Accueil Édition Abonné Décembre 2017 Elisabeth Lévy : « Immigration : la coulpe est pleine ! »

Elisabeth Lévy : « Immigration : la coulpe est pleine ! »


Elisabeth Lévy : « Immigration : la coulpe est pleine ! »
Opération de police pour empêcher les tentatives d'intrusion de migrants dans l'Eurotunnel, Calais, juillet 2015. Photo: Philippe Huguen

On nous serine que l’immigration est un sujet trop clivant pour être débattu. Pourtant, deux tiers des Français réclament qu’on l’arrête ou la réduise drastiquement. La France mérite mieux que ce déni de démocratie.


L’immigration est, on le sait, un sujet explosif, sur lequel il est prudent, dans l’espace public, de se contenter de platitudes compassionnelles, surtout si on est aux affaires ou candidat à l’être. Alors que depuis quarante ans la France est confrontée à une immigration massive dont les partisans les plus zélés ne cessent de proclamer, pour s’en réjouir, qu’elle change le visage du pays, la question a échappé à la délibération démocratique, le simple fait de vouloir qu’on en parle suffisant à classer ceux qui s’y risquaient dans le camp des populistes.

Pour éviter, précisément, que la question soit débattue, on répète sans se poser de question qu’il est clivant. Or, rien n’est plus faux ! Malgré des années de propagande d’État et de béni-oui-ouisme médiatique, entamées sous l’ère SOS Racisme avec le patronage de Mitterrand, le parti immigrationniste est aujourd’hui ultra-minoritaire, y compris chez nombre d’« immigrés de souche ».

Les Français pensent « mal »

« L’Immigration, une chance pour la France », article du culte érigé en dogme incontestable, fait aujourd’hui rigoler tout le monde, sauf dans quelques endroits préservés de toute influence nauséabonde comme la Maison de la Radio. D’après l’enquête Fractures françaises (IPSOS/Steria) de 2016, 65 % des Français pensent qu’« il y a trop d’étrangers en France » (niveau à peu près stable depuis plusieurs années). On peut supposer que, si on lui posait la question directement, cette large majorité se déclarerait favorable au contrôle ou à la réduction drastique des flux migratoires, non pas par haine de l’Autre, mais parce qu’elle observe ou vit au quotidien la sécession culturelle d’une partie de la jeunesse immigrée, signe de la faillite de l’intégration républicaine – quand un tiers des musulmans français estiment que la loi de la République passe après celle de Dieu, il y a peut-être un problème de ce côté-là. D’où la conviction, exprimée par plus de 60 % des sondés, que « d’une manière générale, les immigrés ne font pas d’efforts pour s’intégrer en France » et leur faible confiance dans la capacité de l’islam à s’intégrer (40 %). D’après une autre enquête, réalisée par IFOP pour l’association More in Common en septembre 2016, 56 % des personnes interrogées estiment que l’immigration a eu des conséquences négatives (dont 23 % les jugent « très négatives ») et seulement 16 % pensent qu’elle a eu des effets positifs. Il est vrai qu’une étude ne prouve rien. Quand toutes convergent, et depuis longtemps, on a affaire à des tendances profondes.

Ceux qui, habituellement, adorent tout ce qui est citoyen s’étranglent à l’idée que des responsables politiques pourraient tenir compte de cette aspiration massive à un peu plus de frontières

Deux tiers des Français, cela fait pas mal de monde, incluant forcément des électeurs de gauche, voire des lecteurs de. Cela n’empêche pas Le Monde de proclamer que « l’immigration et l’islam demeurent des sujets clivants en France » (3 juillet 2017). En vérité, il y a peu de sujets qui fassent l’objet d’un aussi large consensus populaire que l’immigration et l’islam. Du coup, ceux qui, habituellement, adorent tout ce qui est citoyen s’étranglent à l’idée que des responsables politiques pourraient tenir compte de cette aspiration massive à un peu plus de frontières. Il faut croire que la voix d’un plouc à l’esprit étriqué (en réalité, de 30 millions de ploucs) ne vaut pas celle d’un journaliste du Monde aux sentiments élevés.

