L’éditorial de mai d’Elisabeth Lévy
Le 7 juin 2009, alors que Manuel Valls serre des mains dans les rues d’Évry, il se fait pincer par la patrouille. Oubliant le micro-cravate dont l’a équipé une chaîne de télévision, le député-maire lâche entre les dents à son dir’ cab : « Tu me mets quelques Blancs… Enfin, quelques White, quelques Blancos ! » (comprendre : pour la photo). Toute la gauche se bouche vertueusement le nez, les journalistes exultent : on vous l’avait dit que ce type était de droite.
En 2016, pour avoir affirmé qu’il y a dans certaines classes de sa ville 90 % d’élèves musulmans et que c’est un problème, Robert Ménard a droit au traitement grand luxe : heures les plus sombres, fichage ethnique et procès qui ira jusqu’à sa relaxe définitive en 2019.
À peu près à la même époque, en 2015, des mères d’origine marocaine de Montpellier se plaignent qu’il n’y ait pas de blonds dans la classe de leur fils. Libération s’enthousiasme et espère que le gouvernement va enfin s’attaquer à la « ghettoïsation scolaire ».
Les ravis de la crèche multiculti
Ça ne doit pas donner des résultats fameux, car six ans plus tard, le 19 avril dernier, c’est encore à Montpellier que Naïma Amadou interpelle le président : son fils, explique-t-elle, lui a demandé si le prénom Pierre existait vraiment ou si c’était seulement dans les livres. Cette fois encore, les ravis de la crèche multiculti rivalisent dans l’empathie pour cette dame et dans la sévérité pour ces politiques qui ont « parqué ces populations ». Il ne vient pas à l’idée du président de demander à Naïma pourquoi elle n’a pas appelé son fils Pierre, d’ailleurs il ne lui vient pas d’idée du tout, il reste coi.
Toutefois, de nombreux commentateurs envisagent ouvertement que la tenue strictement islamique de Naïma, comme celle de nombreuses mères de son quartier, contredise son désir d’intégration. On sait grâce à Christophe Guilluy pourquoi les prolos old school (comme dirait Onfray) ont quitté les banlieues pour l’intermonde appelé France périphérique. Ce qui a changé, c’est qu’on peut le dire sans se faire trop insulter.
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Des Blancos de Valls au Pierre de Naïma en passant par les élèves de Ménard et les blonds de Montpellier, le constat est identique : certains quartiers où l’immigration musulmane est majoritaire ne ressemblent plus vraiment à la France. Au point que même les habitants se plaignent de cet entre-soi qui prive leurs gosses de tout contact avec la culture majoritaire.
Or, Valls et Ménard ont reçu des flots d’invectives et Naïma des encouragements apitoyés. Ce deux poids, deux mesures ne tient pas seulement à la tête du client. Pour avoir le droit de voir ce que l’on voit, il ne suffit pas d’appartenir par naissance à un groupe victimisé, encore faut-il tenir le discours qui sied à une victime. Comme nos policiers ou militaires d’origine subsaharienne ou maghrébine, Sonia Mabrouk est accusée par les bons esprits de faire « la Française ».
Certains ont même le droit de compter. Alors, comme les Shadoks pompaient, ils comptent, inlassablement : les femmes, les Arabes, les Noirs, les handicapés, dans les conseils d’administration, les émissions de télé, les films, les prix Goncourt. Nul ne le leur reproche, pour peu qu’ils parviennent à la seule conclusion acceptable : il n’y en a pas assez. Inversement, si on compte les discriminations, les agressions sexuelles ou les bavures policières, il faut découvrir qu’il y en a toujours plus.
Le scandale « tête d’Arabe »
Mais c’est le scandale collatéral dont a accouché « l’affaire Pierre » par le truchement de votre servante qui montre que l’antiracisme peut devenir fou et rendre fou. Sur le plateau de Sonia Mabrouk à CNews, j’ai remarqué que les quartiers sans Pierre étaient aussi ceux où on pouvait se faire enquiquiner si on mangeait pendant le ramadan, même quand « on n’avait pas une tête d’Arabe », puis répondu en substance à Sonia Mabrouk (quoique avec moins d’assurance que je l’aurais voulu) que oui, elle aussi avait une « tête d’Arabe » – ravissante au demeurant. Expression peut-être un brin désinvolte, mais purement descriptive et évidemment dénuée de toute connotation péjorative. Deux jours plus tard, j’apprends que je suis en « TT » (« TrendingTopics ») sur Twitter, ce qui veut dire que je fais causer et pas en bien. La meilleure protection contre les raids numériques c’est encore de les ignorer.
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Cependant, les cris de chochottes offensées parviennent finalement à mes oreilles. Que des gens qui s’appellent « frère » ou « cousin » sur la seule base d’une ressemblance physique jouent les indignés parce qu’on remarque cette ressemblance ne me trouble guère. Pour autant, cette micro-polémique illustre l’aporie sur laquelle butent les chantres de la diversité. D’un côté, ils brandissent leurs différences comme des étendards et réclament pour elles de la visibilité – d’ailleurs, ils se définissent comme des minorités visibles. De l’autre, quand on voit ces différences, ils hurlent à l’agression raciste. Voyez-nous sans nous voir. Cette injonction contradictoire prouve par l’absurde la supériorité d’un modèle français que les militants rejettent précisément parce qu’il se fiche de leurs origines, qu’elles se voient ou pas à leur tête. Seulement, quand on se définit comme « racisé », on ne peut pas se passer de racistes. Au besoin, on en invente.
La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires
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