Catherine Tricot, architecte et gérante de Regards, vient donner des nouvelles de la gauche à Elisabeth Lévy, sur la webtélé REACnROLL. Les deux femmes se demandent ce qu’est devenue la gauche et comment a évolué sa politique égalitariste. Causeur vous propose de lire deux extraits de leur échange.
Elisabeth Lévy : On va aujourd’hui parler de la gauche. Je voudrais qu’on commence par un éclaircissement, parce que c’est un mot qui a longtemps fait la pluie et le beau temps dans la vie politique française: il fallait être de gauche, de «la vraie gauche». Mais il est désormais de moins en moins employé, en particulier par Jean-Luc Mélenchon. Etes-vous de gauche et qu’est-ce que cela signifie?
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Catherine Tricot : Je pense que je suis de gauche et que Jean-Luc Mélenchon n’échappe pas à son histoire. Il est de gauche, et son électorat ainsi que ses adversaires politiques ne s’y trompent pas. C’est un mot qui a structuré la vie politique française depuis deux siècles, avec des hauts et des bas, des moments où il a un peu disparu, notamment ces cinquante dernières années. On a donc pu voir la gauche monter ou descendre en tant que référant structurant au sein de la vie politique. Mais, sur le long cours, c’est quand même la gauche et la droite qui ont été les deux pôles structurants. Et qu’est-ce que ça veut dire être de gauche, c’était votre question?
Elisabeth Lévy : Oui ! c’est-à-dire quel est le contenu que vous mettez derrière. L’autre jour, sur France Inter, j’ai entendu: « Je suis de gauche car je m’intéresse aux autres », et ça m’a semblé un peu court (elle rit). Je suis sûre que vous avez une meilleure définition à me donner.
Catherine Tricot : Ce qui est au cœur de l’engagement de la gauche, et ce qui peut-être le différencie de la droite, c’est le combat pour l’égalité. C’est véritablement cela qui est structurant. Cela ne veut pas dire que seuls les gens de gauche sont pour l’égalité, et qu’il n’y a pas de débat autour de cette question, mais c’est le marqueur. Ce concept émerge avec la révolution française, car elle va avec la démocratie et l’égalité politique des citoyens. Même si la conquête de cette égalité a été longue, elle pose que tout un chacun est à égalité de dignité, de droit, et de devoir.
La question du territoire est fondamentale dans la définition de l’égalité, ce que la gauche a peu intégré dans son logiciel
Elisabeth Lévy : Certes, mais vous êtes consciente qu’aujourd’hui, à quelques groupuscules près, l’ensemble de la droite se réclame de la révolution française. Je ne vois pas, à droite, même chez ceux qu’on appelle improprement les «réacs», des personnes qui demandent le retour des castes et des privilèges !
Catherine Tricot : Tout à fait, c’est pour ça que je vous disais que la partition gauche/droite a bougé. Au XIXème siècle, la question de la République était au cœur de la gauche, mais, aujourd’hui, ça ne fait plus débat, tout le monde est républicain. Le contenu de la gauche et de la droite a bel et bien évolué, mais il a structuré cette alternative entre deux visions du monde. Etre de gauche ou de droite engage un rapport au monde, et c’est ce qui fait que cela tient sur le long terme.
Elisabeth Lévy : Excusez-moi, mais ce qui s’est passé avec Emmanuel Macron est une forme de clarification qui met à mal votre raisonnement. A quoi a-t-on assisté ces 20 ou 30 dernières années? Les gens de gauche et de droite étaient supposément censés s’affronter, mais croyez-vous vraiment que les visions du monde de François Hollande et d’Alain Juppé étaient différentes?
Catherine Tricot : C’est bien pour ça que ce n’est pas une question technique. La relation à la gauche n’est pas une question qui se résume à l’aide d’une politique concrète. (…) Et, justement, la gauche et la droite ont été en crise car leurs visions du monde n’étaient plus solides. En ce qui concerne l’égalité, ça fait quelques années que Pierre Rosanvallon redéfinit la question de l’égalité : quels sont les lieux et quelle est la définition concrète de cet engagement en faveur de l’égalité par exemple? Je m’explique un peu plus. Je crois que l’égalité ne se joue pas que dans l’égalité de salaires ou de revenus, mais plutôt qu’elle se joue dans l’accès ou non à la ville et à ses services. La question du territoire est fondamentale dans la définition de l’égalité, ce que la gauche a peu intégré dans son logiciel. On a seulement entendu des débats à propos de la répartition des richesses.
(…)
Les mœurs françaises sont évolutives. (…) Il n’y a pas d’identité française!
Elisabeth Lévy : [A gauche] vous êtes totalement insensibles aux difficultés qu’éprouvent de nombreuses personnes car ils ne se sentent plus chez eux. Je suis allée il n’y a pas longtemps à la gare de St-Denis: c’est l’Afrique (…) (Poursuivant sur un mode ironique) Quand vous vivez tous les jours dans ce monde-là, je pense que c’est difficile : ça n’est pas tous les jours merveilleux, l’enrichissement, la diversité. Vous ne voyez pas que, pour beaucoup, ne plus se sentir culturellement chez soi, se sentir minoritaire, est une souffrance que la gauche n’a pas écoutée ou entendue. Cette gauche leur a tapé sur la tête en leur disant «vous êtes des salauds de racistes, pendant que moi qui vis dans le VIIème arrondissement, je vous dis à quel point la coexistence, c’est chouette» ! Il faut prendre en compte ces difficultés et savoir aussi dans quel monde culturel on veut vivre. Est-ce que les mœurs françaises vont avoir droit de cité en France ou va-t-on devoir accepter des burkinis ici? Est-ce que c’est l’avenir que la gauche propose?
Catherine Tricot : Les mœurs françaises sont évolutives. (…) Il n’y a pas d’identité française! Il y a des choses qui évoluent.
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Elisabeth Lévy : Voilà pourquoi la gauche française va se planter tout le temps, parce qu’elle pense ça !
Catherine Tricot : Ce que je pense, c’est qu’il y a une construction. Il y a des choses qui se transforment. Bien sûr, il y a un socle historique, et il y a un peuple qui est en train de fabriquer son histoire en récupérant son passé pour l’amener vers un futur.
Elisabeth Lévy : Enfin, quand les gens arrivent dans un pays, ils n’arrivent pas sur une page blanche !
Catherine Tricot : Ce que je récuse, c’est la notion d’une identité fixe, de quelque chose qui serait posé. Il y a des continuums, mais même à l’intérieur de ces continuums, il y a des évolutions.
Elisabeth Lévy : Je n’ai jamais dit que l’identité devait être fixe. Je vais prendre un exemple qui nous est cher à toutes les deux : la liberté des femmes. Je n’ai pas envie que les flux migratoires remettent en cause cela, or c’est déjà le cas. Vous allez me dire que la banlieue c’est merveilleux, mais quand je vais à Epinay sur Seine, je dois faire attention à la manière dont je m’habille, et je n’ai pas le sentiment d’être dans mon pays. (…) Quand je suis dans mon pays, j’ai envie de m’habiller comme je veux, et j’ai envie que les arrivants s’intègrent à cette culture de la liberté des femmes.
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