Comment un sujet aussi consensuel que l’immigration peut-il susciter un débat ?

On a beaucoup moins commenté une autre évolution qui aboutit à ce qu’aujourd’hui, une écrasante majorité des responsables politiques considère l’immigration comme une source d’innombrables difficultés, donc, dans le meilleur des cas, comme un mal rendu nécessaire par les engagements et le rang de la France. Derrière les platitudes que tous débitent sur les plateaux, la plupart des élus, en particulier les maires, qui doivent gérer d’inextricables problèmes de scolarisation, de logement et de cohabitation, partagent avec leurs administrés une certitude qui relève du bon sens : si on veut avoir une chance d’enrayer la fragmentation en cours et de relancer l’intégration, il faut impérativement tarir le flux des arrivées. L’extrême gauche mise à part, les seules divergences entre partis ne tiennent pas à la nécessité, mais à la possibilité de le faire, les plus volontaristes en la matière étant ceux qui n’ont jamais été au pouvoir. Du reste, le désamour entre Nicolas Sarkozy et les classes populaires n’a d’autre raison que sa promesse oubliée d’arrêter l’immigration. Enfin, même chez les mélenchonistes, qui ont dû s’apercevoir qu’ils étaient les idiots utiles d’un grand patronat sans-frontiériste pour des raisons évidentes, on en fait beaucoup moins, ces temps-ci, sur la nécessité de l’accueil illimité. Après tout, le pape François lui-même a révisé sa position. S’il faut toujours, selon lui, avoir sur la question des migrants « un cœur ouvert », « un gouvernement, a-t-il aussi déclaré, doit gérer ce problème avec la vertu propre d’un gouvernant, c’est-à-dire la prudence ».

Reste un paradoxe qu’il faut essayer de comprendre. Comment un sujet aussi consensuel peut-il susciter un débat public à la fois explosif et stérile, et une réponse politique inexistante ou embarrassée ? C’est sans doute, en effet que ce sujet est l’enjeu d’un clivage profond, non pas entre la droite et la gauche, ni même entre les élites et le peuple, mais entre une majorité de la population et de la classe politique et une fraction hyperminoritaire des élites qui exerce son pouvoir d’intimidation que grâce à sa surreprésentation médiatique – le caractère forcément positif de l’immigration faisant désormais partie de la pensée spontanée du journaliste.

La gauche socialiste s’est interdit toute critique des nouveaux arrivants

En la matière, la principale victoire des chiens de garde de l’antiracisme aura été d’installer dans les esprits une équivalence entre la volonté de contrôler l’afflux migratoire et la haine de l’étranger. Au passage, le terme « ouverture » aura pris une signification exclusivement méliorative : puisqu’il est bon d’avoir l’esprit ouvert, il est bon aussi que les frontières le soient (à ce compte-là, décrétons que toutes les fenêtres doivent être ouvertes en permanence). Ainsi, tout en n’évoquant la question migratoire que sous l’angle émotionnel du malheur individuel, on en est venu à admettre que l’exil était la forme aboutie de la condition humaine et le tourbillon permanent la condition normale des sociétés humaines. Ce que Mélenchon a désigné par la formule éclairante de « déménagement du monde ».

