Invitée de France inter pour les dix ans de son programme sur arte –qui n’est franchement pas le plus mauvais de la télévision- Elisabeth Quin s’est félicitée de l’exemplarité de son émission. Elle a critiqué à demi-mot ses confrères, coupables apparemment d’entretenir un buzz politico-médiatique délétère. Notre chroniqueur Philippe Bilger, écarté du programme, estime qu’elle charrie un peu…
On part sur une piste et fortuitement on en choisit une autre. Après avoir lu – Pascal Praud l’ayant signalé – le remarquable portrait d’Alexis Kohler, la « doublure » d’Emmanuel Macron, dans l’Opinion, j’avais l’intention de m’interroger sur le lien personnel et quasiment féodal que le président a besoin d’entretenir, pour être totalement en confiance, avec les rares qu’il a distingués. Ce n’est pas l’esprit républicain traditionnel. Celui-ci ne met pas en avant ce type d’allégeance.
Elisabeth Quin, pas n’importe qui !
Puis j’ai écouté, par hasard, l’Instant M sur France Inter dont Elisabeth Quin était l’invitée. Sans surprise elle a dit beaucoup de bien d’Arte et de son émission « 28 minutes ». Dans une connivence parfaite et très amicale avec Sonia Devillers : cela facilite les choses ! Mais il est impossible de traiter les propos et les pensées d’ Elisabeth Quin comme si elle était n’importe qui et qu’on n’avait pas d’estime intellectuelle pour elle. Mais les meilleurs, comme elle, peuvent être dupes et fantasmer une émission comme exemplaire quand elle ne l’est pas.
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L’honnêteté élémentaire me conduit à souligner que j’ai été invité à plusieurs reprises à « 28 minutes » et notamment une fois en forme de test pour savoir si je pouvais être un chroniqueur régulier. L’expérience a tourné court et il me semble que des deux côtés on avait fait le même constat: je n’étais pas fait pour eux, ils n’étaient pas faits pour moi.
Avant d’expliquer pourquoi le climat singulier de « 28 minutes » – apparemment totalement libre mais subtilement et clairement corseté – m’avait déçu, je voudrais objecter à Elisabeth Quin, qui avec fierté a indiqué qu’aucun invité politique ne serait convoqué pour la campagne présidentielle, parce qu’il ne s’agissait malheureusement que d’un défilé programmatique et que personne ne prenait la peine de répondre aux questions. D’abord, c’est bien condescendant de la part d’Arte. Ensuite ce n’est pas toujours vrai et la responsabilité de la déception incombe le plus souvent aux journalistes qui interrogent mal ou coupent trop, plutôt qu’aux politiques eux-mêmes.
Si l’alternative qui nous est laissée est de se contenter d’experts jamais aussi honnêtes qu’ils le prétendent ou de continuer à nous intéresser aux dialogues entre candidats et journalistes, je n’hésite pas une seconde. Surtout si l’interrogation est portée par une personnalité intelligente. Entendre directement Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Yannick Jadot, Valérie Pécresse ou Éric Zemmour, finement et rudement interpellés, sera plus gratifiant que d’avoir droit à des commentaires qui viendront trop tard, la messe politique étant dite. Après celle-ci, les analystes pourront s’en donner à cœur joie !
Une émission subtile…
Je voudrais revenir sur l’impression que « 28 minutes » m’a donnée et qui ne s’est pas démentie quand par hasard j’écoutais un bout de débat. Elisabeth Quin est d’une totale bonne foi mais il me semble qu’on ne peut pas qualifier « 28 minutes » d’émission où on a le droit de tout penser et de tout dire. Je vais faire hurler les contempteurs de CNews mais sur cette chaîne, pour les invités et les chroniqueurs, nul barrage n’existe entre ce qu’ils ont l’intention de dire et la réalité de leur verbe. Qu’il y ait ou non de la droite ou de la gauche (moins, mais elle ne veut pas venir !), rien dans l’atmosphère générale n’indique par avance que derrière la liberté affichée il y aurait tout de même des limites.
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Sur Arte, c’est l’inverse. Impalpable, subtile, avec bonne conscience, flotte l’évidence que celui ou celle qui vient sur « 28 minutes » ne doit pas se leurrer : ne pas croire à sa liberté absolue dans le choix de ses pensées et dans leur expression. Un air élégamment dégoûté, sans même la moindre contradiction, vous signifiera que vous êtes libre certes mais qu’avant, l’impératif suprême relève de la conception de la décence de « 28 minutes » : il serait malséant de ne savoir s’attacher qu’au réel mais le talent d’une certaine manière est de l’oublier ou de l’euphémiser. Pour prendre des exemples caricaturaux, il FAUT détester le RN, vouer Zemmour aux gémonies, se trouver dans le cercle macronien de la raison, accabler la société qui crée les coupables plus que ceux-ci, se fondre dans un humanisme hémiplégique puisqu’il ne pleure et ne compatit qu’à gauche. Ce n’est pas maladroitement fait, ce n’est pas un rouleau compresseur, c’est enrobé, distingué, suave, penser autrement c’est le monde des ploucs, c’est redoutable.
Une mécanique implacable
Parce qu’il y a un mimétisme impérieux qui domine. Je songe à Vincent Trémolet dont les éditoriaux au Figaro sont clairs, nets, sans équivoque, heureusement réactionnaires parfois. Je ne le reconnais plus à « 28 minutes », tout simplement parce qu’il a adopté le style maison, chantourné, contourné, prudent, tournant sept fois l’idée dans son esprit. Une mécanique implacable pour attiédir liberté et vérité.
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On pourrait à la rigueur se féliciter de cet univers homogène où tout n’est pas bon à penser et à dire, si le jeu en valait la chandelle. Mais on constate que cet entre-soi, avec les contradictions convenues et sa certitude d’être installé à perpétuité dans le bon camp, déçoit plus qu’il ne stimule. On préférerait moins de suavité contente de soi et plus de brutalité pour ne pas mettre à distance le réel. Elisabeth Quin n’est pas n’importe qui. Elle ne sera pas d’accord avec moi. Mais peu importe. Il y a des accords qui offensent mais des contradictions qui plaisent.
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