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Elsa Marpeau: du plomb dans la cervelle


Elsa Marpeau: du plomb dans la cervelle
La romancière Elsa Marpeau © BALTEL/SIPA

Scénariste, Elsa Marpeau est aussi romancière. Elle publie chez Gallimard L’âme du fusil, un roman qu’il faut lire. 


Les rapports entre villes et campagnes font couler de l’encre, et ceci depuis longtemps. Au moins depuis Jean de La Fontaine. Qu’on songe à sa célèbre fable, « Le Rat de ville et le Rat des champs ». Ceci dit, on pourrait, tant ce dernier s’inspire de son texte au titre éponyme, remonter au fabuliste Esope (VIIe-VIe s av J-C). 

Des rapports observés

Plus près de nous, ils ont intéressé un photographe (La France de Raymond Depardon, Seuil, Beaux-Livres, 2010), dont les clichés et commentaires ont par ailleurs été exposés à la BNF de septembre 2010 à janvier 2011. Plus près de nous encore, ces rapports ont fait l’objet de travaux de la part de chercheurs en sciences sociales. Ils sont en effet au cœur d’Une violence éminemment contemporaine (Jean-Pierre Garnier, Agone, 2010) de La France périphérique (Christophe Guilluy, Flammarion, 2014), de L’archipel Français (Jérôme Fourquet, Seuil,  2019) ou, encore, de La France sous nos yeux (Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, Seuil, 2021). Mais si ces derniers n’en discutent pas à tort et à travers, loin s’en faut, ce sont encore les écrivains qui en parlent le mieux. 

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Car ces rapports, qui de nos jours virent à l’opposition voire à la confrontation, se retrouvent dans de nombreux romans contemporains (Mathieu Falcone, Campagne, Albin Michel, 2021), plus particulièrement ceux relevant de ce que, pour la distinguer de « la blanche », d’aucuns ont appelé  « la littérature noire ». Pour faire court : celle des polars. Ils sont ainsi la toile de fond du Rural noir de Benoît Minville (Gallimard, coll. « Série Noire », 2016), auteur quadragénaire sous la plume duquel la campagne nivernaise ne gagne pas forcément à être mieux connue que la pègre des grandes villes françaises. 

Ils affleurent également dans L’âme du fusil, qu’Elsa Marpeau a publié il y a peu dans « La Noire », cette collection de Gallimard qui s’est imposée comme emblématique du roman noir en accueillant des auteurs comme A.D.G., Jean-Patrick Manchette, Raymond Chandler ou Maurice G. Dantec. 

Des rapports compliqués

Avec une facilité qui force l’admiration, Marpeau se glisse dans la peau d’un paysan de la Beauce, un dénommé Philippe, le narrateur. Au chômage, marié à une femme en surcharge pondérale et père d’un adolescent accroc aux écrans, Philippe n’est pas au mieux de sa forme. Il n’y a plus que la chasse qui le fasse encore bander : « Tirer un coup de fusil procure plus de plaisir que de tirer un coup ». Du moins, jusqu’à l’arrivée de Julien, un Parisien venu emménager en face de chez lui, dont la beauté le trouble et lui occasionne même, contre toute attendre, ce que Coluche qualifiait de « développement de la personnalité » dans son sketch « La Politesse »). Ce qui, on peut le comprendre, n’est pas sans le perturber.

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Roman noir oblige, la confrontation entre ce Rat de la capitale et ceux qui rongent leur frein dans leur campagne sinistrée, sous le régime de « lois » et traditions contre lesquelles « il n’y a rien à faire »« on plie, on part ou on crève » -,  finira mal. Très mal. Et pour beaucoup de monde. Entretemps, Elsa Marpeau aura réussi à nous faire voir le monde avec des yeux de chasseur, de Rat des champs et de déclassé. Elle nous aura surtout aidé à mieux cerner ce qui, aujourd’hui, sépare deux mondes dont les rapports n’ont certainement pas fini d’être compliqués. Du moins si ce qui fait encore l’un des deux, le rural, ne périclite pas faute de transmission. Car L’âme du fusil, c’est aussi ça : un coup de projecteur sur ce qui disparaît silencieusement, dans l’indifférence la plus totale. Ou presque. 

Elsa Marpeau, L’âme du fusil, Gallimard, « La Noire », 2021.

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