se passe !
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En quoi est-il si important de comprendre la glace arctique?
Notre avenir est lié à celui des glaces. Qu’il y ait du froid au Pôle nord est vital, d’abord pour les océans. C’est le froid qui créé la limite de congélation de l’eau de mer dans l’océan glacial arctique. Le différentiel de température avec les eaux du Gulf Stream créé la dynamique des courants océaniques. Moins il y a de volume d’eau froide, plus le Gulf Stream ralentit et s’étale. Les eaux froides absorbent le plus de CO2 et permettent une oxygénation des océans. Sans cette dynamique globale entre l’Antarctique et l’Arctique, il y aurait beaucoup moins de faune dans les océans que ce qu’on en connait aujourd’hui, et elle est aussi en voie d’extinction. C’est parce que la Terre est dans une ère climatique froide depuis 14 millions d’années qu’on a autant de faune à la fois dans les océans et sur terre. S’il n’y a plus de glace, nous entrerons dans une phrase climatique que la terre n’a pas connu depuis très longtemps, quand l’être humain n’était même pas programmé. Il faisait plus chaud, il y avait beaucoup plus de CO2, une végétation beaucoup plus abondante, et ce n’était pas le règne des petits mammifères à fourrure ni d’oiseaux à sang chaud. Or, ce froid, on le fait disparaitre. On ne peut pas vivre à 40°C en permanence. En Afrique ou Asie du Sud-Est, il faut s’attendre à une désertification générale, à des phénomènes extrêmement lourds qui ne peuvent être contrecarrés que par la préservation d’une poche de froid dans l’Arctique.
Pourquoi l’Arctique est-il si peu connu du grand public?
Parce que c’est lointain et que ça ne fait pas envie ni rêver. Trop dur, trop froid, trop dangereux. Or, tous les fondamentaux des règles en application sur cette terre, partent des pôles. C’est pour cela que j’ai voulu gagner l’île Hans, territoire qui pourrait cristalliser toutes les problématiques actuelles. Ce n’est qu’un rocher de 100 km2, un caillou qui doit servir de symbole, de modèle et le lieu d’expérimentation. Ce caillou est revendiqué par le Danemark et le Canada alors qu’il ne s’agit plus de poser un intérêt privé ou étatique, mais de prendre conscience que nous avons une responsabilité vis-à-vis des écosystèmes et qu’il est temps de passer à une nouvelle façon de penser. Les COP 21 ou 23 ont été des moments pitoyables. Le plus triste, c’est de voir que les gouvernements n’osent pas le dire. Cette malhonnêteté foncière est liée à la malhonnêteté du système dans lequel nous nous sommes enfermés. On essaie de nous faire croire qu’on peut corriger les choses avec les moyens qui sont la cause du problème.
Tout en défendant la Nature, vous réhabilitez d’une certaine façon la notion de risque. Quelle place occupe le risque dans votre démarche ?
C’est une philosophie de vie générale. Le problème des scientifiques, dont je respecte éminemment le travail, est qu’ils ne sont pas tout seuls et pas complètement libres parce qu’ils ont des pairs et qu’ils sont reconnus pour leurs travaux. Ils vivent en concurrence, ne serait-ce que par rapport au budget qu’ils doivent obtenir pour continuer de travailler. Si je me lance, c’est parce que j’ai la possibilité de le faire parce que je suis libre. Un scientifique ne peut dire les choses au même niveau que moi. Je n’ai plus peur parce que je suis allé suffisamment vers les glaces et que j’ai affronté les choses clairement. Aujourd’hui, j’ai fait mon deuil d’un certain nombre de choses. Ce qui compte pour moi, c’est l’expérience de vie. Mon livre essaie d’instiller un feu sacré.
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Dans quel but ?
Vous me demandez quoi faire ? Je ne crois pas que chaque petite chose compte, parce que ça ne compte pas les petites choses. On n’a besoin que de grandes choses et il n’y a pas suffisamment de grandes choses parce qu’il n’y a pas suffisamment de grands personnages. Pour en être un, il faut simplement vivre en accord avec ce qui brûle au fond de soi et se connaître suffisamment pour se laisser guider par sa passion. Beaucoup de personnes, du jour au lendemain, décident de quitter ce qu’ils font et d’entrer en contact avec eux-mêmes et de ne plus se raconter d’histoire. On se raconte beaucoup d’histoire. « Je vais faire un peu de ceci ou cela, trier mes déchets, fermer l’eau du robinet, éteindre la lumière…’ ». Ce sont des contributions symboliques. Le symbole a une certaine valeur mais aujourd’hui ça ne suffit plus. Il faut aller au-delà d’un choix de vie et faire le choix de la Vie. Le reste, c’est la mort. Les COP 21 ou 23 sont une mise en scène d’un accompagnement de la mort. Si on croit ‘’ces gens-là’’, on va vers la mort. Il faut aller dans le sens de cette énergie qui nous habite pour ne plus aller dans le compromis. Quitter la ville, pratiquer la permaculture pour reprendre la maitrise de sa sécurité alimentaire, est une dynamique cohérente et l’avenir est là. Je pense que ces valeurs reviendront, quand l’individu sera confronté au réel. Nous avons perdu des choses élémentaires, je n’invente absolument rien, c’est le monde qui a tout oublié. Mes expéditions ne sont rien d’autres que l’effort personnel d’une personne qui cherche à être confrontée au réel pour retrouver la réalité.
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