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Elisabeth Lévy: tuer, c’est mâle!

Septembre 2019 a consacré le terme de "féminicide"


Elisabeth Lévy: tuer, c’est mâle!
Paris le 6/07/2019 - Rassemblement pour réclamer des mesures immédiates pour lutter contre les "féminicides" en France. PATRICK GELY/SIPA/1907071615

« Transformer la tragédie de femmes assassinées en cause militante, ce n’est pas honorer les victimes, c’est les instrumentaliser »


Les mots ont un sens, affirme la sagesse populaire. Ça, c’était avant. Certains mots n’ont plus de sens, mais une fonction qui est de vous empêcher de penser. Le mot «  climat  », par exemple, doit déclencher une réaction pavlovienne d’indignation mâtinée de bonne conscience. Le mot « femme », quant à lui, ne mord pas (quoique), mais devrait vous plonger dans une atmosphère de compassion, de bienveillance – et, si vous êtes un mâle blanc tendance dragueur lourd, même jeune, de terreur et de culpabilité présumée. Dans l’arsenal lexical destiné à nous faire passer l’envie de déconner, «  féminicide  » vient de faire une entrée remarquée grâce à l’activisme déployé par les habituels groupuscules associatifs qui réclament bruyamment des mesures et des fonds publics pour lutter contre ce nouveau fléau – déjà réprimé par le Code pénal et condamné par la société. En quelques mois, ce crime contre la langue et contre la vérité s’est imposé, repris jusqu’à l’absurde par des journalistes tout fiers de participer à l’anéantissement des forces obscures du patriarcat.

0,00005  % des femmes meurent effectivement chaque année sous les coups d’un proche

Au début de l’été, quand un homme s’est rendu à la police après avoir tué sa femme, on a pu entendre l’un d’eux déclarer : « L’autopsie permettra d’établir s’il s’agissait d’un féminicide. » La fonction de ce terme est évidemment de suggérer par homophonie que, dans notre pays, les femmes sont menacées par un génocide ou au minimum, un massacre. Au risque de paraître sans cœur, il faut examiner les chiffres. Un génocide suppose une certaine fréquence prouvant la volonté d’éradication systématique. D’après le groupe  Facebook «  Féminicide par compagnon ou ex », « depuis janvier 2016, 452 femmes sont mortes sous les coups d’un frère, compagnon, mari, ex ou fils : 123 en 2016, 135 en 2017, 120 en 2018 et 97 au 28 août 2019 ». Considérant qu’il y a en France près de 27 millions de femmes âgées de plus de 20  ans, cela signifie que 0,00005  % des femmes meurent effectivement chaque année sous les coups d’un proche. « Ces chiffres donnent le vertige, peut-on lire dans Le Monde, et pourraient laisser croire que le phénomène s’est banalisé dans une sorte d’indifférence. » En fait d’indifférence, il ne se passe pas un jour sans que les médias évoquent le phénomène. Quant aux chiffres, ils suggèrent au contraire qu’on a affaire à de terribles tragédies individuelles – et pas à l’aboutissement d’un système culturel dans lequel les hommes se sentiraient autorisés à tuer leurs compagnes. Ou alors, il faudrait aussi dénoncer les mères comme des criminelles en puissance, puisqu’elles sont responsables de plus de deux tiers de la soixantaine d’infanticides recensés chaque année en moyenne. Transformer la tragédie de femmes assassinées en cause militante, ce n’est pas honorer les victimes, c’est les instrumentaliser.

À lire aussi : Comment le mot « féminicide » nous est imposé

Ajouter que les policiers rient au nez des victimes, quand des dizaines d’hommes sont placés en garde à vue pour être accusés, à tort ou à raison, d’avoir donné une gifle, c’est encore une fois un amalgame éhonté. On voudrait nous faire croire que le meurtre d’une femme conclut toujours un récit identique, mettant en scène une grande brute nourrie à la culture du viol. Même dans ce cas, d’ailleurs, la victime n’est pas abattue parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle est la femme de ce type-là – souvent parce qu’elle n’a pas voulu le quitter, parfois parce qu’elle l’a quitté. Cela ne rend pas le crime plus acceptable moralement, cela lui redonne sa singularité. Surtout, il faut être furieusement déconnecté du réel pour affirmer que le meurtre d’une femme par « son frère, son mari ou son fils » raconte une seule et même histoire, et mettre dans le même sac le très mal nommé crime d’honneur et le crime d’amour. J’oubliais : « On ne tue pas par amour », trompettent sans relâche les mèresla-morale, sans doute expertes en matière de crimes et/ ou de passion, à défaut de l’être en littérature. L’amour c’est gentil et tuer c’est méchant. Julien Sorel n’est qu’un harceleur de première, qui finit, logique, en féminicide, et cette sotte de Madame de Rênal, engoncée dans son genre comme dans ses robes, une traîtresse à la cause. Le cas de Sorel est assurément pendable, d’ailleurs, il finit guillotiné. Mais que pensent nos expertes de ces vieux amoureux qui abrègent les souffrances de leur femme – et qui représentent une proportion non négligeable des prétendus féminicides ? Ou du mystérieux crime d’Althusser  ? Foin de ces chicayas sur les sombres recoins de l’âme. Féminicides, vous dis-je ! Et au cas que vous n’auriez pas compris que qui tire les cheveux de sa camarade finira par tuer sa femme, les associations exigent, outre la création d’une nouvelle infraction (ah, l’envie du pénal…), l’instauration «  d’un programme d’éducation contre le sexisme à l’école, de la maternelle au supérieur ». À partir du 3 septembre, et durant deux mois, se tiendra donc un « Grenelle des violences conjugales ». On voit mal l’utilité de ce grand raout pour améliorer le traitement policier et judiciaire de ces crimes ou la prise en charge des victimes. Quant à la nouvelle incrimination pénale, qui reviendrait à admettre qu’hommes et femmes ne sont pas égaux devant la loi – et devant le crime –, elle a peu de chances de voir le jour. Les femmes battues, violées et assassinées seront en réalité enrôlées pour permettre au gouvernement de montrer son meilleur profil et aux associations de tendre la main. Il faut lire l’appel du collectif #noustoutes (sans moi, merci), sidérant de cynisme inconscient et d’indécence tranquille, à se mobiliser à l’occasion du « centième féminicide de l’année » – qui n’a pas encore eu lieu. Ne lâchez rien, les filles. Plus que trois victimes et vous pourrez sortir les banderoles.

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Septembre 2019 - Causeur #71

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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