You will meet a beautiful dark stranger commence et se termine par une citation de Shakespeare : « The world is a story told by an idiot, full of sound on fury, and signifying nothing ». Jusque-là, rien de très original dans l’oeuvre du pessimiste joyeux qu’est Woody Allen. L’histoire en question, pleine de bruit et de fureur, enchevêtre les trajectoires de plusieurs personnages: Sally (Naomi Watts) et son galeriste de patron (Antonio Banderas), son père (Antony Hopkins), sa mère (Gemma Jones) et son mari écrivain Roy (Josh Brolin). Derrière ces intrigues, qui en effet ne signifient rien, il y a une manière de variation inconséquente sur l’Ecclésiaste.
Mécènes charmeurs et blondes plantureuses
Rien de nouveau, en effet, sous les projecteurs. Toujours les mêmes maris inconstants, les mêmes épouses rêveuses, les mêmes écrivains d’un seul succès, les mêmes mécènes charmeurs, les mêmes blondes plantureuses au bras de vieux messieurs. Ces stéréotypes sont joués jusqu’au bout, les clichés pleinement assumés: le vieux marche au viagra, le mari regarde l’herbe plus verte dans la pelouse du voisin, le galeriste fait mugir sa voiture de millionnaire et la vieille mère anglaise croit aux sciences occultes. Rien de nouveau non plus dans le cinéma de Woody Allen. On retrouve les éternelles engueulades de couple qui ont fait la réputation de l’auteur d’Annie Hall et des dialogues qui tournent toujours autour des mêmes obsessions: le désir, la vieillesse, le destin, la mort.
Alors, où est l’intérêt de You will meet a beautiful dark stranger ? Nulle part, puisque la conséquence à ce « rien de nouveau » est que, quoique l’on fasse sous le soleil, quoiqu’il se passe à l’écran, tout n’est que vanité. En les mettant en regard, en les imbriquant les uns dans les autres, Woody Allen sait comme nul autre donner à tous ces destins une certaine gratuité. La vue d’ensemble sur toutes ces vies ne peut que se résoudre en un « signifying nothing ». Ne reste que le point de vue amusant du narrateur et le regard amusé du spectateur.
La moue de Naomi Watts
Pourtant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que même sous le soleil de l’Ecclésiaste, la vanité est cette ombre qui crée un désir, et que ce désir est ce qui fait des personnages. C’est une évidence qu’a beaucoup célébrée le Woody Allen des années 2000, avec des films comme Match Point ou Le Rêve de Cassandre, où les aspirations sociales et le désir sexuel, questions de vie et de mort, se mêlaient jusque dans le crime.
Avec You will meet a beautiful dark stranger, la configuration n’est pas la même, mais il y a toujours cet espace du désir qui définit chaque personnage. Ainsi Roy qui regarde la fenêtre en vis-à-vis (Hitchcock, si tu nous entends) et ne pense plus qu’à sa guitariste aussi belle que lisse (Freida Pinto), ainsi Sally et ses sentiments inexprimés pour son boss, ainsi le père de Sally, prêt à se ruiner pour que lui soit présenté un reflet de jeunesse.
Un personnage ne se définit pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il voudrait être. On voit ce que fait Woody Allen du stéréotype de l’écrivain angoissé : de charmeur indolent et frivole, Roy va devenir un imposteur. Il réussira un roman, mais ce ne sera pas le sien. Comme si tout être humain ne se résumait au fond qu’à une fable personnelle. Le tableau peut sembler tragique, mais il prend un tour comique et émerveillé quand notre vieille Anglaise au destin torturé s’imagine avoir vécu, dans une autre vie, une romance avec celui qui n’a pourtant pas grand-chose d’un « bel et sombre inconnu ».
De ce jeu d’ombres et de désirs, on retiendra un détail particulièrement bien trouvé : la moue de Sally (sublime Naomi Watts) essayant des boucles d’oreille à 50 000 livres pour la femme de son patron.
Et c’est le propre de ce film parfaitement anecdotique (et probablement voulu comme tel par Woody Allen), que de n’être que prétexte à de tels moments de tension comique et sensuelle.
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