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L’élitisme républicain — le vrai

À la rentrée 2022, fin du régime d’exception dont bénéficiaient Henri-IV et Louis-le-Grand


Jean-Paul Brighelli s’insurge contre la petite oligarchie du Ve arrondissement de Paris qui s’offusque de voir la procédure Affelnet d’affectation des élèves s’étendre à Henri-IV et Louis-le-Grand


Retour et liquidation — pour solde tout compte — des insinuations, mensonges et énormités que le placement d’Henri-IV et de Louis-le-Grand dans la loi commune d’Affelnet a fait naître sous la souris des CSP+ et autres profiteurs du Vème arrondissement.

Une étude chiffrée parue dans la Vie des idées, revue conjointe au Collège de France, et signée par Julien Grenet (professeur associé à l’École d’Économie de Paris) et Pauline Charousset, issue de la même discipline, liquide pour le compte la polémique que vingt personnes ultra-privilégiées ont alimentée depuis un mois que le rectorat de Paris a décidé d’étendre aux lycées Henri-IV et Louis-le-Grand la procédure Affelnet d’affectation des élèves en Seconde. 

Résumons.

1. Le recrutement actuel de ces deux lycées n’est pas du tout fondé uniquement sur le mérite scolaire. Pressions amicales, lettres de recommandation, coups de fil au recteur / au ministre / au président de la République / à Dieu comptent pour une bonne part de cette sélection « au mérite » — essentiellement le mérite des parents. 

Ajoutons que nombre d’enseignants, qui défendent bec et ongles le statu quo, profitent de la présente situation pour pousser leur progéniture dans ces deux lycées — étant entendu que les enfants de profs sont aussi brillants que leurs parents : rien d’étonnant s’ils s’insurgent contre la réforme, charité bien ordonnée… Peur de ne plus caser vos enfants dans les pouponnières d’élite, camarades ?

Et étonnons-nous : le Vème arrondissement, dont la mairesse s’est fendue d’une tribune courroucée, est sur-représenté dans ces deux lycées. Mais tout le monde sait bien que les enfants des riches sont eux aussi surdoués…

La vérité c’est que Florence Berthout est motivée dans sa diatribe par les agents immobiliers de son arrondissement, qui ont depuis longtemps incorporé à leurs argumentaires la possibilité, si vous créchez Place du Panthéon ou rue Mouffetard, de voir vos enfants inscrits à H-IV ou LLG. Le facteur économique est déterminant en dernière instance, n’est-ce pas, madame…

L’élitisme républicain, c’est cela: permettre un renouvellement des élites en allant puiser dans toutes les strates de la population les éléments brillants

2.

Une sélection automatisée ferait non seulement aussi bien que le recrutement « humain » d’H-IV et LLG, mais même mieux : les résultats, tant au collège qu’au lycée, de ces deux lycées sont même légèrement inférieurs à ceux de certains autres lycées parisiens qui ont appliqué l’année dernière la réforme sans états d’âme.

De toute façon, pour ce que valent les notes aujourd’hui… Quel jobard croit encore que le 20/20 ramené par son enfant n’est pas surgonflé ?

3.

Un quota de boursiers va-t-il niveler le niveau vers le bas ? Pas même. En analysant les résultats antérieurs d’élèves qui auraient été admis à H-IV et LLG si la procédure Affelnet avait été mise en place dès 2016, on s’aperçoit que les notes du Bac sont identiques, à une infime fraction près. Si vous croyez que 15,9 est inférieur à 16,1, c’est que vous ignorez tout des consignes de notation au Bac. Et si vous pensez vraiment que votre enfant « vaut » les notes qu’il a obtenues, vous êtes d’une naïveté confondante. Mais trois mois en classes préparatoires remettront vos précieux chérubins à leur vrai niveau : 6/20 en moyenne.

4.

Va-t-il y avoir une fuite vers le privé ? Mais non ! Il n’y en a eu aucune cette année dans l’ensemble de l’Académie, j’ai eu l’occasion de l’expliquer, il n’y en aura pas plus dans l’avenir. Nombre de gens aisés, de politiciens en vue, inscrivent leurs enfants dans le public pour pouvoir dire justement qu’ils n’ont pas eu recours au privé. D’autant qu’Henri-IV et Louis-le-Grand, dans le système actuel, fonctionnent comme des boîtes privées. Et si vous voulez avoir recours à « Stan » ou à l’Ecole alsacienne, où notre distingué porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, fit des siennes tout au long de sa scolarité d’enfant gâté, rien ne vous en empêche. Il y a un entre-soi du public comme il y a un entre-soi du privé.

Ce qui me contriste le plus, ce sont les affirmations selon lesquelles Affelnet ferait entrer le loup défavorisé dans la bergerie des bons élèves. Que des enseignants accréditent ce mensonge est sidérant.


Parce qu’enfin, chers collègues, vous avez tant envie que ça de ronronner comme vous le faites devant un public pré-sélectionné ? Vous ne voulez pas montrer enfin que vous êtes vraiment de bons profs, en permettant à tous les élèves, sans distinction de classe, d’aller au plus haut de leurs capacités ? L’élitisme républicain, c’est cela : permettre un renouvellement des élites en allant puiser dans toutes les strates de la population les éléments brillants susceptibles de remplacer pour le mieux l’oligarchie en place. Ou alors vous êtes favorable au grand retour d’une aristocratie arrogante, type 1788.

J’ai enseigné 45 ans, plus souvent dans des établissements très défavorisés que dans des lycées d’élite. Mon job et mon orgueil, ce fut de permettre à des gosses sortis de rien, et pas de la cuisse de Jupiter avec une cuiller en argent dans la bouche, de faire des études parfois brillantes. Et de ne jamais mépriser ceux qui ne pouvaient pas devenir grands avocats ou brillants financiers — voire professeurs de haut niveau —, parce que chaque élève, dans une vraie république, est aussi digne d’attention qu’un « fils ou fille de ». 

Si vous n’êtes pas capables de ça, chers collègues, changez de métier. Mais ne vous réfugiez pas derrière un recrutement correspondant exactement à vos critères, signe d’une paresse intellectuelle sidérante.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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