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Émeutes: l’Algérie met de l’huile sur le feu

"Officiellement, la visite d’État du président algérien est reportée à l’automne. Mais aura-t-elle lieu?"


Émeutes: l’Algérie met de l’huile sur le feu
Marseille, 1er juillet 2023 © SENER YILMAZ ASLAN/SIPA

Entretien avec Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger (2008-2012 et 2017-2020).


Causeur. Depuis avril dernier, la presse parle d’une visite officielle du président de l’Algérie, Abdelmadjid Tebboune, en France. Mais, ce voyage a déjà été reporté plusieurs fois. Pourquoi ?

Xavier Driencourt. Effectivement, comme indiqué dans la note publiée par l’Institut Thomas More, la visite du président algérien qui avait été envisagée dès l’été dernier, au moment du voyage du président Macron, a été reportée trois fois. Officiellement pour des raisons d’agenda, des problèmes d’organisation, les émeutes liées à la réforme des retraites etc. Il semble que la relative dégradation des relations franco-algériennes depuis l’été dernier, (l’affaire Bouraoui en février, les accusations d’Alger, sans fondement, des « barbouzeries » françaises, le débat sur l’immigration, les risques de manifestations des opposants algériens, les initiatives algériennes récentes comme le voyage du président Tebboune à Moscou, la question du « protocole » de l’hymne national) doit également être prise en compte. Officiellement, la visite d’État du président algérien est reportée à l’automne. Mais aura-t-elle lieu ?

Le président de l’Algérie, Abdelmadjid Tebboune, écoutant un discours de Vladimir Poutine, Saint Petersbourg, Russie, 16 juin 2023 © Pavel Bednyakov/SPUTNIK/SIPA

La dernière visite officielle en France d’un chef d’État algérien remonte à l’an 2000. Ce fut d’ailleurs la deuxième visite, après celle de Chadli Bendjedid en 1983. Pourquoi un si long intervalle ?

C’est vrai, si l’on regarde les pratiques en cours, les Français à tout niveau, président, Premiers ministres, ministres, hauts fonctionnaires font le voyage à Alger, assez régulièrement d’ailleurs, alors que leurs homologues algériens viennent rarement en France. C’est une constante dans les relations franco-algériennes. C’est aux Français d’aller à Alger, les Algériens n’aiment pas trop venir – officiellement –  à Paris. Chirac est allé trois fois en Algérie, Bouteflika une seule fois à Paris.

A relire, Gabriel Robin: Relations franco-algériennes: la théorie du bouc-émissaire

Une telle visite officielle est-elle nécessaire, est-elle utile, alors qu’Emmanuel Macron a effectué il y a moins d’un an un séjour de trois jours dans le pays et que la Première ministre, Elisabeth Borne, s’est également rendue à Alger il y a huit mois ?

On peut en effet se poser la question : la dernière visite du président de la République a duré trois jours, un communiqué conjoint célébrant ce qui est appelé en langage diplomatique le « partenariat d’exception » franco-algérien, a été publié. Mais depuis cette visite, il n’y a pas de résultats concrets : le Conseil interministériel de haut niveau (CIHN) présidé par les deux Premiers ministres ne semble pas avoir produit les résultats attendus. Depuis lors, nous avons assisté à une dégradation de la relation bilatérale : difficulté à réunir le comité d’historiens prévu, affaire Bouraoui, rappel de l’ambassadeur d’Algérie, polémiques sur l’immigration, rapprochement entre Alger et Moscou. Et puis n’oublions pas le tout récent communiqué algérien sur les émeutes en France.

Quel bénéfice la France pourrait-elle raisonnablement espérer retirer d’une telle visite ?

Pas grand-chose en l’état actuel des relations bilatérales. L’Institut Thomas More le rappelle : rien sur le plan économique, rien sur le militaire, pas grand-chose sur le Sahel et la sécurité en général. Et sur l’immigration, sujet principal de contentieux, c’est à Alger de faire des gestes pour aider la France à lutter contre l’immigration illégale.

Est-ce que les émeutes en France ces derniers jours pourraient avoir un impact sur ce projet de visite ?  

Oui, on voit mal une visite d’État, c’est-à-dire la visite la plus symbolique en termes protocolaires, du président algérien après le communiqué de son ministre des Affaires étrangères appelant les autorités françaises à « assumer pleinement leur devoir de protection » vis-à-vis des ressortissants algériens. Une telle visite me semble peu compatible avec ce qu’il faut bien appeler une ingérence algérienne dans la politique française. Ce n’est pas un commentaire d’un journaliste, mais un communiqué du ministre des Affaires étrangères algérien, cela n’est pas indifférent. Comment imaginer un président algérien sur les Champs-Élysées dans le contexte actuel avec les risques inhérents à une telle manifestation ?

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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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