Le mérite n’a plus la cote à l’Éducation nationale depuis longtemps. Cela a des répercussions désastreuses dans les entreprises.
On pourrait donc « aimer sa boîte » (69% des Français actifs, selon le sondage 2022 OpinionWay), donc aimer aller au travail… et ne pas aimer travailler ?
Certains accusent notre civilisation d’être fondée sur l’obsession des jeux et des réseaux sociaux, ce qui aurait contribué à détruire le goût du travail, ou le plaisir au travail, ce qui n’est pas exactement la même chose !
Voilà qui devrait nous interpeller sur l’esprit de compétition, car le jeu est avant tout une compétition.
La compétition passée de mode
Quand on joue, il y a des gagnants et des perdants, une excitation liée à la victoire possible, à la stratégie à mettre en œuvre, un effort physique, sportif ou intellectuel et une mobilisation des connaissances. Et si nous apprécions aussi tous ces sports de compétition qui déclenchent chez les spectateurs des poussées d’adrénaline recherchées, l’Education nationale a pris simultanément un chemin totalement opposé, s’appliquant à réduire, voire à détruire la compétition à l’école.
Au nom d’un pseudo désir égalitaire, on a renoncé à comparer les élèves.
Comparer c’est discriminer. Ainsi a-t-on supprimé peu à peu les notes, les remplaçant par des lettres dans de nombreux établissements scolaires, adoucissant les appréciations afin de ne pas « stigmatiser » (ah ! le grand mot !) les mauvais élèves, apprenant au passage aux bons élèves qu’ils n’avaient finalement pas plus de valeur que les moins bons. On a supprimé le qualificatif de « paresseux ». Finis les livrets scolaires ou l’élève était qualifié comme tel. Il n’y a plus d’enfants paresseux : ils ne sont « pas motivés », c’est tout, ou insuffisamment impliqués. Les parents, alors rassurés, ont vite conclu que c’était le professeur qui n’était pas motivant et forcément responsable des mauvais résultats de leur progéniture talentueuse.
Cancre ou haut potentiel intellectuel brimé?
D’ailleurs, dans le même ordre d’idées, un cancre absolu est souvent classé comme surdoué, ce qui explique son inattention et son manque d’intérêt car il est au-dessus du niveau de ce qu’on lui apprend. Cela permet de se vanter d’avoir un cancre ! Quant aux classements, n’en parlons plus, le classement est forcément partial – injuste même. On préfère douter du correcteur, ou reprocher les sujets pas assez étudiés en classe avec le professeur avant les examens. Nous sommes tombés, tranquillement, avec persévérance, dans la culture de l’excuse. Peu à peu, on en est venu à victimiser les élèves qui n’ont pas des résultats satisfaisants. Tout est bon : l’inégalité des chances, le milieu social, les difficultés de couple des parents, l’astreinte du travail personnel… Les devoirs à la maison sont désormais très mal vus, quand on ne les a pas carrément supprimés, l’effort personnel étant trop important. En plus, tarte à la crème culpabilisante, il parait qu’on manque de moyens dans les familles « non privilégiées » pour aider les enfants. D’où la gratuité d’une palanquée d’aides sociales, au passage. Il ne faut surtout pas culpabiliser les parents qui n’ont pas le niveau ou qui ne prennent pas le temps pour aider leurs enfants.
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En un mot : nous assistons à la déconstruction de tout un système qui avait fait le succès de la promotion républicaine. Fini le temps où l’enfant méritant passait de l’école communale de son village au lycée de la ville, parce qu’il avait fait montre de ses capacités. Et je reste encore stupéfaite de l’exemple de Diane, rentrant de l’école, et nous racontant qu’il y avait eu quatre équipes pour effectuer un devoir sur table dans la classe, récompense à la clé, et que son équipe avait gagné ! Heureux, nous lui avons demandé qu’elle fût cette récompense et si son équipe se l’était partagée ? Sa réponse nous a laissés sans voix : « Non ! Ce sont les derniers qui ont eu la récompense, nous on avait déjà la chance d’avoir été les meilleurs… » a-t-elle expliqué, trouvant cela assez normal. C’est probablement ce qu’on appelle la motivation dans l’Education nationale, et certains de penser que c’est finalement très sympathique : la médaille d’or au dernier, il fallait y penser !
Ce phénomène s’accompagne aussi de l’effacement de l’individu au profit du collectif. Le problème, c’est que la responsabilité individuelle disparaît peu à peu.
L’individualisme combattu, le nivellement vers le bas encouragé
On privilégie de plus en plus en classe les « groupes de travail », même si on sait qu’il y en a deux ou trois qui font tout le boulot. A la fin, c’est la même note pour tous. Même chose pour les examens, les professeurs relèvent les notes de tous ou de certains au nom de l’homogénéité des résultats.
Or, tout se joue à l’école et l’incidence de ce nivellement n’est certainement pas sans conséquence sur l’attitude face au travail des Français, et si l’on extrapole, comment s’étonner ensuite du nouvel état d’esprit que je décrivais en introduction? De l’école, on passe avec plus ou moins de transitions au monde de l’entreprise, en un mot au travail. Or, la compétition et sa récompense sont aussi le sel du travail, la satisfaction du dépassement de soi, l’excitation de bien bosser, de réussir!
Peu à peu, le nivellement par le bas est devenu un axe fondamental de justice sociale dans notre pays. Dans l’entreprise aussi, et il est impossible de donner un salaire supérieur à ceux qui ont été plus performants mais qui occupent le même poste, je n’ose dire : à ceux « qui le méritent » ! L’inégalité de traitement peut mener le patron aux prudhommes ! Même la prime doit aller à tout le monde, si l’on exclue bien sûr l’intéressement par contrat.
Certes, ce n’est qu’un paramètre de ce désintérêt du travail et, heureusement, il reste des challenges commerciaux, en particulier dans la vente. Mais c’est tout un état d’esprit qui a basculé, au nom des bons sentiments. On comprend en tout cas que les jeux électroniques – où la compétition maximale est la règle – soient infiniment plus excitants pour nos enfants que l’étude. Parents responsables, école méritocratique : notre relation au travail commence sinon au berceau du moins en classe. Trop d’indulgence et de bienveillance peuvent être les mamelles d’une certaine décadence.
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