Certes, le parti de l’immigration a bénéficié de l’efficace concours du FN jean-mariste – qui conjuguait effectivement racisme et rejet de l’immigration. Mais comme le montre Jacques Julliard, analyste lucide et mélancolique du divorce entre la gauche et les classes populaires, sans la mauvaise conscience postcoloniale de celle-ci, le lepénisme n’aurait sans doute pas suffi à frapper d’interdit toute volonté de restriction migratoire. Coupable d’avoir enfanté Jules Ferry (qui a curieusement échappé, dans l’ensemble, à l’épuration rétrospective) et, surtout, d’avoir soutenu fort longtemps la politique algérienne de Guy Mollet, et fermé les yeux sur les crimes commis en son nom, la gauche socialiste s’est interdit toute critique des nouveaux arrivants et toute exigence à leur égard : le bourreau peut-il réclamer quoi que ce soit de la victime ? En prime, pour ne froisser aucun créancier potentiel, on a ajouté l’esclavage à la liste des comptes à régler, en oubliant que, comme le rappelle judicieusement Alain Finkielkraut, la spécificité de l’Occident n’est pas d’avoir pratiqué l’esclavage mais de l’avoir aboli. Foin de ces subtilités historiques, le chiraco-mediapartisme répandu dans de nombreuses rédactions est parvenu à imposer à tous l’idée que la France devait se racheter de ses péchés en reniant sa culture criminelle pour mieux faire place à celles qui viennent d’ailleurs. Les défenseurs de l’hospitalité illimitée des partisans de l’effacement volontaire.

Cette vision irénique de l’immigration qui va de pair avec une vision pour le moins dépréciative de la France et de son histoire fait des ravages à l’Université, comme le montre le passionnant dossier sur le « dévoiement » de la sociologie publié par la revue Le Débat ce mois-ci[tooltips content= »« La Sociologie au risque d’un dévoiement », dossier publié dans Le Débat, n° 197 (novembre-décembre 2017), avec des articles de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Olivier Galland, Nathalie Heinich, Pierre-Michel Menger et Dominique Schnapper »]1[/tooltips]. Dominique Schnapper évoque un historien « accusé de “culturalisme” quand il montrait, enquêtes à l’appui, que les héritages culturels des populations immigrées continuent à peser sur les comportements de leurs descendants – être d’origine portugaise ou malienne, est-ce la même chose ? Les résultats ne furent pas discutés, mais la condamnation fut passionnée. Être “culturaliste” est un péché contre l’esprit du temps ». Cet aveuglement organisé a eu des conséquences désastreuses, en termes de connaissances, mais aussi de politiques. Ainsi s’est-on, une fois encore, privé de la possibilité d’agir sur les difficultés en niant leur existence ou en maquillant leurs causes.

Les Français n’ont pas besoin d’études savantes pour prendre conscience de la situation

Dans un texte intitulé « La Sociologie du déni », où il étudie l’exemple des travaux sur l’immigration, Olivier Galland, chercheur au CNRS, note que l’enquête TEO (Trajectoires et Origines) menée en 2008-2009 par l’Ined et l’Insee ne fournit aucun élément susceptible d’expliquer, a posteriori, la radicalisation de jeunes musulmans : « La raison principale, écrit-il, est que l’enquête est presque entièrement organisée autour d’une conception victimaire de la population immigrée. » Il cite un article sur l’intégration des enfants d’immigrés publié en janvier 2017 par Patrick Simon, l’un des concepteurs de TEO : « Patrick Simon ne dit pas un mot de la question religieuse, comme si celle-ci était totalement étrangère à la problématique de l’intégration. L’article est tout entier organisé autour d’un contre-jugement moral : les immigrés étant “suspectés de manquer de loyauté envers leur patrie”, il faut à tout prix contrer cette idéologie anti-immigrés. » Tout en affirmant que « cette idéologie existe, bien sûr », Galland révèle les premiers résultats d’une vaste enquête menée par le CNRS et Sciences Po : il apparaît notamment que 45 % des jeunes musulmans (contre 9 % des jeunes nés de deux parents français) ne sont pas du tout d’accord avec l’idée que l’homosexualité est une sexualité comme les autres et, ce qui est plus inquiétant encore, que 30 % des lycéens musulmans adhèrent à une vision « absolutiste » en vertu de laquelle la religion doit, en cas de conflit, avoir préséance sur la science. Reste à espérer que la publication de ces résultats, suscitera autre chose que des toussotements gênés ou des cris d’orfraie sans lendemain.

