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Émeutes or not émeutes ?


Photo : StuartBannocks.

Les Britanniques ne savent toujours pas ce qui les a frappés, sans prévenir, durant les nuits du 6 au 9 août. En tout cas, ils ne savent pas comment le nommer. Dans un premier temps, le terme « émeutes », dont on a immédiatement affublé les scènes de violence urbaine qui passaient en boucle sur BBC News, a été bien utile. Mais aujourd’hui tout le monde se dispute sur leur qualification, donc sur leur véritable nature exacte. Des participants actifs aux spectateurs ébaubis, des travaillistes aux conservateurs, des tabloïds comme le Daily Mail aux journaux dits « sérieux », comme The Financial Times, tous se lancent à la figure litotes, bons mots et tautologies. Quand on ne trouve pas les mots, c’est qu’il y a un hic. Vous vous souvenez de la guerre d’Algérie qui n’en était pas une ? À la réalité, le gouvernement français préférait l’illusion et parlait alors d’« événements ».

Quatre mois ferme pour une bouteille d’eau volée

Revenons à la Grande-Bretagne et, tout d’abord, sur le premier terme, « émeutes ». Aucun des 2000 jeunes gens condamnés par la justice de Sa Majesté ne l’a été pour fait d’émeutes[access capability= »lire_inedits »], délit très précisément répertorié par le système judiciaire britannique et faisant l’objet d’un Riot Act. L’écrasante majorité des délits et crimes reprochés à ces non-émeutiers relève du vol, recel, cambriolage, vol avec violence, violence ayant entraîné la mort et incendie volontaire. Ce qui sert, bien-sûr, les conservateurs. Ceux-ci refusent en effet de voir dans ce que nous nommerons, pour le moment, les « nuits d’août 2011 », autre chose que les résultats de quatorze ans de blairisme. Pour eux, la société est « cassée », la famille « atomisée » et ces jeunes, des délinquants purs et simples qu’il faut mater. D’où la grande sévérité des peines prononcées par les tribunaux, sur le conseil pressant du gouvernement. Deux jeunes gens ont ainsi écopé de quatre ans de prison ferme pour avoir créé deux pages sur Facebook incitant leurs 400 « amis » à tout casser dans leur petite ville d’origine. À l’heure et à l’endroit du rendez-vous fixé pour le cassage général (devant un McDonald), ils étaient seuls, avec les bobbies comme seuls « amis ». Un autre, pour avoir volé une bouteille d’eau minérale à 1 euro, a écopé de quatre mois ferme. Ça leur apprendra.

« Shopping avec violence »

Admettons-le : les faits ne donnent pas tort aux conservateurs. À gauche, on crie au malentendu, c’est de bonne guerre : bien sûr qu’il s’agit d’émeutes, bien sûr qu’elles ont des raisons politiques puisqu’elles sont le résultat des coupes budgétaires et du désengagement de l’État. Gary Younge, du Guardian, argumente ainsi, sur le fil du rasoir sémantique, que « le pillage n’est pas du vol à la tire, mais un acte politique ». Sauf que les pilleurs n’ont ciblé que des magasins de vêtements de sport et de matériel électronique. La seule boutique épargnée dans la rue centrale de Clapham est… la librairie Waterstone. Dommage, c’est sans doute le seul endroit où ces jeunes « émeutiers » auraient pu trouver un sens à leur colère. Comme nous sommes en Angleterre, ironie et sarcasme ne sont jamais loin. Robin Lustig de la BBC, a livré sa définition favorite des événements : « Shopping avec violence ».
Comme le dit Harry Eyres, dans The Financial Times, si cette forme d’émeute est pour le moins « inarticulée », le séjour en prison de ces quelques 2000 jeunes gens les aidera peut-être à transformer leur colère en engagement. Who knows ? Rendez-vous donc aux prochaines… émeutes. Peut-être saura-t-on alors de quoi cette violence est le nom.[/access]

Septembre 2011 . N°39

Article extrait du Magazine Causeur



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