Face à l’antispécisme puritain d’un Aymeric Caron, il est bon de rappeler que la consommation carnée n’est pas encore un péché.
« Le plaisir n’a jamais pu justifier moralement une action », voilà ce que déclarait Aymeric Caron, député de la Nupes et ardent défenseur de la cause des moustiques, au cours d’une récente interview. Cette forte pensée prolongeait l’anathème fétiche de son auteur contre ceux qui sont à ce point arriérés et barbares qu’ils persistent à consommer de la viande, à se pourlécher devant un plat de tête de veau ou une côte de Charolais. « L’argument du plaisir que l’on retire à mâchonner des bouts de chair n’est pas valide. Le plaisir n’a jamais pu justifier moralement une action », voilà le propos dans son entier. Un aveu : je suis du nombre des mâchonneurs de chair animale et, honte à moi, je n’en conçois ni remords, ni culpabilité particulière. Je pourrais ajouter à mes victimes gastronomiques la poularde de Bresse, le brochet de Loire, l’andouillette de Troie, le lièvre à la royale… Ah, le lièvre à la royale ! Il vous faut pas mal de temps et, évidemment, un capucin, un beau ainsi qu’un foie gras cru de canard, pas moins de trois litres de vin rouge plutôt corsé, du lard en dés, d’autres ingrédients encore. Vous prenez le lièvre, vous le désossez… Mais voilà que je m’égare. Revenons à nos moutons. À propos de moutons, le cœur si sensible de M. Caron ne semble pas saigner autant devant les conditions abjectes et d’un autre âge dans lesquelles des ovins sont occis pour certaines célébrations religieuses que devant le sort que nous faisons aux moustiques harceleurs qui pourrissent nos soirées d’été. Selon M. Caron, ces charmantes petites bêtes ne font que nous pomper le sang pour nourrir leurs petits. Touchant. L’entendant parler ainsi, je n’ai pu me retenir d’applaudir à tout-va, tant de tels propos me semblaient être la parfaite métaphore de toute politique de gauche : pomper le sang des uns pour – prétendument – nourrir les autres. Ceux que je désigne ici par « les uns » se reconnaîtront sans grande difficulté. Mais je m’égare de nouveau.
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J’en étais resté à la sentence si profonde : « Le plaisir n’a jamais pu moralement justifier une action. » C’est donc ce que pense M. Caron. M. Caron qui a tout à fait le droit de penser ce qu’il veut, de même qu’il a le droit de mâchonner ce qui lui plaît, des fanes de radis plutôt que du coquelet rôti, par exemple. Un esprit taquin lui ferait observer que ce faisant, il goûte un certain plaisir et que ce plaisir vient conforter la règle morale qu’il s’est fixée de ne pas manger de viande. L’un et l’autre – plaisir et morale – ne sont donc ni ennemis ni même antinomiques. Loin de là. Le plaisir est même, dans une infinité de cas, le ferment moral, justement, de nos comportements, de nos actes. Il est ce qui nous rend plus authentiquement humains. Blaise Pascal, qui n’a pas laissé dans l’histoire le souvenir d’un fêtard invétéré ou d’un épicurien forcené, l’a bien compris. « L’homme est né pour le plaisir, écrit-il. Il le sent, il n’en faut pas d’autre preuve. » Le plaisir nous rend meilleurs en cela qu’il participe du bonheur. Et chacun d’entre nous sait parfaitement que nous ne sommes jamais meilleurs d’esprit, de cœur, d’humeur que lorsque nous sommes heureux. Le bonheur rend bienveillant, généreux, indulgent, compréhensif, clément, ouvert, agréable… Toutes qualités morales, me semble-t-il. Le plaisir, j’entends ici le plaisir sain qui respecte l’intégrité physique, mentale et morale d’autrui, est bien évidemment partie prenante dans cet état de grâce, tout comme le rouge corsé à sa part dans le capucin à la royale. C’est ce que M. Caron et ses camarades ne veulent pas voir. Ils sont les moralistes ténébreux pour qui seules la contrition, la mortification, la repentance, la détestation de soi parviendraient à « justifier moralement » non seulement les actions de leurs semblables, mais aussi leur présence au monde. Ils ont une conception désespérée et désespérante de l’humain. Un humain qu’ils ne peuvent imaginer que comme hanté d’une conscience malheureuse, douloureuse, condamné à un mea culpa permanent. Cela, parce qu’il serait coupable, évidemment. Coupable de tout. De la colonisation et de la tête de veau, de l’esclavage et de la fricassée d’ortolans, du sexisme et de la pêche à la ligne, du racisme et de l’invention de la tapette à moustiques. Une arme que je manie avec une certaine habileté. Et non sans plaisir en cas de succès, n’en déplaise à M. Caron.