Les Français n’ont pas besoin d’études savantes pour savoir que la fracture culturelle qui voit une partie des descendants d’immigrés se dresser contre leur pays d’accueil n’est pas en voie de guérison mais d’aggravation. L’immigré musulman ayant pris la place du prolo d’antan dans le cœur et l’imaginaire de la gauche, ils ont été sommés d’accueillir sans compter les anciens colonisés et leurs descendants, et traités d’affreux racistes quand cet accueil n’était pas assez enthousiaste. Ils estiment d’autant plus avoir pris leur part de la misère du monde que la France donne beaucoup à ceux qu’elle accueille: au-delà des bienfaits de l’État social, à commencer par l’éducation et la santé, les arrivants légaux ou leurs enfants ont vocation à devenir pleinement français. Et c’est ce pays qui fabrique des citoyens en une génération que l’on ose, dans les rédactions parisiennes, qualifier d’étriqué ou d’égoïste ? Pour beaucoup de Français, que l’on somme d’expier des crimes qui n’ont pas tous été commis par leurs ancêtres, la coulpe est pleine[tooltips content= »Merci à Daoud Boughezala pour ce brillant jeu de mots »]2[/tooltips] ! Et la coupe aussi. Comme nous l’annonçons en une, et comme le montrent les reportages que nous publions, la France craque, dans tous les sens du terme. Et la crise migratoire qui a démarré à l’été 2015 pour ne plus cesser depuis n’est guère de nature à l’apaiser. Si le sentiment d’appartenance régresse chez des Français de la deuxième ou troisième génération passés par l’école de la République, qu’en sera-t-il au sein des populations arrivées à l’âge adulte, pour lesquelles le seul charme de la France est sa proximité avec l’Angleterre ? Que deviendra notre société si l’islam le plus rigoriste et le plus pesant pour les individus impose sa loi sur des territoires de plus en plus nombreux ? Il est de bon ton de se moquer des « peurs identitaires », comme si elles n’avaient pas le moindre fondement, mais quand on habite à Dreux, Roubaix ou Marseille, la peur de voir la France disparaître ne relève pas du tout du fantasme.

La France n’est pas un droit de l’homme

À droite, et dans l’ensemble de la réacosphère, on répète paresseusement que Macron est l’incarnation de la bien-pensance identitaire et immigrationniste. C’est pour le moins caricatural. Certes, s’agissant de l’islam, le président et ses proches font preuve d’une prudence de serpent, voire d’une coupable complaisance. S’il a sans doute pris conscience de la gravité de la situation dans les territoires perdus, il continue à croire ou à feindre de croire qu’elle sera, au bout du compte, soluble dans la croissance.

En revanche, sur la question migratoire, le président a visiblement choisi de laisser tomber la langue de bois. Au-delà des proclamations sur « la jeunesse africaine avenir du monde », qui ne mangent pas de pain mais ravissent les confrères, l’Élysée n’a pas caché, lors du voyage présidentiel au Mali, que l’un des objectifs prioritaires de sa politique africaine était de faire baisser la pression migratoire. Quelques jours plus tôt, devant les Restos du cœur, Emmanuel Macron était apostrophé par une Marocaine désireuse d’obtenir l’asile en France, où résident ses parents malades. Le chef de l’État lui a répondu avec une franchise presque brutale, lui expliquant que la France ne pouvait pas accueillir tous les bénéficiaires de visas de commerce ou d’étudiant qui souhaitaient rester : « Je ne peux pas vous mentir. Si vous n’êtes pas en danger, il faut retourner dans votre pays ». La France n’est pas un droit de l’homme. Il était temps qu’on le rappelle au sommet de l’Etat.

Les Rien-pensants

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Décembre 2017 - #52

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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